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Procès de Salem : qui étaient les victimes ?

La Rédaction


 Même après avoir inspiré quantité de pièces de théâtres, films et romans ces 50 dernières années, les victimes de Salem continuent d’exercer leur pouvoir de fascination. Ils étaient 20, six hommes et 14 femmes. 19 ont été pendus, un autre torturé à mort au terme d’une série de procès hors norme, qui a catalysé les pires travers du puritanisme américain du XVIIème siècle.

Tout commence à Salem par des jeux d’enfants. Deux très jeunes filles, Elizabeth “Betty” Parris et Abigail Williams, cousines d’une dizaine d’années respectivement fille et nièce de pasteur, décident à l’automne 1691 de s’essayer à la divination : elles veulent savoir qui elles épouseront plus tard, et quel sera le métier de leur futur mari. Le jeu tourne mal : l’une des fillettes croit voir un cercueil, les deux paniquent. Quelques mois plus tard, à l’hiver 1692, elles sont prises de convulsions. On appelle à leur chevet le médecin du village, un certain William Griggs. Eût-il conclu à un trouble médical (on a évoqué bien après l’hypothèse de l’épilepsie, ou d’un possible empoisonnement à l’ergot de seigle), l’histoire aurait pu s’arrêter là : mais le Dr Griggs diagnostique une possession.


Panique au village, on presse les fillettes de nommer qui leur aurait jeté un sort. Elles accusent alors l’esclave du pasteur Parris, une jeune femme de la Barbade appelée Tituba. “Sans surprise, la première accusée est une femme du plus bas de l’échelle sociale, constate l’historien Bertrand Van Ruymbeke, auteur d’une Histoire des États-Unis de 1492 à nos jours (Tallandier, 2021). Et rapidement, elle avoue.” Elle raconte en fait des rituels inoffensifs, et notamment avoir préparé un gâteau magique pour identifier qui voulait du mal à Betty Parris. Sorcellerie blanche, mais sorcellerie tout de même, aux yeux des puritains : Tituba est incarcérée.


Salem : une série de procès hors norme

Mais les accusations continuent. Les deux cousines donnent d’autres noms, les habitants du village leur emboîtent le pas, et c’est une épidémie de délations qui se répand sur Salem. “La Nouvelle-Angleterre a connu beaucoup d’affaires de sorcellerie depuis les années 1640, rappelle Bertrand Van Ruymbeke. Mais à chaque fois, une poignée de personnes sont accusées, quelques-unes sont emprisonnées, une ou deux sont pendues. À Salem, plus de 100 personnes vont être accusées de sorcellerie, et 20 d’entre elles seront exécutées. Ces procès ont donc une dimension hors norme : c’est toute la colonie qui est impliquée.” Au mois de mai, le gouverneur du Massachusetts William Phips crée et mandate une cour de justice avec à sa tête son gouverneur adjoint, William Stoughton. Sept juges de Boston sont dépêchés à sa suite à Salem, avec pour mission d’auditionner les “possédées” et de juger les accusés.


Tout l’été 1692, la cour tient session une fois par mois. Pour les pseudo-sorciers, c’est l’hécatombe : aucun acquittement n’est prononcé, tous les procès se soldent par une condamnation à mort. Ceux qui plaident coupables et désignent d’autres “sorciers” échappent à la peine capitale, les autres sont pendus. Un seul homme, Giles Corey, un vieux fermier qui, par fierté ou sénilité, refuse de s’exprimer devant le tribunal, est sanctionné par un châtiment particulièrement atroce, “la peine forte et dure”. Il est rivé au sol et écrasé par de lourdes pierres jusqu’à ce que mort s’ensuive : son supplice dure trois jours.


Six hommes et 14 femmes sont ainsi exécutés pour sorcellerie au cours de l’été 1692. C’est l’intervention d’un pasteur et théologien de Boston, le très influent Increase Mather, qui mettra fin à la série macabre. Le 3 octobre, il publie un essai intitulé Cases of Conscience Concerning Evil Spirits (Cas de conscience concernant les esprits maléfiques), qui plaide pour la fin des procès. “Il serait préférable, écrit-il, de laisser s’échapper 10 sorcières, plutôt qu’une seule personne innocente soit condamnée.” William Phips accepte enfin de mettre un terme à la procédure, et les accusés survivants sont progressivement remis en liberté.


Le mythe de la sorcière

Plusieurs points communs relient entre elles les victimes de Salem. D’abord, près de 80% d’entre elles sont des femmes. “La plupart de ces femmes vivent en marge de la communauté, relève Bertrand Van Ruymbeke. Elles sont en général seules, veuves ou non mariées. Ce sont donc des femmes vulnérables, qui n’ont pas d’homme pour les protéger.” On retrouve cette configuration dans toutes les sociétés patriarcales ayant pratiqué la chasse aux sorcières, y compris le Vieux Continent pendant l’Inquisition. “Selon les statistiques, 80 % des sorcières [condamnées en Europe] étaient des femmes, écrit ainsi l’historien Robert Muchembled, en particulier des femmes âgées, pour la plupart des paysannes illettrées. Elles n’étaient pas révoltées contre la religion [...]. Mises en marge de la société, elles étaient tout au plus amères et mécontentes de leur sort.” Encore aujourd’hui, les femmes accusées de sorcellerie au nord du Ghana, où l’une d’elles a été lynchée en 2020, sont presque toutes infertiles, célibataires ou âgées. C’est-à-dire inutiles, voire dangereuses, pour des sociétés qui cantonnent le rôle des femmes à la procréation.


Mais les procès de Salem ont une originalité, note Bertrand Van Ruymbeke : au fil des semaines, le profil des accusés monte dans l’échelle sociale. “On commence par une esclave et une mendiante, puis on se met à accuser des propriétaires, des notables… Avec le temps, les délations dépassent les frontières de Salem. Plus les accusés sont puissants, plus ils vivent loin : les accusations finissent même par viser Boston.” C’est d’ailleurs ce qui signe la dissolution de la cour, déjà ébranlée par le pamphlet de Mather : la propre femme du gouverneur Phips est nommée. Il ne s’agit plus d’une simple histoire de religion : Salem frôle la rébellion.

Salem Village vs. Salem Town, une rivalité mortifère

Car l’affaire intervient dans un contexte socio-politique particulièrement tendu. Les accusations des fillettes ont servi d’étincelles dans la gigantesque poudrière qu’était Salem. La ville était en fait divisée en deux parties : Salem Town, le port prospère (toujours appelé Salem), et Salem Village (aujourd’hui Danvers), l’arrière-pays agricole. “Depuis la fin des années 1670, Salem Village cherchait à acquérir son autonomie, raconte Bertrand Van Ruymbeke, et notamment son autonomie religieuse. Elle voulait que sa propre église soit reconnue par l’assemblée de Boston, et ne plus dépendre de Salem Town pour le choix du pasteur ou le paiement des impôts. Mais Boston avait refusé. Les membres de Village nourrissaient donc une rancœur croissante envers Town. On s’est aperçus après coup que les notables accusés étaient soit des habitants du port, soit des habitants de l’arrière-pays considérés comme des traîtres à Village ou des alliés de Salem Town.” Ainsi le révérend George Burroughs, l’un des accusés, était-il l’ancien pasteur de Salem Village, qu’il avait quittée après une violente dispute : désigné comme sorcier par d’anciens paroissiens rancuniers, il est condamné à mort et pendu.


“C’est une société fermée, homogène, et solide en ce sens, résume l’historien. Mais qui se sent vulnérable aussi, éloignée de la métropole, exposée aux guerres amérindiennes. Si la sorcellerie est punie de la peine capitale, c’est parce qu’elle est considérée par les habitants de Salem comme une menace à ce fragile équilibre.” Dans une société profondément infusée par le puritanisme, tous les facteurs de disruption sont attribués au Mal. Betty et Abigail l’ont sans doute échappé belle : s’essayer à la divination, c’est chercher à connaître les desseins de Dieu, donc une hérésie. L’ambition est répréhensible. La séduction de même : l’attractivité physique peut troubler la paix des familles, elle est donc criminelle. “L’un des accusateurs, un homme marié, a eu une rêverie érotique avec une femme, raconte Bertrand Van Ruymbeke. Il l’a dénoncée aux juges comme sorcière, l’accusant de l’avoir ensorcelé. Il n’y avait pas que des rancœurs sociales et politiques en jeu, mais aussi une grande frustration sexuelle latente, qui a alimenté l’hystérie collective.” Pour les accusateurs de Salem, le Mal était partout, et Mather avait tort : mieux valait pendre dix innocents que laisser libre une seule sorcière.


Article écrit par MARINE JEANNIN 

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