Ils se nomment Clodomir, Sigebert ou Chilpéric… Mais ces noms compliqués n’encombrent pas notre mémoire collective. Tout au plus retient-on Clovis, pour une sombre histoire de vase cassé à Soissons, ou Dagobert, pour des problèmes vestimentaires qu’il n’a sans doute jamais éprouvés. Pour le reste, les Mérovingiens font pâle figure : barbares ou fainéants, ils ne semblent guère mériter leur place dans les livres d’histoire.
Il est vrai que la première dynastie royale se trouve écartelée entre Antiquité et Moyen Âge, ce qui dissimule son ampleur extraordinaire : plus de trois siècles de longévité, soit davantage que toutes les autres familles royales, à l’exception des Capétiens, et surtout près d’une centaine de rois, lesquels règnent souvent en même temps.
Les premiers Mérovingiens apparaissent dans le second tiers du ve siècle, avec des personnages mal documentés comme Clodion ou Mérovée. À cette date, le peuple des Francs occupe la basse vallée du Rhin. Il s’agit certes de Barbares (au sens où ils ne sont pas Romains), mais pas nécessairement d’envahisseurs. Depuis le début du ive siècle, les Francs fournissent en effet des officiers et des mercenaires à l’armée romaine, au point de former une sorte de « Légion étrangère » pour l’empire. Beaucoup de ces hommes ont appris le latin et apprécient plus le vin que la bière ; certains se sont même mariés avec des Gallo-Romaines. L’implantation des Francs sur le sol des provinces romaines est d’ailleurs perçue comme légale : les rois francs ont passé une alliance (un fœdus) avec l’empire, en vertu de laquelle ils reçoivent des terres en échange de l’aide militaire qu’ils apportent. Les « fédérés » se chargent ainsi de protéger le monde romain contre d’autres Barbares, jugés plus dangereux. En la matière, ils se montrent efficaces : en 451, les Francs aident l’Empire romain à vaincre Attila lors de la bataille des champs Catalauniques, près de l’actuelle ville de Troyes.
Jusqu’aux années 500, les Francs restent divisés entre une demi-douzaine de groupes dirigés par des roitelets vaguement apparentés. Les premiers Mérovingiens constituent ainsi une nébuleuse plus qu’une véritable dynastie. Le mieux connu d’entre eux est Childéric Ier (vers 458-481), dont la tombe a été retrouvée à Tournai, en Belgique actuelle. Le roi avait été enterré avec les insignes d’un grand officier de l’armée romaine, mais selon des rites d’inspiration germanique tels que la construction d’un tumulus ou le sacrifice de nombreux chevaux. Qu’en conclure ? Selon le point de vue que l’on adopte, les premiers Mérovingiens apparaissent comme des hauts fonctionnaires de l’empire ou comme des chefs barbares. Sans doute étaient-ils un peu des deux. Childéric disposait cependant d’un anneau inscrit à son nom, en latin, lui permettant de sceller des documents, ce qui laisse supposer qu’il disposait au moins d’un embryon d’administration. […]
Bruno Dumézil,
Maître de conférences, université Paris-ouest