Après la décision du secrétaire d’Etat américain à la santé, Robert Kennedy Jr, de limoger tous les membres du comité national sur la vaccination, un collectif d’experts français craint une recrudescence des maladies.
D epuis des décennies, la vaccination a constitué un des piliers importants de la santé publique aux Etats-Unis. Celle-ci repose notamment sur les expertises fournies par le comité consultatif sur les pratiques de vaccination (ACIP), créé en 1964. Sa mission est de fournir des recommandations indépendantes et fondées sur les meilleures preuves scientifiques disponibles pour l’usage des vaccins. Le comité a ainsi contribué à l’intégration progressive des vaccins disponibles dans un calendrier vaccinal harmonisé, mis à jour chaque année. Grâce à des campagnes nationales régulières, le pays a réussi à éliminer ou à contrôler des maladies jadis redoutables rougeole, coqueluche, polio, diphtérie , à l’origine d’un grand nombre de décès ou de handicaps. Si on comptait ainsi en 1919 près de 13 décès dus à la rougeole pour 100 000 habitants aux Etats-Unis, ce taux était tombé à zéro après la mise en place d’une vaccination large de la population.
Alors que les preuves scientifiques n’ont jamais été aussi solides pour démontrer l’efficacité et la sécurité des vaccins, certaines de ces maladies réapparaissent. La rougeole, déclarée éliminée du territoire américain en 2000, circule de nouveau de façon préoccupante avec plus de 1 000 cas recensés en 2025, du fait d’une diminution de la couverture vaccinale. Une étude publiée en avril dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) prévoit qu’une baisse de 10 % de la couverture vaccinale contre la rougeole pourrait entraîner plus de 11 millions de cas supplémentaires aux Etats-Unis au cours des vingt-cinq prochaines années. La coqueluche, longtemps sous contrôle, connaît une recrudescence. D’autres menaces existent comme la possible ré-émergence de la poliomyélite, dont la quasi-éradication était considérée comme une victoire majeure de la médecine moderne.
Ce que l’on observe aujourd’hui aux Etats-Unis reflète de manière exacerbée ce qui se passe dans de nombreux autres pays, dont la France. La pandémie de Covid-19 a souligné l’importance de la défiance de nombreux citoyens envers les autorités sanitaires, les experts, et plus généralement à l’égard des vaccins. La rapidité de mise au point des vaccins à ARN messager, le flot d’informations parfois contradictoires à travers la parole des experts, ainsi que la récupération politique de certaines mesures de santé publique ont contribué à installer un climat de suspicion durable.
Dans ce contexte, les théories complotistes et les informations mensongères se sont diffusées à grande vitesse, notamment par les réseaux sociaux. Cependant beaucoup de citoyens ont des préoccupations sincères, qui ne relèvent pas simplement de la désinformation. Depuis de nombreuses années, les experts de la vaccination ont cherché à répondre à cette in quiétude en tissant des interactions nombreuses et fructueuses avec la population.
Fake news et désinformation
Malheureusement, à cette volonté de dialogue, le nouveau secrétaire d’Etat américain à la santé, Robert Kennedy Jr, a préféré une option plus radicale par un bouleversement institutionnel inquiétant, qui peut avoir un impact majeur sur l’épidémiologie des maladies à prévention vaccinale. Le 9 juin, il a brutalement démis l’ensemble des experts indépendants siégeant à l’ACIP. Ce geste sans précédent a provoqué une onde de choc dans la communauté scientifique et médicale. En remplaçant ces experts par des personnalités controversées, pour certaines proches des milieux complotistes antivax et n’ayant pas d’expertise en vaccination, les autorités américaines fragilisent un édifice essentiel. Cette décision ouvre la porte à une politisation des décisions de santé publique, au détriment de la santé des citoyens. Cette situation ne concerne pas uniquement les Etats-Unis. Dans un monde globalisé, où les pathogènes et leurs vecteurs (moustiques par exemple) se moquent des frontières, le déclin de la couverture vaccinale dans un pays si exemplaire peut et va avoir des conséquences planétaires.
Les experts de la vaccination que nous sommes ne peuvent qu’être inquiets de l’évolution de l’ACIP. Nous ne pouvons pas rester sans réaction. Il faut rappeler que les experts siégeant au sein des comités techniques des vaccinations sont indépendants. Que sont présents, à côté de professionnels du domaine de la santé, des représentants de la société civile. Que les comités vaccinaux sont des lieux d’échanges et de discussions visant à établir des recommandations ayant des impacts clairs de santé publique avec comme objectif de préserver la santé de chacun. Que des comptes rendus sont accessibles en toute transparence.
Il faut s’opposer à ce qu’ils deviennent, comme cela risque d’être le cas aux Etats-Unis, des chambres de validation de décisions politiques arbitraires, ne reposant pas sur une expertise scientifique impartiale. Il faut toutefois aller plus loin et inverser la tendance délétère qui se met en place aux Etats-Unis. Les leviers existent : une volonté politique forte, l’engagement des personnels de santé, l’intégration de la culture de prévention dans les enseignements scolaires, la simplification des parcours de vaccination, le renouvellement de campagnes d’information plus ambitieuses et mieux adaptées aux préoccupations actuelles.
S’il faut rappeler les chiffres de
l’efficacité vaccinale et communiquer sur les effets secondaires, il faut également combattre activement les idées
fausses notamment par la régulation des plateformes où
sont privilégiées les fake news
et la désinformation et redonner du sens à l’acte vaccinal.
Car se faire vacciner n’est pas
seulement un choix personnel :
c’est aussi un acte de solidarité, une contribution indispensable à la protection de tous. Il
appartient dès lors à chacun,
gouvernements, professionnels
de santé, mais également à
chaque citoyen de se mobiliser
pour éviter que les maladies infectieuses à prévention vaccinale ne redeviennent une préoccupation pour la santé publique dans un monde où les
autres sujets d’inquiétude ne
manquent pas.
Par Collectif