Intolérance croissante aux minorités religieuses
La défense de cet animal considéré comme sacré dans l’hindouisme permet en effet au BJP de prôner le rayonnement de l’Hindutva, l’idéologie nationaliste hindoue, et l’hostilité aux minorités religieuses.
Si la vache est vénérée dans toute l’Inde, c’est d’abord parce qu’elle fournit cinq produits sacrés : le lait et ses dérivés, le « lassi » (lait fermenté) et le « ghî » (beurre fondu), mais aussi l’urine et la bouse. Le mélange de ces cinq éléments est considéré comme purificateur pour l’âme et le corps, et nombreux sont les hindous qui l’absorbent.
Un rôle d’éboueurs
Ajouté au riz quotidien, le « ghî » est également offert aux divinités : on en badigeonne les statues et on en jette dans le feu sacré pour accompagner les prières. Mélangée avec de l’herbe et séchée sous forme de galettes plates, la bouse, elle, est utilisée comme combustible en cuisine. Dans les campagnes, les sols et murs d’habitations en terre battue sont recouverts de bouse, censée éloigner les insectes et scorpions. Enfin, les bovins d’Inde ont un rôle d’éboueurs puisqu’ils se nourrissent essentiellement de déchets : à force d’avaler des sacs en plastique, ils meurent souvent d’occlusions intestinales…
Autre explication : le meuglement de la vache en Inde se traduit par « mâ », ce qui, dans plusieurs langues indiennes, signifie « maman », et donc par extension, la terre-mère nourricière, la source originelle de toute vie. Ainsi, Pradipsinh Jadeja, le ministre de l’intérieur du Gujarat (État natal de Narendra Modi), a récemment déclaré : « La vache n’est pas un animal, c’est le symbole de la vie universelle ! »
« Maître des vaches à la flûte »
Sur le plan mythologique aussi, la vache a une très grande importance puisqu’elle est l’animal accompagnant Krishna et Shiva, les deux divinités les plus vénérées d’Inde. Confié par ses parents à un couple de vachers, Krishna passa son enfance au milieu des vaches, puis, adolescent, séduisit plus de mille « gôpis » (filles de vachers).
Sur les terre-pleins d’autoroutes
On comprend alors que les vaches soient si respectées : il est impensable pour un Indien de frapper, d’insulter ou de contraindre une vache. D’où les bouchons dans les villes indiennes, y compris les plus modernes comme Bangalore, provoqués par une vache déambulant dans la rue ou ruminant sur un terre-plein d’autoroute. Lorsqu’un hindou pieux passe à côté d’une vache, il ne manque jamais de la toucher, puis de porter sa main à son front en signe d’hommage.
Impossible également pour un hindou de manger de la viande bovine, même si, au Kerala et au Tamil Nadu les intouchables « impurs » en consomment. Dans ces États du Sud, mais aussi ailleurs en Inde, les currys de bœuf figurent au menu des restaurants… Les dalits sont également les seuls à pouvoir dépecer des cadavres de bovins, puis à pouvoir tanner, traiter et utiliser leur cuir.
Une construction religieuse, sociale et économique
Cette insistance sur le caractère sacré de la vache est assez récente. L’historien Dwijendra Narayan Jha, spécialiste de l’Inde ancienne à l’université de New Delhi, a brisé le mythe, en démontrant qu’à l’époque védique, la vache était sacrifiée et consommée, alors que l’Hindutva prétend que cette pratique aurait été importée bien plus tard, avec la conquête musulmane. Son ouvrage « Holy cow : Beef in Indian dietary » (La vache sacrée : le bœuf dans la tradition alimentaire de l’Inde), paru en 2002, a suscité des réactions violentes de la part des extrémistes hindous, l’auteur ayant même reçu plusieurs menaces de mort.
D’après Dwijendra Narayan Jha, ce seraient les brahmanes qui auraient peu à peu imposé cet interdit alimentaire afin d’attribuer une place sociale spécifique à chaque caste : celui qui mange du bœuf est un hors-caste, un intouchable. Cette sacralité de la vache indienne apparaît donc comme une construction à la fois religieuse, sociale et économique.
✍️ Écrit par Claire Lesegretain