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Point-Lecture N°11: Un Ă©pisode de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis - Paul ALLARD

La RĂ©daction

Nous nous faisons souvent une idĂ©e fausse, ou du moins trop exclusive, du citoyen des États-Unis. Aux yeux de beaucoup de Français, le Yankee est un ĂȘtre bizarre, de conscience large et de maniĂšres douteuses, n’ayant qu’un but, la fortune, et marchant toujours devant lui, sans s’inquiĂ©ter des obstacles matĂ©riels et moraux, jusqu’Ă  ce qu’il l’ait atteinte. Go ahead ! en avant ! telle est sa devise : elle le pousse sur tous les chemins Ă  la poursuite du veau d’or. Celui-ci est son vrai culte, son unique idĂ©al. Que ces traits conviennent Ă  bien des AmĂ©ricains d’origine ou d’adoption, chercheurs d’or, pionniers, Ă©migrants, qu’ils s’appliquent surtout Ă  cette classe si nombreuses de politiciens de profession dont la vĂ©nalitĂ©, la rapacitĂ©, l’absence de scrupules sont devenues proverbiales, personne ne songerait Ă  le contester ; mais il faudrait ĂȘtre aveuglĂ© par les prĂ©jugĂ©s ou l’ignorance pour ne pas reconnaĂźtre que la grande rĂ©publique amĂ©ricaine offre, aussi abondamment que n’importe quelle autre sociĂ©tĂ©, parmi ses citoyens illustres comme parmi ses obscurs travailleurs, de hauts et purs caractĂšres, des types de droiture, d’intĂ©gritĂ©, de dĂ©licatesse morale, qui n’ont rien Ă  envier aux plus nobles reprĂ©sentants de nos vieilles civilisations europĂ©ennes.

Un curieux livre, dĂ» Ă  la plume d’un ancien ministre des États-Unis Ă  Paris, M. Washburne, a mis en lumiĂšre, il y quelques annĂ©es, la figure d’un homme de bien tout Ă  fait ignorĂ© en France, et dont le souvenir commençait Ă  s’effacer mĂȘme en AmĂ©rique 1. Qui a, parmi nous, entendu parler d’Édouard Coles ? Personne, trĂšs probablement. Ce hĂ©ros inconnu mĂ©rite cependant d’ĂȘtre restituĂ© Ă  l’histoire. Tous ceux pour lesquels la droiture et l’Ă©nergie, mises au service d’une cause juste, d’une idĂ©e bienfaisante et noble, sont un spectacle attrayant, remercieront la SociĂ©tĂ© historique de Chicago d’avoir dĂ©cidĂ© M. Washburne Ă  Ă©crire sa vie. Édouard Coles fut un des adversaires les plus dĂ©cidĂ©s de l’esclavage, Ă  une Ă©poque oĂč l’on ne songeait guĂšre Ă  son abolition. Il ne se contenta pas de l’attaquer par la parole et par la plume : il osa aller jusqu’au bout de ses idĂ©es, et, par un admirable scrupule de conscience, se dĂ©pouiller lui-mĂȘme d’une partie de sa fortune en donnant la libertĂ© Ă  tous ses esclaves. Homme politique, il demeura fidĂšle aux idĂ©es et aux actes de l’homme privĂ©, bravant l’impopularitĂ©, la haine d’ennemis acharnĂ©s, pour prĂ©server de la tache de l’esclavage la partie du sol amĂ©ricain dont le hasard d’une Ă©lection assez Ă©trange lui avait confĂ©rĂ© le gouvernement. Enfin, poursuivi jusque dans ses intĂ©rĂȘts privĂ©s par la vengeance d’adversaires sans pitiĂ© et sans mesure, il dut, pendant plusieurs annĂ©es, dĂ©fendre Ă  un procĂšs ruineux et bizarre, qu’un comtĂ© tout entier lui intentait pour le punir d’avoir, longtemps auparavant, obĂ©i Ă  ses sentiments d’homme et de chrĂ©tien en affranchissant ses propres NĂšgres. Cet acte de sa jeunesse est comme le pivot sur lequel roule toute sa vie : de longues Ă©tudes, de consciencieuses mĂ©ditations l’y prĂ©parent ; il s’en inspire quand les hasards de la politique lui ont mis le pouvoir en main, et plus tard il l’expie chĂšrement, mais sans jamais s’en repentir. Il s’Ă©tait dit un jour, presque au sortir de l’enfance : « Je ne me reconnais pas le droit de possĂ©der des esclaves », et il avait conformĂ© Ă  cette idĂ©e toute son existence privĂ©e et publique. Lui aussi, partant d’un principe absolu, mais assurĂ©ment bien dĂ©sintĂ©ressĂ©, il s’Ă©tait Ă©criĂ© : En avant ! Go ahead ! et il avait marchĂ© devant lui, sans dĂ©vier jamais de son inflexible voie, traçant l’image et laissant le souvenir d’une des vies les plus droites qui furent jamais. Curieuse figure, qui n’est point celle d’un rude fanatique, mais d’un vrai gentleman, doucement et consciencieusement obstinĂ©, toujours calme, correct et froid : ses lettres sont d’un homme du meilleur monde, et le portrait publiĂ© en tĂȘte du livre de M. Washburne lui donne une tĂȘte Ă  la Guizot, avec quelque chose de plus attendri et de plus souriant.

J’en ai dit assez pour faire comprendre l’intĂ©rĂȘt de la rapide Ă©tude que je me propose de faire Ă  la suite du biographe d’Édouard Coles. Elle mettra sous nos yeux un Ă©pisode trĂšs curieux et Ă  peu prĂšs inconnu des luttes qui prĂ©cĂ©dĂšrent de loin et certainement prĂ©parĂšrent l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, Ă©pisode attachant et grandiose, si l’on regarde l’enjeu du combat et la puretĂ© de caractĂšre du principal hĂ©ros, mais en mĂȘme temps Ă©trange et rĂ©pugnant par les mƓurs politiques qu’il rĂ©vĂšle, et qui sont plus ou moins celles de toute dĂ©mocratie organisĂ©e. Bien des traits nous feront reconnaĂźtre dans les politiciens qui poursuivirent Coles de leurs fraudes, de leurs dĂ©nonciations et de leurs rancunes, Ă  la fois des descendants des sycophantes athĂ©niens et des frĂšres aĂźnĂ©s des prĂ©tendus hommes d’État qui, en France, ont abaissĂ© au triste niveau que nous voyons cette chose autrefois si haute et, dans un certain sens au moins, si dĂ©sintĂ©ressĂ©e, la vie politique.

I

Édouard Coles naquit en 1786, dans l’Ă©tat de Virginie, patrie du libĂ©rateur Washington et d’un des plus anciens et des plus illustres adversaires de l’esclavage, Thomas Jefferson. MalgrĂ© les traditions libĂ©rales que rappelaient ces grands noms, la Virginie Ă©tait Ă  cette Ă©poque ce qu’elle fut sous la domination anglaise, ce qu’elle devait ĂȘtre jusqu’au suprĂȘme dĂ©chirement de 1860, le pays esclavagiste par excellence. Un an aprĂšs la naissance de Coles, quand fut votĂ©e la constitution fĂ©dĂ©rale, l’esclavage existait encore dans tous les États, sauf le Massachusetts, oĂč il avait Ă©tĂ© aboli dĂšs 1780 ; mais la Virginie, le Maryland et les deux Carolines contenaient, Ă  eux seuls, les cinq sixiĂšmes de la population servile. Quand sept États, sur treize qui formaient la confĂ©dĂ©ration primitive, eurent banni de leur sein la servitude, la Virginie en demeura l’inexpugnable citadelle. MalgrĂ© la douceur de son climat, un des plus salubres et des plus tempĂ©rĂ©s de l’AmĂ©rique du Nord, elle persistait Ă  demander au labeur des Noirs une richesse et un bien-ĂȘtre que le travail libre lui eĂ»t certainement procurĂ©s. Elle fit plus et pire encore : aprĂšs l’abolition de la traite, les planteurs de Virginie devinrent Ă©leveurs de NĂšgres, et leurs riches domaines furent transformĂ©s en haras humains, dont les produits Ă©taient versĂ©s sur les marchĂ©s de la GĂ©orgie, de l’Alabama, du Mississipi, de la Louisiane. Pendant la premiĂšre moitiĂ© de ce siĂšcle, les Ă©leveurs virginiens vendaient, chaque annĂ©e, de 40 Ă  50.000 NĂšgres, nĂ©s sur leur sol, et reprĂ©sentant une valeur de 100 millions de francs. Il est inutile d’insister sur l’Ă©pouvantable immoralitĂ© que dĂ©veloppait, chez les Blancs comme chez les Noirs, ce trafic impie, crime social mĂȘlĂ© de turpitudes domestiques sur lesquelles on ose Ă  peine arrĂȘter le regard.

Rien ne fait penser que le berceau d’Édouard Coles ait Ă©tĂ© entourĂ© de telles horreurs ; cependant son pĂšre, ancien colonel de la guerre de l’indĂ©pendance, possĂ©dait des esclaves. AprĂšs la mort de celui-ci, le jeune Coles, ĂągĂ© de vingt-trois ans, se trouva maĂźtre d’une plantation garnie de ce que les Romains appelaient instrumentum vocale, un mobilier Ă  voix humaine : une lettre Ă©crite par lui, bien des annĂ©es plus lard, nous apprend que les esclaves formaient environ un tiers de son patrimoine. Depuis longtemps la ferme raison et la conscience droite du jeune homme envisageaient avec anxiĂ©tĂ© le moment oĂč il serait appelĂ© Ă  possĂ©der des ĂȘtres semblables Ă  lui, au mĂȘme titre que des bƓufs ou des chevaux. Sur les bancs du collĂšge il s’Ă©tait dĂ©jĂ  posĂ© cette question : Peut-on ĂȘtre propriĂ©taire d’hommes ? Lectures, conversations, rĂ©flexions personnelles, tout l’avait amenĂ© Ă  une rĂ©ponse nĂ©gative : bien des fois il avait relu, avec un respect superstitieux, la dĂ©claration de 1776, cette charte fondamentale, presque cet Ă©vangile de la libertĂ© amĂ©ricaine, et toujours l’article proclamant that all men are born free and equal lui avait paru incompatible avec le maintien de l’esclavage. Bien d’autres, sans doute, mĂȘme parmi ses compatriotes de la Virginie, s’Ă©taient posĂ© de telles questions, et avaient entendu, dans le secret de leur conscience, de semblables rĂ©ponses ; mais ils avaient Ă©touffĂ© celles-ci sous des sophismes, ou les avaient Ă©cartĂ©es par un simple mouvement d’intĂ©rĂȘt personnel. Washington lui-mĂȘme, rĂ©solu d’affranchir ses esclaves, diffĂ©ra cet acte jusqu’Ă  la mort, et ne leur donna la libertĂ© que par testament. Coles, plus gĂ©nĂ©reux et plus logique, dĂ©cida qu’il n’aurait pas d’esclaves. Mais avec la maturitĂ© prĂ©coce de son esprit, il ne voulut pas qu’un acte aussi grave que celui qu’il mĂ©ditait fĂ»t accompli d’enthousiasme, et parĂ»t l’effet d’un entraĂźnement juvĂ©nile. Bien des questions d’ordre matĂ©riel devaient, d’ailleurs, ĂȘtre prĂ©vues et recevoir une solution, avant que la libertĂ© pĂ»t ĂȘtre donnĂ©e aux NĂšgres qui travaillaient sur sa terre. Coles rĂ©solut de prendre son temps, de mĂ»rir sans prĂ©cipitation ce projet, de tout prĂ©parer Ă  loisir pour son accomplissement ; aussi accepta-t-il avec joie la place de secrĂ©taire particulier du prĂ©sident des États-Unis, M. Madison, poste honorable, agrĂ©able, de nature Ă  lui crĂ©er des relations qu’il comptait mettre un jour Ă  profit, quand il lui faudrait faire choix d’une nouvelle patrie : il sentait, en effet, qu’aprĂšs avoir affranchi ses esclaves il ne lui serait plus possible de demeurer en Virginie, oĂč une formidable impopularitĂ© s’attacherait Ă  sa personne.

Pendant son sĂ©jour dans la maison du prĂ©sident, Édouard Coles se mit en rapport avec l’un des hommes les plus cĂ©lĂšbres qu’il y eĂ»t alors aux États-Unis, l’un des pĂšres de l’indĂ©pendance amĂ©ricaine, Thomas Jefferson. Nous avons le droit, Ă  distance, de penser que le rĂŽle de Jefferson a Ă©tĂ© surfait, qu’il ne s’Ă©leva guĂšre au-dessus de l’esprit dĂ©clamatoire du XVIIIe siĂšcle, que son sĂ©jour en France, Ă  la veille de 1789, eut de fĂącheux rĂ©sultats, et qu’il ne fut, au fond, qu’un mĂ©diocre et dangereux disciple de Rousseau ; mais, en 1814, lorsque Coles lui Ă©crivit pour la premiĂšre fois, le nom de Jefferson Ă©tait entourĂ© d’un prestige immense. Il avait Ă©tĂ© le rĂ©dacteur de la dĂ©claration d’indĂ©pendance de 1776, dans laquelle se lisent ces mots : « Tous les hommes ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s Ă©gaux, douĂ©s par le CrĂ©ateur de droits inaliĂ©nables, au nombre desquels est la libertĂ© » ; il avait essayĂ© de faire passer dans la constitution de 1787 un article condamnant l’esclavage, et cet article avait Ă©tĂ© repoussĂ© Ă  la majoritĂ© d’une seule voix : on comprend qu’aux yeux de Coles il personnifiĂąt plus que tout autre la cause de la libertĂ© des esclaves, Ă  laquelle le jeune secrĂ©taire du prĂ©sident Madison avait rĂ©solu de consacrer sa vie et de sacrifier sa fortune.

Cette cause lui paraissait gagnĂ©e d’avance si Jefferson, chargĂ© d’ans et de gloire, voulait prendre l’initiative d’un grand mouvement en sa faveur. « Mon but, Ă©crit-il au vieux politique, le 14 juillet 1814, est de vous supplier d’employer vos talents et votre influence pour combiner et mettre en Ɠuvre un plan d’extinction graduelle de l’esclavage. Cette tĂąche appartient d’abord aux auteurs vĂ©nĂ©rĂ©s des bienfaits sociaux et politiques dont nous jouissons : elle puiserait une force particuliĂšre dans l’appui de ceux dont la valeur, la sagesse et la vertu ont tant fait pour amĂ©liorer la condition du genre humain. Et c’est, il me semble, un devoir qui vous incombe de prĂ©fĂ©rence, Ă  cause de la largeur de vos vues philosophiques, des principes que vous avez professĂ©s et pratiquĂ©s pendant une longue vie, consacrĂ©e tout entiĂšre Ă  Ă©tablir sur les bases les plus larges les droits de l’homme, la libertĂ© et l’indĂ©pendance de votre pays, honorĂ©e par les grands emplois que vous ont confiĂ©s vos concitoyens, dont l’affection vous suit jusque dans les ombres de la vieillesse et de la retraite. Dans le calme de cette retraite, vous pouvez, au grand bĂ©nĂ©fice de la sociĂ©tĂ© et de votre gloire, faire appel Ă  la confiance et Ă  l’amour de tous, pour leur persuader de mettre complĂštement en pratique les principes contenus dans la cĂ©lĂšbre dĂ©claration dont vous ĂȘtes l’immortel auteur, et sur laquelle nous avons fondĂ© notre droit de rĂ©sister Ă  l’oppression, d’Ă©tablir notre libertĂ© et notre indĂ©pendance. »

La lettre de Coles est trop longue pour ĂȘtre traduite tout entiĂšre, mais elle mĂ©rite d’ĂȘtre lue, car, malgrĂ© la pompe un peu artificielle du langage, qui porte le cachet philosophique et littĂ©raire de l’Ă©poque, elle fait le plus grand honneur Ă  la noblesse et Ă  la candeur de ses sentiments. Il termine ainsi : « Mon excuse pour la libertĂ© avec laquelle je m’adresse Ă  vous sur un sujet qui me tient si particuliĂšrement au cƓur, c’est que, depuis l’heure oĂč j’ai Ă©tĂ© capable de rĂ©flĂ©chir Ă  la nature de notre sociĂ©tĂ© politique et aux droits qui appartiennent Ă  l’homme, non seulement j’ai Ă©tĂ©, en principe, opposĂ© Ă  l’esclavage, mais encore il m’a inspirĂ© une telle rĂ©pugnance, que j’ai rĂ©solu de ne point avoir d’esclaves : cette rĂ©solution m’oblige Ă  quitter mon pays natal et Ă  rompre avec mes connaissances et mes amis. »

La rĂ©ponse de Jefferson est curieuse : c’est celle d’un politique retirĂ© des affaires, sur lequel l’enthousiasme n’a point de prise. Elle renferme des renseignements intĂ©ressants sur le passĂ©, des avis que l’on ne s’attendrait point Ă  rencontrer sous la plume d’un patriarche des doctrines libĂ©rales, et enfin l’assurance que, du fond de sa retraite, le vieux solitaire priera le ciel avec ferveur pour le succĂšs de la cause Ă  laquelle Coles s’est dĂ©vouĂ©. « Depuis mon retour d’Europe en 1789, lui Ă©crit Jefferson, votre voix est la premiĂšre qui ait apportĂ© Ă  mon oreille un son de libertĂ©. » Mais les idĂ©es particuliĂšres de Jefferson sur l’affranchissement des esclaves ne sont point celles de Coles, et surprennent de la part d’un si absolu thĂ©oricien des droits de l’homme : qu’un jour l’AmĂ©rique puisse ĂȘtre dĂ©livrĂ©e du travail servile, mais Ă  condition d’ĂȘtre en mĂȘme temps dĂ©livrĂ©e des Noirs ! « Il faudrait, dit-il, indiquer une certaine date, Ă  partir de laquelle chacun naĂźtrait libre, et en mĂȘme temps Ă©lever les enfants d’esclaves nĂ©s depuis ce moment, de maniĂšre Ă  pouvoir, Ă  un Ăąge fixĂ©, les mettre hors du pays. Mais l’idĂ©e d’Ă©manciper Ă  la fois les vieux et les jeunes, et de les conserver ensuite dans notre pays, est repoussĂ©e par l’expĂ©rience : quelle que soit leur couleur, des hommes qui, depuis l’enfance, ont vĂ©cu sans penser, sont aussi incapables que des enfants de prendre soin d’eux-mĂȘmes, et deviennent le flĂ©au de la sociĂ©tĂ© par leur paresse et leurs dĂ©prĂ©dations : en particulier, les hommes de couleur ne pourront jamais se mĂȘler avec les Blancs sans amener une dĂ©gradation que nul citoyen dĂ©vouĂ© Ă  la patrie, nul penseur dĂ©vouĂ© Ă  l’excellence de la nature humaine, ne conseillerait sans crime. »

Jefferson est un ami fort tiĂšde de la libertĂ© des Noirs. En fidĂšle disciple de Rousseau, il proclame « l’excellence de la nature humaine », ce dogme fondamental de la philosophie du XVIIIe siĂšcle, Ă  la condition sous-entendue que les Blancs participent seuls Ă  cette « excellence ». Aussi n’est-on point surpris de le voir s’excuser poliment auprĂšs de Coles, et lui dire : « L’entreprise Ă  laquelle vous me conviez est faite pour les jeunes gens ; vous aurez mes priĂšres : ce sont les seules armes d’un vieillard. » Jefferson ne retrouve quelque chaleur que pour essayer de dĂ©tourner son correspondant de la pensĂ©e d’abandonner la Virginie et d’affranchir ses esclaves. Cela lui paraĂźt un peu fou. « Mon opinion a toujours Ă©tĂ© que, jusqu’Ă  ce qu’on puisse faire mieux, nous devons, dans l’intĂ©rĂȘt de ceux que la fortune a remis entre nos mains, nous efforcer de les bien nourrir, de les bien vĂȘtir, de les protĂ©ger contre les mauvais traitements, de ne leur imposer que le travail que l’on demanderait Ă  des hommes libres, et de ne point Ă©couter les rĂ©pugnances qui nous entraĂźneraient Ă  les abandonner, et Ă  dĂ©serter en mĂȘme temps nos devoirs envers eux. » Ce sont Ă  peu prĂšs les arguments que nous avons entendu employer naguĂšre par les apologistes du Sud : on croirait qu’en vieillissant, Jefferson a laissĂ© tomber, comme une mince couche de terre vĂ©gĂ©tale artificiellement rapportĂ©e, le libĂ©ralisme qui fit sa gloire et sa fortune politique ; il ne reste plus, Ă  la fin, que le tuf natal, je veux dire les sentiments traditionnels du planteur virginien. « Demeurez donc, Ă©crit-il Ă  Coles, rĂ©conciliez-vous avec votre pays et avec sa malheureuse condition : mĂȘlez-vous Ă  sa vie, parlez, Ă©crivez en faveur de la cause qui vous est chĂšre, mais ne faites pas davantage : je prierai pour vous avec sincĂ©ritĂ© et ferveur. »

Ô La Fontaine ! quel prophĂšte tu fus, quand tu fis parler ainsi ton Rat retirĂ© dans un fromage de Hollande ! Coles aperçut-il toute la portĂ©e de cette lettre, et comprit-il la diffĂ©rence du Jefferson de la rĂ©alitĂ© avec celui de la lĂ©gende ? Non, car, toute sa vie, il resta plein d’admiration pour l’illustre homme d’État, dont, en 1826, il dĂ©plora la mort en termes magnifiques. Douze ans auparavant, il Ă©tait encore Ă  l’Ăąge oĂč le respect empĂȘche de juger les grands hommes, et oĂč l’on se prosterne devant les idoles, mĂȘme quand elles laissent paraĂźtre leurs pieds d’argile. Cependant il ne se laissa point persuader par les conseils opportunistes du vieux rĂ©volutionnaire devenu ermite. Dans une nouvelle lettre, trĂšs respectueuse, il persiste Ă  rĂ©clamer l’aide de Jefferson, Ă©vite de se prononcer sur les idĂ©es particuliĂšres de celui-ci, lui rappelle l’exemple de Franklin qui, dans sa vieillesse, avait efficacement travaillĂ© Ă  l’affranchissement des esclaves de la Pennsylvanie, dĂ©clare que sa rĂ©solution d’Ă©manciper ses NĂšgres et de quitter la Virginie est irrĂ©vocable, et, non peut-ĂȘtre sans quelque pensĂ©e d’Ă©pigramme, demande Ă  Jefferson « des priĂšres qui puissent ĂȘtre entendues Ă  la fois au ciel et sur la terre ». Jefferson ne rĂ©pondit pas : Coles ne songea point Ă  lui Ă©crire de nouveau.

En 1815, il rĂ©signa ses fonctions de secrĂ©taire de M. Madison, et entreprit un voyage dans le Nord-Ouest, afin de chercher le lieu de son futur Ă©tablissement. Cette recherche fut interrompue par une mission diplomatique en Russie, que lui confia en 1816 le prĂ©sident, et dont, malgrĂ© sa jeunesse, il se tira avec honneur. En 1819, son parti Ă©tait enfin pris, et il avait dĂ©cidĂ© de s’Ă©tablir dans l’Illinois, territoire qui venait d’ĂȘtre Ă©levĂ© Ă  la dignitĂ© d’État. Le moment Ă©tait arrivĂ© d’accomplir, rĂ©solument et sans emphase, l’acte auquel, depuis plusieurs annĂ©es, se rapportaient toutes ses mĂ©ditations et toutes ses Ă©tudes, et qui, on le verra, devait influer ensuite sur sa vie entiĂšre.

II

« Il m’Ă©tait impossible, dit Coles, d’accorder avec ma conscience et avec mon sentiment du devoir la pensĂ©e de prendre part Ă  l’esclavage. Incapable d’y trouver un abri contre les protestations de ma conscience et les justes reproches, me semblait-il, de la terre et du ciel, je ne pouvais consentir Ă  conserver comme propriĂ©tĂ© ce sur quoi je n’avais aucun droit, et ce qui n’Ă©tait ni ne pouvait ĂȘtre une propriĂ©tĂ©, selon ma maniĂšre de concevoir les droits et les devoirs de l’homme. En consĂ©quence, je dĂ©cidai que je ne voudrais ni ne pourrais garder mes semblables comme esclaves. »

Cette noble rĂ©solution soulevait dans la pratique de grandes difficultĂ©s. Avant tout, il fallait rompre avec son pays d’origine, avec ses amis, avec ses parents. L’homme qui, en Virginie, aurait eu l’audace d’affranchir ses esclaves, comme Coles mĂ©ditait de le faire, aurait blessĂ© au point sensible, dans leur intĂ©rĂȘt Ă  la fois et dans leur honneur, tous ses concitoyens : poursuivi par la haine publique, le sĂ©jour du plus esclavagiste des États lui serait devenu impossible. De plus, la loi de Virginie exigeait que tout NĂšgre quittĂąt le pays un an aprĂšs son Ă©mancipation : ce qui, on le verra, eĂ»t Ă©tĂ© contraire aux bienfaisantes intentions de Coles pour l’avenir de ses futurs affranchis. Il lui fallait donc se sĂ©parer, dĂ©raciner sa vie Ă  l’Ăąge de trente-trois ans, abandonner le luxe, la richesse, le raffinement du high life virginien, au milieu duquel il avait Ă©tĂ© nourri, imposer silence aux goĂ»ts Ă©levĂ©s et polis qu’il avait contractĂ©s dans l’Ă©lĂ©gante maison du prĂ©sident Madison, puis dans son voyage diplomatique Ă  travers l’Europe, pour se faire Ă©migrant et s’enfoncer, en compagnie de ses Noirs, dans un pays neuf, Ă  peine peuplĂ©, dont rien ne faisait prĂ©sager encore la prodigieuse fortune. Plus d’un, mĂȘme parmi les mieux trempĂ©s, eĂ»t reculĂ© devant un tel sacrifice.

Coles n’hĂ©sita pas. Le 1er avril 1819, il fit sortir de son domaine patrimonial de Rockfish tous ses NĂšgres, Ă  l’exception de deux vieilles femmes infirmes, qu’il laissait en Virginie, et dont il prit l’entretien Ă  sa charge. Les esclaves savaient que leur maĂźtre les conduisait dans les territoires du Nord-Ouest ; mais ils ignoraient son gĂ©nĂ©reux dessein. Un mulĂątre, nommĂ© Ralph Crawford, fut mis Ă  leur tĂȘte ; entassĂ©s dans des chariots d’Ă©migrants, ils traversĂšrent les Alleghanies, se dirigeant vers Brownsville, en Pennsylvanie. Coles, qui Ă©tait restĂ© en arriĂšre, et devait faire le voyage Ă  cheval, les rejoignit Ă  une journĂ©e de cette ville. À Brownsville, il acheta deux bateaux plats et s’embarqua sur l’Ohio avec ses NĂšgres, ses chevaux, ses voitures. Le but de l’expĂ©dition Ă©tait un domaine situĂ© Ă  Edwardsville, dans l’Illinois : pour l’atteindre, il fallait suivre sur une longueur de six cents milles le cours de l’Ohio, puis dĂ©barquer dans l’Indiana, un peu au delĂ  de Louisville, et gagner par terre le lieu choisi pour le nouvel Ă©tablissement. À Pittsburg, le pilote qui dirigeait la navigation, ivrogne et incapable, dut ĂȘtre dĂ©barquĂ© : Coles s’improvisa alors capitaine et pilote tout ensemble.

Le lendemain du jour oĂč la petite flottille quitta Pittsburg, le soleil se levait sur un doux matin d’avril : le ciel Ă©tait sans nuage : les deux bateaux, liĂ©s ensemble, glissaient sur les belles eaux de l’Ohio, entre des rives pittoresques, oĂč le printemps mettait sa premiĂšre verdure. Coles appela tous ses NĂšgres sur le pont : « Il est temps, leur dit-il, de vous faire connaĂźtre mes intentions ; vous n’ĂȘtes plus esclaves, vous ĂȘtes libres, libres comme moi, libres de me quitter ou de me suivre, comme vous voudrez. » L’effet de cette courte allocution fut prodigieux. Les pauvres gens se regardaient, en silence, incapables de prononcer une parole, se croyant le jouet d’un rĂȘve. Peu Ă  peu, le sentiment de la rĂ©alitĂ© leur revint : un rire Ă©clatant, machinal, presque hystĂ©rique, les saisit. Puis, un silence profond se fit de nouveau : des larmes coulĂšrent de tous les yeux : tous, d’une voix tremblante, implorĂšrent sur leur maĂźtre la bĂ©nĂ©diction de Dieu. Quand la premiĂšre Ă©motion fut enfin calmĂ©e, le mulĂątre Ralph se fit l’interprĂšte de ses compagnons.

– Je savais depuis longtemps, dit-il Ă  Coles, que vous aviez rĂ©solu de ne plus garder de NĂšgres comme esclaves, et je pensais qu’un jour ou l’autre vous donneriez Ă  mon peuple la libertĂ©. Mais je ne croyais pas que vous le feriez si tĂŽt. Je pensais que vous attendriez que notre travail eĂ»t remboursĂ© les frais de ce voyage, eĂ»t mis en Ă©tat votre ferme, et vous eĂ»t bien Ă©tabli dans votre nouveau pays.

– Nous pensons tous ainsi, s’Ă©criĂšrent les NĂšgres ; nous voulons rester avec vous, pour vous servir, jusqu’Ă  ce que votre Ă©tablissement soit terminĂ©.

– Je ne le veux pas, rĂ©pondit Coles. Ma volontĂ© est de vous donner la libertĂ© immĂ©diatement et sans conditions. Pendant longtemps j’ai attendu avec impatience le moment de le faire ; j’ai Ă©tĂ© retardĂ© d’abord par la vente de ma propriĂ©tĂ© de Virginie, puis par le temps nĂ©cessaire pour en toucher le prix, et par diverses autres circonstances. En considĂ©ration de ce dĂ©lai, comme rĂ©compense de vos services passĂ©s, comme encouragement pour l’avenir, espĂ©rant vous grandir ainsi dans votre propre estime et vous gagner l’estime des autres, je donnerai, quand nous serons arrivĂ©s Ă  destination, une concession de cent soixante acres de terre Ă  tout chef de famille et Ă  tout cĂ©libataire ĂągĂ© de plus de vingt-quatre ans.

– Non, non ! s’Ă©criĂšrent les NĂšgres, c’est trop ! Vous avez assez fait pour nous en nous accordant la libertĂ©. Gardez vos terres, pour subvenir Ă  vos propres besoins. Serez-vous encore assez riche, aprĂšs nous avoir affranchis ?

– J’ai pensĂ© beaucoup Ă  mon devoir et Ă  vos droits, rĂ©pondit simplement Coles ; ils m’obligent Ă  faire ce que je viens de vous annoncer.

Quand on fut arrivĂ© au lieu fixĂ© pour le dĂ©barquement, Ă  quelque distance au delĂ  de Louisville, les bateaux furent vendus, et la petite troupe se dirigea vers l’Illinois, sous la conduite de Ralph. Coles se rendit de son cĂŽtĂ© Ă  Edwardsville. DĂšs que tous les NĂšgres l’y eurent rejoint, il remit Ă  chacun des ayant-droit les titres de la concession qu’il avait promise :

– Les terres que je vous donne, dit-il, sont toutes incultes. Vous ne possĂ©dez point encore le capital nĂ©cessaire pour vous y Ă©tablir et commencer Ă  les mettre en valeur. Vous devrez vous louer comme ouvriers jusqu’Ă  ce que vous ayez rĂ©uni les fonds suffisants, et que vous puissiez songer enfin Ă  cultiver vos propres terres. Je suis prĂȘt Ă  engager et Ă  employer dans ma ferme tel et tel d’entre vous ; j’exhorte les autres Ă  chercher un emploi Ă  Saint-Louis, Ă  Edwarsville, etc., oĂč des hommes, des femmes, jeunes, actifs, robustes, trouveront des salaires bien supĂ©rieurs Ă  ceux qu’ils pourraient obtenir dans les fermes.

À ces paroles, des murmures se firent entendre. Plusieurs se montrĂšrent jaloux des NĂšgres que le maĂźtre avait dĂ©signĂ©s pour travailler sur sa terre :

– Nous devons vous ĂȘtre tous aussi chers, s’Ă©criĂšrent-ils. Pourquoi garder les uns, et jeter les autres dans le monde pour y ĂȘtre maltraitĂ©s ?

– Vous oubliez que vous ĂȘtes maintenant des hommes libres, rĂ©pondit doucement Coles. Nul n’a le droit de vous battre ou de vous maltraiter. Vous pourrez changer de place, quitter un lieu, aller dans une rĂ©sidence meilleure. Le travail est trĂšs demandĂ© dans ce pays neuf, les ouvriers y reçoivent de trĂšs hauts gages : il vous sera facile de trouver de bonnes places, et d’y ĂȘtre bien traitĂ©s. D’ailleurs, n’oubliez pas que je serai lĂ , Ă  votre disposition, et que, si quelqu’un vous fait souffrir, je saurai vous obtenir justice.

Puis, leur ouvrant son cƓur, Coles ajouta ;

– Conduisez-vous donc bien, mes chers amis, tĂąchez de rĂ©ussir, non seulement dans votre propre intĂ©rĂȘt, mais encore dans celui de toute la race noire, dans l’intĂ©rĂȘt de vos frĂšres encore retenus dans les liens de l’esclavage. Beaucoup d’entre eux y restent parce que leurs maĂźtres les croient incapables d’avoir soin d’eux-mĂȘmes et estiment que la libertĂ© leur serait plus nuisible qu’utile. Mon dĂ©sir, plein d’anxiĂ©tĂ©, c’est que vous puissiez vivre de maniĂšre Ă  prouver par votre exemple que les enfants de l’Afrique sont capables de se conduire et de se gouverner, de participer Ă  tous les bienfaits de la libertĂ©, Ă  tous les droits naturels de l’homme ; vous ferez ainsi faire un grand pas Ă  la cause de l’Ă©mancipation de toute une portion malheureuse et maltraitĂ©e de la famille humaine. »

Un inconvĂ©nient inĂ©vitable dans une confĂ©dĂ©ration formĂ©e de nombreux États, comme est la grande rĂ©publique de l’AmĂ©rique du Nord, c’est l’ignorance Ă  peu prĂšs forcĂ©e oĂč se trouve l’Ă©migrant qui passe d’un pays dans un autre sans connaĂźtre les lois particuliĂšres de la nouvelle contrĂ©e qui le reçoit Ă  titre dĂ©finitif ou provisoire. Édouard Coles devait en ĂȘtre victime. Avant de descendre de bateau, il avait donnĂ© Ă  ses NĂšgres un certificat gĂ©nĂ©ral de libĂ©ration, dans lequel leurs noms, Ăąges, etc., Ă©taient indiquĂ©s. ArrivĂ© dans l’Illinois, il apprit que ce titre pouvait ĂȘtre critiquĂ©. La lĂ©gislature de cet État avait, dans sa derniĂšre session, votĂ© une loi portant obligation pour tout NĂšgre libre de prouver sa libĂ©ration, Ă  peine d’emprisonnement pour lui, et d’amende pour quiconque l’emploierait. On fit remarquer Ă  Coles la nĂ©cessitĂ©, pour se conformer Ă  cet article, de donner un certificat individuel Ă  chacun de ses affranchis. Il s’y refusa d’abord, non sans motif, car si la loi avait Ă©tĂ© votĂ©e, elle n’avait point encore reçu de promulgation. Cependant, sur l’avis d’un des meilleurs jurisconsultes de l’Illinois, Daniel P. Cook, il consentit Ă  donner Ă  ses NĂšgres fixĂ©s dans cet État des actes d’affranchissement sĂ©parĂ©s. En tĂȘte de chacun, il mit un prĂ©ambule uniforme ; aprĂšs avoir exposĂ© que son pĂšre lui avait laissĂ© tel esclave noir, il disait : « Croyant que l’homme ne peut avoir un droit de propriĂ©tĂ© sur l’homme, mais que, au contraire, le genre humain tout entier a reçu de la nature des droits Ă©gaux, je restitue, par ces prĂ©sentes, Ă  X..., l’inaliĂ©nable libertĂ© dont il avait Ă©tĂ© privĂ©. » Si le nom de Dieu Ă©tait mĂȘlĂ© Ă  ces belles paroles, on croirait lire certains actes d’affranchissement des premiers temps chrĂ©tiens ou du commencement du Moyen Âge, retrouver quelque formule oubliĂ©e du recueil de Marculfe.

Ce certificat d’affranchissement servit de prĂ©texte, quelques annĂ©es plus tard, Ă  un long et pĂ©nible procĂšs, dont nous aurons Ă  parler dans la suite de cette Ă©tude.

III

La venue d’un homme aussi distinguĂ© que Coles, dans un État en formation comme Ă©tait alors l’Illinois, ne pouvait passer inaperçue. Il n’y entrait point, d’ailleurs, sans un titre officiel. Le successeur de Madison, M. Monroe, lui avait confiĂ© les fonctions de register of the land office Ă  Edwardsville. Par cet emploi, il se trouva mis en rapport avec les nombreux Ă©migrants qui arrivaient chaque jour dans l’Ouest, et devaient se prĂ©senter Ă  son bureau pour se faire dĂ©livrer, moyennant une faible somme, des concessions de terres inoccupĂ©es appartenant Ă  l’État. Promptement il fut populaire. Le pauvre colon, vĂȘtu de peaux et chaussĂ© de mocassins, qui, extĂ©nuĂ© par de longues marches, portant Ă  peine quelques dollars dans sa ceinture, entrait dans l’office du registrar, et y rencontrait un homme jeune, distinguĂ©, vĂȘtu avec Ă©lĂ©gance, d’un accueil agrĂ©able et facile, d’un bon et utile conseil, en sortait presque toujours charmĂ©. Beaucoup savaient qu’il avait Ă©tĂ© secrĂ©taire du dernier prĂ©sident, qu’il avait fait un voyage officiel en Europe, et ces circonstances ajoutaient encore Ă  son prestige. Aussi quand, au mois d’aoĂ»t 1832, les habitants de l’Illinois durent Ă©lire un nouveau gouverneur, Coles, qui avait Ă  peine trois ans de sĂ©jour dans l’État, se trouva-t-il, presque sans y songer, l’un des candidats. Sur 8.625 votants, il eut 2.810 voix, et fut Ă©lu, car la majoritĂ© relative suffisait, et, de ses trois concurrents, le plus favorisĂ© n’avait recueilli que 2.760 votes, les deux autres 2,343 et 522. Étrange condition des pays dĂ©mocratiques, oĂč bien souvent l’Ă©lu ne reprĂ©sente qu’une faible minoritĂ© des Ă©lecteurs inscrits, ou mĂȘme des votants ! Telle est la fiction, certains diraient volontiers le mensonge, du suffrage universel.

Mais, pour Coles, comme trente-huit ans plus tard, sur un plus vaste thĂ©Ăątre, pour Lincoln 2, cette fiction, ce mensonge, servit utilement une grande cause. Bien que, en 1818, la convention de Kaskaskia eĂ»t interdit l’esclavage dans l’Illinois, conformĂ©ment Ă  une loi de 1787 qui le prohibait dans tous les territoires situĂ©s au nord-ouest de l’Ohio, cependant les opinions favorables Ă  l’asservissement des Noirs comptaient au sein du nouvel État de trĂšs nombreux partisans. Beaucoup de ses anciens habitants ne pouvaient oublier qu’avant d’ĂȘtre cĂ©dĂ©, en 1784, aux États-Unis, l’Illinois dĂ©pendait de la Virginie, l’État Ă  esclaves par excellence, et, invoquant l’acte de cession, qui stipulait pour chacun le maintien de ses droits, possessions et libertĂ©s, ils prĂ©tendaient pouvoir continuer Ă  possĂ©der des esclaves. De plus, la population nouvelle Ă©tait composĂ©e en partie d’esclavagistes, car un fort courant d’Ă©migration se dirigeait des États Ă  esclaves vers l’Illinois. Deux des concurrents de Coles, qui reprĂ©sentaient ces opinions, avaient recueilli ensemble 5.303 voix, tandis que Coles et l’autre candidat, opposĂ©s Ă  l’esclavage, n’en avaient rĂ©uni que 3.322. Donc le suffrage populaire, par une Ă©trange rencontre, acclamait l’esclavage, et portait au pouvoir un de ses plus puissants et plus intrĂ©pides adversaires. La pluralitĂ© des candidats esclavagistes, en divisant les voix, avait seule amenĂ© cet heureux mais absurde rĂ©sultat ; on le vit bien lors de l’Ă©lection du lieutenant-gouverneur. Un seul candidat se prĂ©senta cette fois pour le parti esclavagiste et fut Ă©lu 3.

Dans son speech d’installation, prononcĂ© devant les deux Chambres de l’État, – un parlement en miniature, composĂ© de vingt sĂ©nateurs et trente-six dĂ©putĂ©s, – Coles parla de la question qui avait Ă©tĂ© prĂ©sente Ă  tous les esprits durant la pĂ©riode Ă©lectorale. Il rappela que, malgrĂ© la loi de 1787, il y avait encore des esclaves en Illinois, et invoqua ardemment l’intervention de la lĂ©gislature en leur faveur. « La justice et la libertĂ©, dit-il, rĂ©clament de nous une rĂ©vision gĂ©nĂ©rale des lois relatives aux NĂšgres, afin de les mieux adapter au caractĂšre de nos institutions et Ă  la situation du pays. » Il insista sur la nĂ©cessitĂ© de faire des lois plus efficaces contre le kidnapping, c’est-Ă -dire le vol des Noirs libres pour les rĂ©duire en esclavage, crime analogue au plagiat du droit romain.

Coles avait Ă©tĂ© trop vite : il s’Ă©tait dĂ©couvert avant l’heure, et ses adversaires profitĂšrent habilement de sa faute. Une commission nommĂ©e par la lĂ©gislature pour examiner cette partie de son discours, rĂ©pondit que, quelles que fussent les dispositions de l’ordonnance de 1787, « le peuple de l’Illinois avait le droit de changer sa constitution, comme le peuple de la Virginie ou de tout autre État, et pouvait prendre, relativement Ă  l’esclavage des NĂšgres, telles dispositions qu’il voudrait, nonobstant tous contrats, ordonnances, etc. ; que, par consĂ©quent, la seule maniĂšre de rĂ©soudre les questions posĂ©es par le message du gouverneur Ă©tait de convoquer une convention souveraine ayant pour objet de rĂ©viser la constitution. »

Le coup Ă©tait droit et bien portĂ©. Les adversaires de Coles, habiles et audacieux joueurs, mettaient subitement le dĂ©bat sur un terrain nouveau, plein d’imprĂ©vu et de surprises, et qui, aux États-Unis comme dans l’Ancien Monde, ne peut ĂȘtre abordĂ© sans une profonde agitation des esprits : la rĂ©vision des lois constitutionnelles. Coles, emportĂ© par l’ardeur de la jeunesse, par la gĂ©nĂ©rositĂ© de son dĂ©vouement Ă  une noble cause, mal armĂ© encore contre les ruses des politiciens, avait, sans le vouloir, dĂ©chaĂźnĂ© une tempĂȘte.

Il y tint tĂȘte courageusement ; mais combien cet homme droit et franc dut souffrir dans la lutte ! Rien, au moins jusqu’Ă  ces derniers temps, n’aurait pu, en France, donner une idĂ©e des misĂ©rables inventions, des expĂ©dients honteux, auxquels s’abaissĂšrent ses ennemis ou plutĂŽt les ennemis de la libertĂ©, poursuivie en sa personne. Le temps et l’espace me manquent pour reproduire ici les types de politiciens Ă  la fois grotesques et dangereux, singes et renards, que fait passer sous nos yeux le livre de M. Washburne, aidĂ© des curieuses notes d’un contemporain, le juge Gillespie, une sorte de La BruyĂšre ou de Saint-Simon illinois qui excelle Ă  dessiner en quelques traits un caractĂšre, Ă  mettre en relief une laide tĂȘte, un cƓur malfaisant ou un rustre mal Ă©levĂ©. HĂ©las ! ces types paraĂźtraient peut-ĂȘtre moins Ă©tranges et moins neufs, aujourd’hui, qu’ils n’auraient semblĂ©, il y a quelques annĂ©es : les mƓurs politiques se sont tellement abaissĂ©es chez nous, elles ont si rapidement descendu la fatale pente dĂ©mocratique, que certaines fractions des Chambres françaises, en cette fin de siĂšcle, ne s’Ă©lĂšvent point beaucoup au-dessus de l’humble niveau intellectuel et moral oĂč Ă©tait encore la majoritĂ© du petit parlement illinois en 1822. Un incident fera juger des tricheries auxquelles se prĂȘtait alors, en AmĂ©rique, le jeu parlementaire.

Pour que le peuple fĂ»t appelĂ© Ă  voter sur la rĂ©union d’une convention, ayant pour but de rĂ©viser les lois constitutionnelles, il fallait que la question lui fĂ»t soumise par une rĂ©solution des deux Chambres, prise Ă  la majoritĂ© des deux tiers de leurs membres. Le sĂ©nat de l’Illinois Ă©tait prĂ©cisĂ©ment formĂ© pour les deux tiers d’esclavagistes. De ce cĂŽtĂ©, la majoritĂ© voulue Ă©tait acquise. Mais, Ă  la Chambre basse, le parti de la rĂ©vision, – ou de l’esclavage, c’Ă©tait tout un, – quoique en majoritĂ©, manquait d’une voix pour atteindre le nombre requis par la loi. Comment faire pour y parvenir ? Il n’y avait qu’un moyen : un coup de force parlementaire. Mais sur quoi le faire porter ? Sur une Ă©lection. Nous savons, en France, comment un parlement annule des Ă©lections dĂ©sagrĂ©ables Ă  la majoritĂ©, mĂȘme lorsqu’elles sont parfaitement lĂ©gales. Nos dĂ©putĂ©s ont montrĂ© leur savoir-faire dans ce genre, en 1877 et depuis. Mais il ne leur est pas encore arrivĂ© d’annuler, au mĂ©pris de la chose jugĂ©e, une Ă©lection plusieurs mois aprĂšs l’avoir validĂ©e, et cela uniquement pour remplacer un membre de la minoritĂ© par une persona grata, dont ils estiment le concours utile Ă  leurs idĂ©es ou Ă  leurs passions. Les politiciens de l’Illinois donnĂšrent ce spectacle Ă©difiant, qui un jour peut-ĂȘtre se reproduira chez nous, tant nos progrĂšs dans la voie du sans-gĂȘne parlementaire sont maintenant rapides !

Un dĂ©putĂ©, nommĂ© Hansen, avait eu pour concurrent, dans le comtĂ© de Pike, un ardent esclavagiste du nom de Shaw, surnommĂ© « le Prince-Noir » Ă  cause du grand nombre de « demi-sang » nĂ©s sur ses terres. L’Ă©lection de Hansen avait Ă©tĂ© validĂ©e par la Chambre le 9 dĂ©cembre 1822. Il n’Ă©tait pas encore question de la rĂ©vision des lois constitutionnelles. Quand l’agitation eut Ă©tĂ© commencĂ©e, les meneurs de la majoritĂ© rĂ©visionniste, en quĂȘte d’une voix, et mĂ©contents d’un prĂ©cĂ©dent vote de Hansen, rĂ©solurent de chasser celui-ci de son siĂšge et d’y introduire « le Prince-Noir ». Le 12 fĂ©vrier 1823, le colonel Field, revenant sur la chose jugĂ©e neuf semaines auparavant, attaqua violemment l’Ă©lection de Hansen, et produisit un certificat d’un ami de Shaw attestant que celui-ci avait Ă©tĂ© Ă©lu : la majoritĂ© de la Chambre dĂ©clara Hansen dĂ©chu de son siĂšge 4 et Shaw dĂ©putĂ©. Le tour Ă©tait jouĂ©. Le parti rĂ©visionniste possĂ©da dĂ©sormais le nombre de voix nĂ©cessaire pour que, par les deux tiers des votes des deux Chambres, une rĂ©solution fĂ»t passĂ©e appelant le peuple de l’Illinois Ă  se prononcer sur l’opportunitĂ© de convoquer une convention, chargĂ©e de rĂ©viser les lois constitutionnelles, c’est-Ă -dire d’ouvrir Ă  l’esclavage le territoire de l’État, que la constitution actuellement en vigueur lui avait fermĂ©.

Pendant un an et demi, l’Illinois fut en proie Ă  une agitation croissante ; car le plĂ©biscite ne devait avoir lieu que le premier lundi d’aoĂ»t 1824. Les AmĂ©ricains aiment Ă  laisser ainsi mĂ»rir les questions, aprĂšs les avoir posĂ©es ; mais que d’orageux soleils sont nĂ©cessaires pour les amener Ă  maturitĂ© ! DĂšs que le vote de la lĂ©gislature eut Ă©tĂ© acquis, on vit Ă  Vandalia, alors capitale politique de l’Illinois, une procession grotesque, conduite par des juges, d’anciens gouverneurs, des personnages officiels, et formĂ©e par la majoritĂ© des deux Chambres, manifester sous les fenĂȘtres de Coles, et y faire entendre un charivari oĂč les sons du tambour, de la trompette, des poĂȘles Ă  frire frappĂ©es en cadence, se mĂȘlaient Ă  des grognements, Ă  des cris d’animaux, Ă  d’ironiques lamentations. Ce dĂ©but promettait : la suite tint les promesses. L’État tout entier se divisa en convention et anti-convention men, et bientĂŽt en esclavagistes et anti-esclavagistes, car le but des meneurs devenait chaque jour plus clair. Les places publiques, les clubs, les maisons, les chaires chrĂ©tiennes, retentissaient de discours pour ou contre l’esclavage des NĂšgres. Bien des gens ne se montraient plus sans orner leur ceinture d’une panoplie de pistolets et de poignards. La foule pendit trois partisans de la libertĂ©, mais, par bonheur, en effigie seulement. Comme l’Ă©crivait Coles, « l’esclavage est un tel poison, qu’il jette dans le dĂ©lire ses partisans ». Heureusement ses adversaires, parmi lesquels Ă©taient la plupart des hommes religieux et des prĂ©dicateurs de l’Évangile, gardaient mieux leur sang-froid. Coles Ă©tait Ă  leur tĂȘte, leur cherchant partout des alliĂ©s, encourageant les hommes de talent et de bonne volontĂ© Ă  Ă©crire en faveur de la cause libĂ©rale, rĂ©pandant les journaux et les brochures, pesant sur l’opinion de tout le poids de son influence personnelle, administrant de son mieux l’État malgrĂ© l’opposition systĂ©matique et souvent injurieuse de la majoritĂ© lĂ©gislative. Le conflit dont il avait Ă©tĂ© l’auteur involontaire remuait profondĂ©ment sa pensĂ©e et son cƓur. « Je suis nĂ©, – Ă©crivait-il Ă  l’un de ses amis, l’anglais Flower, qui, aprĂšs s’ĂȘtre Ă©tabli dans le Kentucky avait, comme Coles, Ă©migrĂ© en Illinois pour fuir le contact de la servitude, – je suis nĂ© au sein mĂȘme de l’esclavage des Noirs, je l’ai vu, avec tout ce qu’il amĂšne, j’ai rĂ©flĂ©chi sur sa nature, et, comme il m’a Ă©tĂ© impossible de le concilier avec ma croyance tant politique que religieuse, j’ai abandonnĂ© mon pays natal, mes vieux parents, mes amis, pour chercher ici des principes et des mƓurs conformes Ă  mes sentiments. Jugez de ce que j’Ă©prouve en assistant aux efforts aujourd’hui tentĂ©s pour faire de notre libre sociĂ©tĂ© une odieuse association de maĂźtres et d’esclaves ! »

Le temps combattit pour la cause Ă  laquelle se dĂ©vouaient Coles et ses amis. L’idĂ©e de rĂ©vision avait d’abord Ă©tĂ© populaire. Le pays souffrait : les temps Ă©taient durs. Des rĂ©coltes abondantes, et des dĂ©bouchĂ©s insuffisants ; une industrie languissante, des ouvriers sans ouvrage ; l’or effrayĂ© se cachant, et remplacĂ© par un papier-monnaie, sans valeur rĂ©elle et Ă  cours variable, qui retirait aux transactions toute soliditĂ© et tout sĂ©rieux ; en mĂȘme temps, le flot de l’Ă©migration, source de tant de richesses, se dĂ©tournant de l’Illinois pour se porter vers le nouvel État du Mississipi : telle Ă©tait la situation, bien faite pour Ă©branler les courages mal trempĂ©s ou les opinions hĂ©sitantes. Voyant passer Ă  travers leur pays, mais sans s’y arrĂȘter, de longs convois, wagons pleins d’esclaves, traĂźnĂ©s par de superbes chevaux, fiers planteurs, bien Ă©quipĂ©s, bien montĂ©s, et entendant ceux-ci dire qu’ils ne s’Ă©tablissaient pas dans l’Illinois parce que la loi y interdisait l’esclavage, les fermiers mĂ©contents, les industriels ruinĂ©s, enviaient le bonheur des États voisins, et maudissaient le libĂ©ralisme importun de leur constitution. Les adversaires de celle-ci exploitĂšrent habilement ces sentiments Ă©goĂŻstes. Cependant, l’annĂ©e suivante, les idĂ©es changĂšrent. La situation matĂ©rielle s’Ă©tait-elle amĂ©liorĂ©e ? Coles avait-il rĂ©ussi dans ses efforts pour agir sur l’opinion, et en particulier dans sa propagande infatigable de saines notions Ă©conomiques, montrant qu’Ă  la longue dans les territoires esclavagistes le prix des terres s’avilit, tandis qu’il augmente dans les territoires sans esclaves ? Quelle que fĂ»t la raison de ce revirement, le jour du scrutin trouva les esprits bien disposĂ©s pour les doctrines conservatrices et libĂ©rales, c’est-Ă -dire pour les idĂ©es hostiles Ă  la rĂ©vision. Celle-ci eĂ»t Ă©tĂ© acclamĂ©e un an auparavant ; elle fut, au mois d’aoĂ»t 1824, repoussĂ©e par une majoritĂ© de 1.872 voix sur 11.772 votants.


IV


Coles avait eu d’autant plus de mĂ©rite Ă  combattre vaillamment ce bon combat, que, pendant l’annĂ©e 1824, un monstrueux procĂšs, Ɠuvre de ses ennemis politiques, mettait ses intĂ©rĂȘts privĂ©s en pĂ©ril.

Nous connaissons en partie ce procĂšs par sa correspondance avec son ami Roberts Vaux. Roberts Vaux est une curieuse et attachante figure de quaker. C’est le quaker classique : il est nĂ© et a toujours vĂ©cu Ă  Philadelphie, la ville fondĂ©e par Penn ; il est riche, comme tout bon quaker doit l’ĂȘtre ; il se conforme dans ses lettres Ă  toutes les observances de la secte, tutoie ses correspondants, Ă©vite comme un blasphĂšme le mot monsieur, se garde d’Ă©crire le nom du mois : soyez sĂ»r qu’un tel homme n’a jamais dit bonjour ou bonsoir, et n’a ĂŽtĂ© devant personne son chapeau de forme basse et Ă  larges ailes. Mais en mĂȘme temps Roberts Vaux est un quaker consĂ©quent. On a connu des membres de la SociĂ©tĂ© des Amis qui ne conservaient de l’ancienne observance que l’habit Ă  collet droit et le chapeau plat ; ceux-lĂ  s’intĂ©ressaient aux choses mondaines, ne rĂ©prouvaient point la guerre, quand on ne les obligeait pas Ă  prendre eux-mĂȘmes le mousquet, et, dans l’intĂ©rĂȘt de la paix universelle, condescendaient Ă  possĂ©der des esclaves. Vaux n’est point de ces relĂąchĂ©s. Il porte avec sĂ©rieux et sincĂ©ritĂ© son titre d’ami du genre humain. C’est un honnĂȘte homme, naĂŻf et bon, qui s’Ă©prend de Coles, le sert avec zĂšle dans sa lutte contre les idĂ©es esclavagistes, Ă©crit pour lui tracts et brochures, et devient peu Ă  peu le plus intime et le meilleur confident du gouverneur de l’Illinois. Une des plus belles lettres de Coles est celle oĂč il raconte Ă  Roberts Vaux l’histoire du procĂšs intitulĂ©, dans la langue juridique amĂ©ricaine, The county of Madison versus Edward Coles. Voici quelle en fut l’occasion.

On se rappelle que Coles, avant d’entrer dans l’Illinois, avait donnĂ© Ă  ses esclaves un acte d’affranchissement gĂ©nĂ©ral, puis, sur l’avis du jurisconsulte Cook, et pour se conformer Ă  une loi rĂ©cemment votĂ©e, avait, une fois arrivĂ© dans l’État, remis Ă  chacun d’eux un certificat individuel de libĂ©ration. Il devait se croire en rĂšgle ; il ne l’Ă©tait pas encore. Les pouvoirs lĂ©gislatif et exĂ©cutif de l’Illinois avaient, Ă  cette Ă©poque, une singuliĂšre habitude : on votait une loi, puis on laissait passer de longs mois avant de la promulguer par une publication officielle. Une autre loi avait Ă©tĂ© votĂ©e quelques mois avant que Coles devĂźnt citoyen de cet État : elle dĂ©fendait d’y introduire un NĂšgre pour l’affranchir, Ă  moins de prendre l’engagement, sous une caution personnelle de mille dollars, que ce NĂšgre ne tomberait jamais Ă  la charge publique ; « l’Ă©mancipateur » qui omettait de prendre cet engagement Ă©tait passible d’une amende de deux cents dollars pour chaque affranchi. Ni Coles, ni Cook lui-mĂȘme ne connaissaient l’existence de cette loi ; cela Ă©tait pardonnable, pour le premier surtout, car elle n’Ă©tait pas encore promulguĂ©e : elle ne le fut que cinq mois aprĂšs l’installation des NĂšgres de Coles dans l’Illinois. Les esclavagistes en prirent cependant prĂ©texte pour traduire Coles en justice.

Le meneur de cette nouvelle intrigue, l’instigateur du procĂšs, y avait personnellement peu d’intĂ©rĂȘt ; quand mĂȘme les affranchis (qui d’ailleurs avaient tous prospĂ©rĂ©) auraient dĂ» tomber un jour Ă  la charge de l’assistance publique, il n’eĂ»t point eu Ă  y contribuer pour sa part, ne possĂ©dant aucune propriĂ©tĂ© et ne payant point d’impĂŽt. Raison de plus pour crier fort : en pays dĂ©mocratique ce ne sont pas, on le sait, les plus imposĂ©s qui tiennent gĂ©nĂ©ralement les cordons de la bourse. On ne nous dit pas quelles autoritĂ©s du comtĂ© de Madison, domicile des affranchis de Coles, se dĂ©cidĂšrent Ă  intervenir ; je ne suis point assez versĂ© dans la procĂ©dure illinoise pour expliquer clairement la marche suivie ; toujours est-il qu’Ă  la session de mars 1824, tenue par la cour de circuit d’Edwardsville, le procĂšs « du comtĂ© de Madison versus Edward Coles » fut pour la premiĂšre fois appelĂ©.

La cour de circuit, assistĂ©e d’un jury, siĂšge au moins deux fois par an dans chaque comtĂ© : elle connaĂźt de toutes les affaires importantes, et occupe en AmĂ©rique, dans chaque État, le troisiĂšme degrĂ© de la hiĂ©rarchie judiciaire. Au-dessus d’elle, il n’y a que la cour suprĂȘme de l’État, dont le juge unique, assistĂ© d’un juge adjoint qui lui prĂ©pare et lui expose les affaires, siĂšge tour Ă  tour dans les divers comtĂ©s ; celle-ci joue Ă  peu prĂšs le rĂŽle de notre cour de cassation. La magistrature est presque partout Ă©lective, soit par le suffrage direct, soit par le vote des parlements locaux. En Illinois, Ă  l’Ă©poque dont nous nous occupons, elle se recrutait par ce dernier mode. Dans un de ses messages, Coles appelle l’attention des membres de la lĂ©gislature sur le devoir qui leur incombe d’appeler aux fonctions judiciaires – « Ă  ces fonctions les plus hautes de toutes, car de la sagesse de ceux qui les remplissent dĂ©pendent nos fortunes et nos vies » – les hommes les plus dignes par leur capacitĂ©, leur science et leur caractĂšre, et de laisser de cĂŽtĂ©, dans cette Ă©lection, tout prĂ©jugĂ© personnel et toute partialitĂ© politique. Paroles d’un sage, qui prĂȘche dans le dĂ©sert. Nous avons sous les yeux une lettre adressĂ©e Ă  Coles lui-mĂȘme par un candidat Ă  une fonction dont la nomination dĂ©pendait du gouverneur. « Si vous me nommiez, dit le candidat, cela me serait personnellement trĂšs avantageux, et aussi me permettrait de faire du bien Ă  mes amis et du mal Ă  mes ennemis, » it woult benefit me individually, and enable me to serve my friends and punish my ennemies. Tous les candidats aux fonctions Ă©lectives de la judicature n’avaient pas la candeur ou la franchise de dire tout haut Ă  ceux de qui dĂ©pendait leur nomination ce qu’un candidat Ă  des fonctions d’un autre ordre osait ainsi Ă©crire au gouverneur ; mais la plupart le pensaient tout bas : c’Ă©tait une clause sous-entendue du marchĂ© passĂ© entre eux et leurs Ă©lecteurs. Malheur par consĂ©quent aux adversaires politiques qui devaient ensuite comparaĂźtre Ă  leur barre ! Coles en fit la dure expĂ©rience.

Son affaire avait Ă©tĂ© appelĂ©e Ă  la session de mars, puis renvoyĂ©e Ă  celle de septembre. Un esclavagiste, le juge Reynolds, prĂ©sidait alors la cour. Aussi toutes les exceptions, mĂȘme les mieux fondĂ©es, opposĂ©es par Coles Ă  la poursuite furent successivement rejetĂ©es ; le jury, appelĂ© Ă  se prononcer, condamna le dĂ©fendeur Ă  une amende de deux mille dollars. La loi permettait Ă  celui-ci de rĂ©clamer un nouvel examen de la cause Ă  une autre session : elle revint donc une troisiĂšme fois, en mars 1825, devant la cour de circuit, appelĂ©e Ă  dĂ©cider s’il y avait ou non lieu d’accorder a new trial. La cour avait alors pour prĂ©sident un esclavagiste, le juge McRoberts, et la motion de Coles fut repoussĂ©e, bien qu’il invoquĂąt, cette fois, une amnistie votĂ©e deux mois auparavant par la lĂ©gislature en faveur de ceux qui avaient contrevenu, comme on l’en accusait, Ă  la loi sur les NĂšgres affranchis. Un arrĂȘt de la cour de circuit, digne assurĂ©ment de prendre place parmi les plus curieux monuments d’ineptie que les fastes judiciaires aient jamais enregistrĂ©s, dĂ©cida que, dans le cas prĂ©sent, le parlement n’avait pas eu le droit de s’opposer par une loi nouvelle au recouvrement d’amendes dĂ©jĂ  prononcĂ©es : cela revenait Ă  dire qu’une amnistie ne saurait avoir d’effet rĂ©troactif ! DĂ©cidĂ©ment, Ă©lective ou non, une magistrature politique est une belle chose.

Laissons ces misĂšres, et, pour l’honneur de l’humanitĂ©, regardons une grande chose, l’Ăąme de celui qui souffrait pour la justice. « Jusqu’Ă  prĂ©sent, Ă©crivait Coles Ă  Roberts Vaux au cours de son procĂšs, j’avais eu la bonne fortune de toujours vivre en parfaite harmonie avec les autres hommes. La haine et la persĂ©cution dont je viens d’ĂȘtre victime m’ont fait entrer dans un nouvel ordre de sentiments : j’ai voulu jeter un regard sur ma conduite passĂ©e pour voir si elle avait Ă©tĂ© juste. En faisant cette revue, j’ai eu la joie de reconnaĂźtre que je n’avais sĂ©rieusement offensĂ© personne ; mais j’ai senti une profonde douleur Ă  la pensĂ©e des violences auxquelles j’ai Ă©tĂ© en butte, quand mon seul crime est d’avoir demandĂ© pour tous les hommes des droits Ă©gaux, et d’avoir fait obstacle Ă  ceux qui voulaient acquĂ©rir le pouvoir d’opprimer leurs frĂšres. ConsidĂ©rant de ce point de vue ma situation, je remercie la Providence de m’avoir fait souffrir pour une grande cause, et je lui rends grĂące de m’avoir constituĂ© de telle sorte qu’il n’y ait point de place en moi pour le doute, la crainte ou l’hĂ©sitation. Mes opinions ont Ă©tĂ© longuement et mĂ»rement formĂ©es, j’ai pris avec rĂ©flexion le chemin que je suis ; les calomnies, les persĂ©cutions ou les menaces ne m’en feront pas dĂ©vier. »

Cependant Coles n’Ă©tait pas Ă  la fin de ses Ă©preuves. Il en avait appelĂ© de la cour de circuit Ă  la cour suprĂȘme ; celle-ci cassa la dĂ©cision du juge McRoberts. Mais Coles n’avait pas eu la patience d’attendre que justice fĂ»t ainsi rendue au bon sens et au bon droit. Un article portant sa signature, et critiquant l’Ă©trange arrĂȘt de McRoberts, avait, quelque temps auparavant, paru dans un journal. McRoberts saisit avidement l’occasion que lui offrait l’imprudence de sa victime. Deux nouveaux procĂšs furent par lui intentĂ©s Ă  Coles, un procĂšs criminel pour libelle, un procĂšs civil en son nom propre, demandant cinq mille dollars de dommages-intĂ©rĂȘts. MalgrĂ© les efforts de Coles, qui aurait voulu sortir triomphant de la nouvelle lutte suscitĂ©e par la malice de ses ennemis, l’accusation fut abandonnĂ©e, et l’action civile tomba d’elle-mĂȘme. À la fin de l’annĂ©e 1826, il pouvait enfin respirer librement : toutes les chicanes de la procĂ©dure amĂ©ricaine Ă©taient venues s’Ă©mousser contre l’aes triplex de sa fiĂšre et intrĂ©pide conscience, non sans lui faire cependant au cƓur plus d’une secrĂšte blessure.

V

Cette annĂ©e 1826 marqua la fin de la vie publique de Coles. Ses pouvoirs de gouverneur expiraient : il dit adieu au petit parlement de l’Illinois par un message fort digne, dans lequel il pousse une derniĂšre fois le cri de la justice et de l’humanitĂ©. Demandant aux Chambres de voter des lois qui missent la condition des malheureux enfants de l’Afrique en harmonie avec les institutions politiques de l’État, il les conjure surtout d’effacer des codes la prĂ©somption barbare qui voyait dans tout homme de couleur un esclave, Ă  moins qu’il n’apportĂąt la preuve Ă©crite de sa libertĂ©, et de la remplacer par la prĂ©somption contraire : tout homme, quelle que soit sa couleur, est libre, si l’on ne prouve qu’il est esclave.

Rendu Ă  la vie privĂ©e, Coles, qui aimait l’agriculture, continua pendant plusieurs annĂ©es de rĂ©sider prĂšs de sa ferme d’Edwardsville. Mais, de temps en temps, il allait revoir la vieille maison paternelle en Virginie. Les impressions si vives produites dans ce pays par son exil volontaire et l’affranchissement de ses NĂšgres s’Ă©taient effacĂ©es : l’autoritĂ© de son caractĂšre personnel, la grande notoriĂ©tĂ© politique acquise dĂ©sormais par lui, imposaient partout le respect. D’ailleurs, il n’avait pas cessĂ© d’entretenir d’affectueux rapports avec les membres de sa famille, et il s’intĂ©ressait passionnĂ©ment aux destinĂ©es de son pays natal ; une lettre Ă©crite par lui en 1826 Ă  son beau-frĂšre, John Rutherford, qui venait d’ĂȘtre Ă©lu membre de la lĂ©gislature virginienne, montre dans quelle voie il ne dĂ©sespĂ©rait point (les Ă©vĂ©nements, hĂ©las ! lui ont donnĂ© tort) de voir un jour entrer le vaste et bel État qui avait Ă©tĂ© son berceau. J’en dĂ©tache un passage curieux qui contient, avec un parallĂšle du sort des NĂšgres dans les colonies d’origine espagnole et britannique, des vues sages, patientes, modĂ©rĂ©es, sur l’amĂ©lioration graduelle de la condition des esclaves, lĂ  oĂč l’Ă©mancipation immĂ©diate ne serait pas jugĂ©e possible :

« L’histoire des colonies anglaises et espagnoles montre, dit-il, que les esclaves se sont mieux conduits lĂ  oĂč ils ont Ă©tĂ© mieux traitĂ©s et ont eu devant les yeux la perspective de l’affranchissement, tandis que les insurrections ont Ă©tĂ© plus frĂ©quentes dans les lieux oĂč ils ont Ă©tĂ© opprimĂ©s, et oĂč la loi a rendu les affranchissements rares et difficiles. Nous n’entendons jamais parler de rĂ©voltes dans les Ăźles espagnoles 5, oĂč les esclaves sont placĂ©s sous l’attentive protection de la loi, et oĂč chacun peut librement affranchir. La Virginie devrait rapporter la loi prohibitive de l’Ă©mancipation, interdire le trafic des esclaves, presque aussi odieux que la traite africaine, restreindre le pouvoir qu’a le maĂźtre de disposer de ses NĂšgres, en l’empĂȘchant de sĂ©parer l’enfant du pĂšre, le mari de la femme, et, autant que possible, attacher l’esclave au sol natal ; elle doit surtout veiller Ă  ce que l’on enseigne aux esclaves les devoirs de la religion, Ă©tendre sur eux la protection des lois, punir le maĂźtre cruel, affranchir ou au moins vendre Ă  un autre maĂźtre l’esclave maltraitĂ©. De telles mesures auraient le plus salutaire effet ; on pourrait imiter l’Espagne, qui permet Ă  ses esclaves de racheter une partie de leur temps dĂšs qu’ils en ont le moyen : ainsi, un NĂšgre valant 600 shillings peut, en payant 100 sh., acquĂ©rir la libre disposition d’un jour par semaine, de deux jours en en payant 200, etc. » Coles serait d’avis que l’on pĂ»t ensuite Ă©tablir en dehors de l’État les Noirs libĂ©rĂ©s ; mais sa pensĂ©e n’est point mĂ©prisante comme celle de Jefferson : il dĂ©plore « le malheureux prĂ©jugĂ© existant entre les Blancs et les Noirs, et faisant qu’il est de l’intĂ©rĂȘt des uns et des autres de vivre sĂ©parĂ©s ».

« Si je pouvais apprendre que des lois meilleures ont Ă©tĂ© adoptĂ©es par mon pays, quand mĂȘme il ne me serait pas donnĂ© de voir la complĂšte Ă©mancipation, je mourrais au moins avec la consolation de croire que justice sera un jour rendue aux descendants des malheureux Africains, et que mon pays, la lointaine postĂ©ritĂ© de ma famille, sinon mes neveux et niĂšces, vivront enfin en paix et en sĂ»retĂ©, dĂ©livrĂ©s de la perpĂ©tuelle menace que fait peser sur tous un systĂšme odieux et contre nature, fĂ©cond en haines, en divisions, en guerres domestiques. »

Coles s’Ă©tait trompĂ© : les planteurs de la Virginie refusĂšrent d’entrer dans les voies larges et gĂ©nĂ©reuses qu’il entrouvrait devant eux. Lorsque, quarante ans plus tard, retirĂ© depuis de longues annĂ©es Ă  Philadelphie, il reçut la nouvelle de la prise de Richmond, des ruines et des humiliations sans nombre souffertes par sa patrie, le vieux Virginien dut se souvenir de ses conseils mĂ©prisĂ©s, et pleurer sur l’orgueil obstinĂ© qui avait forcĂ© la Providence Ă  porter de tels coups et Ă  infliger de telles leçons. Mais, s’il n’avait pu prĂ©server la Virginie, il garde au moins la gloire d’avoir sauvĂ© l’Illinois. Sans l’Ă©nergie montrĂ©e par lui pendant les pĂ©nibles et orageuses annĂ©es de son gouvernement, cet État eĂ»t ouvert ses frontiĂšres Ă  la servitude, et se fĂ»t probablement laissĂ© entraĂźner Ă  la dĂ©rive par le lĂąche courant qui portait un grand nombre de ses habitants vers les idĂ©es et les mƓurs esclavagistes. Coles se mit en travers, et le courant s’arrĂȘta. C’est le grand acte de sa carriĂšre politique. Mais il n’eut la force de l’accomplir que parce qu’il s’Ă©tait fait, tout jeune, des convictions profondes, et parce qu’il avait proposĂ© Ă  sa vie privĂ©e comme Ă  sa vie publique le mĂȘme idĂ©al de justice. LĂ  fut la source de son autoritĂ© morale. Entre l’homme public et l’homme privĂ© il n’y eut jamais chez lui la plus lĂ©gĂšre dissidence : quand il se levait pour lutter en faveur de la bonne cause, c’Ă©tait tout d’une piĂšce, comme les chevaliers d’autrefois, et la mĂȘme conscience l’enveloppait entiĂšrement de son airain. Qu’on ne s’Ă©tonne pas de telles expressions employĂ©es Ă  propos d’un citoyen des États-Unis : trouverait-on dans l’Ancien Monde beaucoup de vies plus nobles, plus pures, plus vraiment chevaleresques, je rĂ©pĂšte ce mot, que celle de l’homme qui, avant de rompre des lances en faveur de la libertĂ© des Noirs, commença par affranchir tous les siens, c’est-Ă -dire par se dĂ©pouiller et s’appauvrir, afin d’acquĂ©rir le droit de combattre la tĂȘte haute, et d’ajouter Ă  la parole le poids de l’exemple ? Plus tard, quand la lutte ne fut plus seulement entre les libĂ©raux et les esclavagistes, quand elle fut autant et surtout entre le Nord et le Sud, la libertĂ© put avoir des champions moins dĂ©sintĂ©ressĂ©s ; mais l’Ă©pisode que nous venons de raconter appartient Ă  une autre Ă©poque, il met en relief un hĂ©ros pur de tout alliage, et mĂ©ritait, ce nous semble, pour l’honneur de l’humanitĂ©, d’ĂȘtre tirĂ© de l’oubli.

Paul ALLARD, Études d’histoire et d’archĂ©ologie, 1899.

1 Sketch of Edward Coles, second governor of Illinois, and the slavery struggle of 1823-1824. Un volume, Chicago, 1883.

2 En 1860, sur 4 millions 600 mille suffrages environ exprimĂ©s dans les Ă©lections primaires, Lincoln se trouva en minoritĂ© de plus de 900.000 voix. Mais la comparaison ne peut ĂȘtre faite que jusqu’Ă  un certain point, parce que, si les Ă©lections des gouverneurs d’État sont Ă  un seul degrĂ©, l’Élection du prĂ©sident des États-Unis est Ă  deux degrĂ©s, et Lincoln obtint, dans le collĂšge prĂ©sidentiel, une majoritĂ© de 29 voix sur 303 votants.

3 Il s’appelait Hubbart ; c’Ă©tait un niais. Voici un spĂ©cimen d’un discours prononcĂ© par lui en 1826, quand, enivrĂ© par un premier succĂšs, il osa briguer les fonctions de gouverneur : « Concitoyens, je pose ma candidature. Je ne prĂ©tends pas ĂȘtre un homme de talents extraordinaires ; je ne me donne pas pour l’Ă©gal de Jules CĂ©sar ou de NapolĂ©on Bonaparte, ni mĂȘme pour un grand homme, comme mon concurrent. Cependant, je me crois capable de vous gouverner assez bien. Je ne pense pas qu’il y ait besoin d’un homme extraordinaire pour vous gouverner. À vrai dire, concitoyens, je ne vous crois pas trĂšs difficiles Ă  gouverner tant bien que mal. » Tel Ă©tait le simpleton que le suffrage universel imposait pour lieutenant Ă  Coles pendant quatre ans !

4 Pour donner une idĂ©e de la carriĂšre d’un AmĂ©ricain, voici les diffĂ©rentes situations occupĂ©s par Hansen pendant neuf ans de sĂ©jour en Illinois, de 1890 Ă  1829 : maĂźtre d’Ă©cole ; – colonel ; – Juge ; – dĂ©putĂ© ; – invalidĂ© ; – une seconde fois dĂ©putĂ© ; – dĂ©missionnaire ; – gĂ©nĂ©ral ; – juge of probate. – En 1889, il quitta l’Illinois, et mourut en 1872, Ă  l’Ăąge de quatre-vingt-onze ans. « His only fault was a love of liquor. »

5 Ces paroles ont malheureusement cessĂ© d’ĂȘtre vraies. Mais les Ă©loges que donne ici Ă  la lĂ©gislation espagnole sur l’esclavage un tĂ©moin assurĂ©ment peu suspect, Ă©taient mĂ©ritĂ©s. À Cuba, Ă©crivait en 1861 M. Cochin, dans son beau livre sur l’Abolition de l’Esclavage (t. II, p. 194), « l’esclavage est doux ; il l’a toujours Ă©tĂ© dans les colonies espagnoles. Des lois humaines assurent protection Ă  l’Africain, comme autrefois Ă  l’Indien. Elles lui confĂšrent quatre droits : celui de changer un maĂźtre contre un autre, si l’esclave en trouve un disposĂ© Ă  l’acheter ; celui de se marier ; celui de se racheter peu Ă  peu par le produit de son travail ; celui de racheter sa femme et ses enfants. »

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