Synopsis :
2006. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision... et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Cependant, dans une province montagneuse reculée, un moine décide d’organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l’un de ses disciples de trouver un fusil...
Critique :
Second film du réalisateur bhoutanais Pawo Choyning Dorji après « l’École du Bout du Monde » et second film originaire de ce pays de 780 000 habitants environ a obtenir un succès international après « Voyageurs et Magiciens » de Khyentse Norbu en 2003, « Le Moine et le Fusil » semble être un oxymore, une étrangeté dans le titre.
Pourquoi, dans ce pays profondément bouddhiste et en plein désir de trouver sa place dans le monde contemporain , un moine aurait il besoin d’un fusil ? Pour une cérémonie ayant lieu lors de la pleine lune. Mais laquelle ?
Le bouleversement n’est pas qu’individuel : Pour la première fois, le Bhoutan, sous l’impulsion de son roi, va élire des représentants pour son premier Parlement.
Ce processus s’inscrit dans la modernisation du pays : Sa Constitution, faisant passer le Royaume d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle est promulguée le 18 juillet 2008, la télévision et Internet y sont introduits depuis 1999.
Nous suivons tout une galerie de personnages sur les routes et dans les paysages himalayens de ce pays si particulier : La directrice des élections, chargée de battre la campagne pour expliquer aux habitants ce qu’est une élection et l’organisation des élections « blanches » entre trois partis fictifs, un Américain et son guide-interprète à la recherche d’un vieux fusil datant de la Guerre de Sécession, un Lama et son assistant eux aussi en quête de deux fusils.
Quiproquos, incompréhensions, choc des cultures...On pourrait croire le film comique (et par certains aspects il l’est, y compris jusqu’à une réplique ironique très savoureuse).
Mais pas seulement : c’est une profonde réflexion sur la transition entre tradition et modernité, Entre le pays qu’on a toujours connu et le monde inconnu.
C’est également un apprentissage : à la fois pour les Bhoutanais qui viennent à connaître James Bond, et cette « boisson noire » au cola à l’étiquette rouge et blanche.
Mais aussi pour l’Américain, Ronald « Ron » Coleman et, par extension, pour le public occidental : Quel est ce pays étrange et mystérieux qui veut trouver sa place dans le monde tout en demeurant lui même ?
Ces personnages se croisent, interagissent voire se poursuivent dans un étonnant ballet, loin de l’aspect contemplatif que l’on pourrait à tort associer à un film tourné dans le « Royaume du Dragon » et dans sa langue nationale (le dzongkha ). La musique est discrète et la photographie intelligente, révélant beaucoup de non dits sans pour autant que le spectateur doive rédiger une thèse en cinéma pour comprendre le plan qu’il vient de voir.
Ce film a également la vertu de nous rappeler que la démocratie, que nous considérons trop souvent comme acquise sinon inutile n’est pas tombée du ciel.
Pour citer l’auteur français Charles Péguy (dont les propos m’ont hanté tout au long du film) :
« Déposer son bulletin dans l’urne, cette expression vous paraît aujourd’hui du dernier grotesque. Elle a été préparée par un siècle d’héroïsme. Non pas d’héroïsme à la manque, d’un héroïsme à la littéraire. Par un siècle du plus incontestable, du plus authentique héroïsme [...]»
Si, contexte bouddhiste oblige, il n’est pas « d’héroïsme » au sens où nous l’entendons, ce mot pourrait être remplacé dans la citation par « douceur » ou « doute » sans trahir le film.
Tant de questions pour ses villageois sur l’utilité de l’élection, pour cet Américain qui cherche « un trésor perdu » de son pays à l’autre bout du monde. Mais aussi pour cette famille divisée politiquement. Ou encore pour le guide-interprète qui semble s’interroger sur la meilleure manière de ne froisser aucun de ses interlocuteurs, américain ou bhoutanais et de se faire le meilleur truchement entre l’étranger et les siens.
Je serai provocateur peut être en disant que ce film est un adolescent : Non pas un film « pour » adolescent, ni un film sur l’adolescence. Mais qui évoque l’aspect transitionnel de l’adolescence que l’on a tous connue, élevée à l’échelle d’individus et d’une société entière.
« […] le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris »
écrivait Musset dans sa « Confession d’un enfant du siècle ».
J’aimerai assez discuter avec un Bhoutanais voire le réalisateur du film sur cette citation : Donc si vous connaissez quelqu'un qui parle le dzongkha et/ou à des contacts au Bhoutan qu’il me fasse signe !