Aristote est l’un des plus grands philosophes de l’Antiquité. Il fut engagé par Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand, pour éduquer ce dernier. Le philosophe joua un rôle prédominant dans la formation intellectuelle du futur souverain, l’aidant à développer ses compétences en matière de raisonnement, de rhétorique et de philosophie. Outre ses fonctions pédagogiques, les deux hommes entretenaient une relation amicale et empreinte de confiance.
Origine :
Très admiratif des travaux d’Aristote, Alexandre maintint une correspondance régulière avec lui, même après être monté sur le trône. Le philosophe le conseillait sur des questions politiques et de leadership. Chargé de l’éducation du jeune Macédonien dès 343 avant J.-C., Aristote stimula sa curiosité et lui prodigua des leçons sur les sciences de la nature et sur les différents systèmes politiques. Bien que les détails de cet enseignement soient peu connus, il est probable qu’Aristote instruisit Alexandre dans les matières qu’il enseigna par la suite au Lycée : la logique, la physique, la zoologie, la métaphysique et la morale. Il initia également son élève à la poésie grecque, défiant en cela les préceptes platoniciens.
Aristote avait presque achevé la rédaction de son Histoire des animaux lorsqu'il fut appelé à la cour de Macédoine. Il transmit à Alexandre sa méthode d’investigation basée sur l’observation et son intérêt pour l’étude du vivant. L’influence d’Aristote sur Alexandre est indéniable : la tradition antique et les chercheurs modernes soulignent la composition « scientifique » de l’équipe qu’Alexandre constitua pour ses expéditions en Orient, comprenant géographes, mathématiciens, astronomes, architectes, botanistes et zoologistes. Alexandre compléta et enrichit le travail de son maître en lui envoyant des lettres détaillant ses découvertes ou même des spécimens d’animaux rares, prolongeant ainsi l’enseignement aristotélicien et permettant à Aristote de poursuivre ses recherches.
La correspondance entre Aristote et Alexandre est attestée par plusieurs sources. Cicéron, dans une lettre à Atticus (Ad Atticum, XII, 40), mentionne qu’il s’inspirera d’une lettre d’Aristote à Alexandre pour écrire à César. Diogène Laërce rapporte deux traités adressés à Alexandre par Aristote, Sur la royauté et Sur les colonies, ainsi que quatre lettres. De plus, le traité d’Aristote Sur le monde était destiné à Alexandre. Ces échanges épistolaires montrent qu’Alexandre, digne disciple d’Aristote, fit de sa démarche de conquête un savoir en action.
La relation entre Alexandre et Aristote:
La relation exemplaire entre le maître Aristote et son disciple Alexandre a été idéalisée et a inspiré de nombreux exercices de style dans les écoles de rhétorique. Pendant le Bas-Empire et jusqu’à l’époque byzantine, de nombreuses lettres apocryphes furent rédigées, principalement autour de deux thèmes : sous la plume d’Alexandre, la description des merveilles de l’Inde, et sous celle d’Aristote, des conseils variés adressés au gouvernant. Certaines de ces lettres ont été regroupées en un « roman épistolaire », où à chaque étape importante de son expédition, Alexandre écrivait à Aristote pour lui raconter ses exploits et ses découvertes. Aristote, en retour, le félicitait, lui prodiguait des conseils ou lui demandait des précisions. Ces épîtres ont nourri une riche tradition littéraire. Au VIIIe siècle, certaines de ces lettres furent parmi les premiers textes grecs traduits en arabe, bien avant la traduction des traités philosophiques et scientifiques d’Aristote, qui ne commença qu’un siècle plus tard.
Une version romancée de la vie d’Alexandre, imprégnée de merveilleux, apparut très tôt, probablement rédigée à Alexandrie au IIIe siècle après J.-C. On y trouve la Lettre d’Alexandre à Aristote sur les merveilles de l’Inde, où Alexandre décrit à son maître les découvertes faites en Inde après avoir vaincu le roi de Perse, Darius. L’exorde rhétorique de cette lettre montre bien la nature idéalisée de la relation entre Alexandre et le Stagirite :
"Conservant toujours ton souvenir, même dans les incertitudes et les dangers de nos combats, maître très cher, (…) et comme je connaissais ton attachement à la philosophie, j’ai jugé nécessaire de te faire une relation écrite des régions de l’Inde, de son climat et de ses innombrables espèces de serpents, d’hommes et d’animaux sauvages, afin que la connaissance de réalités nouvelles puisse contribuer aux progrès de l’étude et de l’esprit."
La dynamique d’échange de savoir est ici bien rendue par la structure de la phrase. Connaissant les sujets d’investigation de son maître et partageant ses questions, Alexandre contribue en décrivant ses découvertes. Dans cette interaction réside la possibilité de faire avancer les connaissances et l’esprit humain. Alexandre rappelle plus loin sa collaboration avec Aristote :
"Dans une lettre précédente, je t’avais donné des indications sur l’éclipse de soleil et de lune, sur les mouvements constants des astres et les phénomènes atmosphériques, et je te les ai adressées non sans y avoir déployé le plus grand soin. Et pour ces nouvelles relations où je vais m’engager, je vais tout confier au papier."
Cette référence à une lettre antérieure donne l’impression d’une correspondance régulière et riche. Le lecteur, privé de ce savoir, est incité à valoriser la "seconde" lettre, qui, au-delà des sujets scientifiques, se concentre sur des descriptions de serpents, d’animaux sauvages et de monstres, sujets prisés par les lecteurs de l’Antiquité tardive et repris par les enlumineurs médiévaux lorsque l’histoire d’Alexandre fut traduite en français au XIIe et XIIIe siècles.
La suite du prologue est un exercice de captatio benevolentiae :
"Et bien que tu sois d’une sagesse consommée, et qu’aucun secours ne soit à désirer pour ton savoir, qui est en parfait accord avec ton époque comme avec les temps futurs, néanmoins, afin que tu aies connaissance de mes exploits, qui te sont chers, et que rien ne te reste inconnu, j’ai cru devoir te rapporter par écrit ce que j’ai vu en Inde au prix de peines infinies (…) car ce sont des matières dignes de mémoire isolément et par leur accumulation variée, selon l’observation que j’en ai faite."
Cette captatio benevolentiae valorise Aristote pour sa sagesse et son savoir sans limites, tout en soulignant la relation privilégiée qu’il entretient avec Alexandre. Aristote s’intéresse aux conquêtes d’Alexandre, et ce dernier se donne beaucoup de mal pour transmettre son expérience à son maître. L’estime réciproque, l’intérêt mutuel et le savoir supplémentaire apporté par Alexandre à Aristote font de leur relation une interaction symétrique et fructueuse. L’insistance sur les "temps futurs" et les "matières dignes de mémoire" implique que le lecteur est directement concerné par cette relation exceptionnelle entre le maître et l’élève. Cette interaction savante interpelle le lecteur, le rendant partie prenante de cette quête dynamique de savoir.
La correspondance entre Alexandre et Aristote a rapidement été intégrée dans la littérature didactique et la tradition des Miroirs de Prince. Parmi ces traités, le plus fameux est le Secret des secrets.
par Aghilas AZZOUG
sources: la publication "Le savant philosophe et le prince savant : Aristote et Alexandre le Grand ” Maud Pérez-Simon, université de Sorbone