Le réalisateur américain s'est inspiré de l'histoire de France et d'un des derniers duels judiciaires autorisé en 1386, entre le chambellan et le favori du comte Pierre II d'Alençon.
Ridley Scott aime faire revivre à sa manière les personnages de l'histoire. Dans Gladiator, il fait descendre dans l'arène pas moins que l'empereur de Rome en personne, le cruel Commode. Dans Le Dernier Duel (The Last Duel), il extrait des limbes de l'histoire de France, l'un des derniers duels judiciaires qui opposa épée et lance à la main, en 1386 à la fin du Moyen Âge, le chevalier Jean de Carrouges, (campé par Matt Damon) à son rival, Jacques Le Gris (joué par Adam Driver) .
Le premier, en se soumettant à cette joute, à cette épreuve physique voulait devant la justice du roi Charles VI défendre l'honneur de son nom bafoué par l'accusation de viol proférée par son épouse Marguerite de Carrouges, née Thibouville, à l'encontre de Jacques Le Gris.
Le Chevalier Jehan IV de Carrouges, à qui l'on doit la construction du donjon toujours visible dans son fief situé au nord-est d'Alençon, avait épousé en premières noces Jeanne de Tilly. Devenu veuf il se remaria en 1380 à Marguerite de Thibouville qui, d'après tous les chroniqueurs, était jeune et belle (elle est incarnée dans le film par Jodie Comer).
En pleine guerre de Cent ans, Carrouges était souvent absent du logis. Il devait servir le Comte d'Alençon en expédition dans les Flandres en 1383, puis, en 1385, il participait à l'expédition du Capitaine d'Honfleur, Jean de Vienne, sur les côtes d'Angleterre et d'Écosse. En 1383, son absence se prolongea pour le service du Roi. C'est pendant cette dernière absence qu'eut lieu le délit en question.
Richelieu mettra définitivement fin à l'ordalie
Son auteur présumé n'est autre que Jacques Le Gris, écuyer et chambellan du Comte d'Alençon, parrain d'un enfant né du premier mariage de Jehan de Carrouges. L'amitié des deux hommes fut détruite par cette affaire qui fit grand bruit à l'époque tant en Normandie qu'à Paris où eut lieu le duel. Le chroniqueur Jean Froissart (1337-1410), contemporain des faits, en donne un récit si précis.
Le Gris nia le viol. Il avait un alibi. On l'avait vu à Alençon au château à 4 h du matin, puis à 9 h au lever du Comte. L'épouse de Carrouges persistait dans son accusation. Le Comte prit fait et cause pour son écuyer, pensant qu'il était impossible d'avoir parcouru à cheval 23 lieues (soit 92 km) en quatre heures et demie.
Faute de preuves irréfutables, le Parlement s'en remit à Dieu pour trancher, et détermina par ordonnance qu'il y aurait « bataille jusques à outrance entre le Chevalier Jehan de Carrouges et le Chevalier Jacques Le Gris ».
Ce système de jugement était relativement courant au Moyen-Âge. Ce qu'on appelait l'ordalie bilatérale, ou plus simplement le duel judiciaire, permettait aux juges de s'en remettre à une force supérieure, le destin, c’est-à-dire en ces temps religieux à Dieu, pour déterminer l'issue d'un procès. Loin de notre jurisprudence laïque qui sépare le temporel du spirituel, l'affaire qui opposa Jean de Carrouges à Jacques Le Gris pouvait donc se régler en présence du public, armes à la main.
En racontant l'issue de ce duel à mort nous sommes un peu forcés, sans le vouloir, de spoiler l'œuvre de Ridley Scott. Jean de Carrouges, homme de guerre expérimenté ayant appris à se battre sous les ordres du légendaire Bertrand du Guesclin lors de la bataille de Cocheret, remportera le combat face Jacques Le Gris.
Pour recouvrer son honneur bafoué, le chevalier Carrouges se battait non seulement pour défendre la vertu de son épouse mais aussi pour préserver la vie de celle-ci. Car s'il avait perdu le combat, la justice aurait alors reconnu Marguerite coupable de faux témoignage et donc aurait été de fait automatiquement condamnée à mort. Un homme capturé des années plus tard s'accusera du viol de l'épouse du chevalier. On ne saura jamais si celle-ci a menti.
Il faudra attendre Richelieu, c’est-à-dire plus de deux siècles après le duel entre Carrouges et Le Gris pour que cette ordalie disparaisse complètement de la pratique de notre droit.
Article écrit Par Bertrand Guyard /Le Figaro
Le Dernier Duel (The Last Duel ) de Ridley Scott, avec Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer...
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L’historienne que je suis ne peut pas laisser passer certaines inexactitudes qui, sur l’ensemble du scénario du film, donnent une fausse idée de la personne qu’était Jean de Carrouges : un preux et vaillant chevalier et non le rustre sanguinaire qu'on fait jouer par Matt Damon. Il était courtois prévenant et amoureux de sa femme pour l'honneur de laquelle il mit en jeu sa vie. N'est-ce pas la + grande preuve d'amour, sachant la place de la femme au moyen-âge. Car c'est lui qui, découvrant ses hématomes, la poussa à se confier puis sans jamais douter de sa loyauté, mènera l'affaire en procès, envers et contre tous. En 1er lieu, contre l'avis de sa mère qui, au conseil de famille, signalant qu'il n'y aurait pratiquement pas de dot à rendre, lui demanda de la répudier pour ne pas salir le nom des Carrouges. Mise au point : C'est au château fort de Nogent-le-Rotrou où se trouvait la cour du comte Charles d’Alençon l'aîné et de son frère Robert, avec leur mère « Marie d'Espagne de La Cerda » que Jean de Carrouges et Jacques Le Gris firent leur apprentissage en tant que page puis écuyer. C'est seulement à la mort de Robert, comte du Perche, qui survînt en 1377 que Carrouges et Le Gris devinrent chambellan du frère cadet " Pierre d'Alençon" (joué par Ben Affleck) qui lui, avait été élevé à la cour de France, aux côtés de leur cousin Charles V. Pierre résidait au château d’Argentan et non d’Alençon. Et c'est à partir de là que les misères commencent pour Jean. La scène du « Sac de Limoges». Cette bataille, à laquelle le réalisateur fait participer Jean de Carrouges (de surcroit au commandement, alors qu'il n'était encore qu'écuyer), eu lieu en septembre 1370 alors qu’il était au service du comte Robert du Perche, qui, pour l’heure, servait aux côtés de Du Guesclin et du duc de Berry). Ce saccage n'est nullement le fait de Jean, ni même des troupes du Roi de France. (Voir l'ouvrage d'Alfred Leroux). Concernant le viol : La mère d’Adam Louvel habitait dans le même hameau, à 2 pas du manoir de celle de Jean de Carrouges avec laquelle elle était amie. Si Marguerite ouvre à Adam, c'est parce qu'il lui dit venir rembourser une dette qu'il devait à Jean. En vérité, il fait entrer Le Gris et lui apporte son aide tout au long de son acte odieux durant lequel elle se débattit violemment, allant jusqu’à mettre un coup dans le nez de Le Gris qui s'esbaudit un instant. Elle tenta de tirer avantage de son étourdissement pour se réfugier dans la pièce attenante, mais Louvel la rattrapa puis la ligota aux montants du lit. Après quoi, elle fut bâillonnée par Le Gris qui enjoignit à son acolyte d’aller faire le guet. Concernant ce complice : Adam était un ancien écuyer de Jean : au cours d'une expédition en Cotentin en 1376, il lui avait donné congé pour s’être livré au commerce de femmes avec les troupes, et Jean était totalement opposé à ces pratiques indignes d'un aspirant chevalier. Lors du procès, il fut accusé de complicité de viol par les cousins de Marguerite : Guillaume de Thibouville et Thomin du Bois qui réclamèrent contre lui le même sort que celui de Le Gris. Suite au verdict, il fut donc pendu au gibet de Montfaucon. Concernant son amie Marie, c'était la demi-sœur de Marguerite, et elle n'a jamais témoigné contre elle, au procès. C'est une fantaisie du réalisateur pour mettre le doute sur l'intégrité de Marguerite. Concernant le petit Robert, Marguerite était déjà accouchée lors de la dernière séance du procès à la mi-septembre, ce qui date la conception à la mi-décembre précédente. L'enfant n'était donc pas le fruit du viol (qui eu lieu le 18 janvier) surtout que c'était un beau bébé (contrairement à celui du roi et d'Isabeau de Bavière, né le même jour et qui décéda le jour des Saints Innocents donc la vieille du duel). Jean et Marguerite eurent 2 autres enfants : Jean et Thomas Mary COUSIN auteur de « Manus Deï, l’épée du Seigneur de Carrouges »
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