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Yasmina Khadra Entretien exclusif avec Krim Belkacem Le lion des Djebels

La Rédaction
Yasmina Khadra Entretien exclusif avec Krim Belkacem
Le lion des Djebels me reçoit dans son petit coin paradisiaque. Emmitouflé dans une abaya blanche, il n’a pas l’air de se réjouir de ses privilèges de martyr. Sa maison est une copie de la maison de son père, une petite bâtisse en pierres taillées au burin, entourée d’un jardin potager. Il m’invite à prendre place à côté de lui, sous un immense olivier. Devant nous, s’étale une plaine féerique inondée d’aurores boréales. Au loin, on entend les houris chanter les ritournelles de Lounis Aït Menguelet. Sy Krim Belkacem est triste. Il n’arrête pas de se frapper dans les mains en signe de désarroi.
Yasmina Khadra : Alors, cette gorge, Sy Krim ?
Krim Belkacem (le sourire chagrin) : Bah ! La corde était raide. Je n’ai pas trop souffert dans ma chambre d’hôtel, tu sais ? Ce qui m’afflige, c’est d’avoir survécu à la guerre pour finir assassiné par les miens. Mais tu n’es pas là pour remuer le couteau dans la plaie, je présume.
YK : Un peu, tout de même. L’Algérie n’est toujours pas sortie d’affaire.
KB : C’est ce qui me peine au plus profond de mon être. Tout à l’heure, j’ai été rendre visite à Abane Ramdane. Il n’a pas voulu m’ouvrir sa porte. Il s’est enfermé dans sa maison et refuse toutes les visites. Abane, lorsqu’il se replie sur lui-même, c’est comme un veuf qui s’interdit de faire son deuil. Quant à Ben Boulaïd, je ne te dis pas. Ce qui se passe au bled est en train de transformer le Ferdaous en chambre mortuaire. Les Chouhadas ne savent où donner de la tête. Même Larbi Ben M’hidi parle tout seul en arpentant le paradis d’un bout à l’autre. Si tu voyais Hassiba Ben Bouali noyée dans ses larmes! Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi nos survivants n’ont de cesse de nous faire souffrir. Nous avons donné notre vie pour que vive l’Algérie. Voir ce que notre patrie chérie est devenue me brise le cœur.
YK : C’est ainsi, malheureusement. Il y a ceux qui meurent pour que vive la patrie, et il y a ceux qui vivent pour que meurent les serments d’hier.
BK : Les serments ? Je les croyais aussi sacrés que les versets, aussi incommensurables que le destin. Lorsque je risquais ma peau tous les jours dans les maquis, je n’avais peur que d’une chose : que le doute chahute nos chants patriotiques. Avec la bleuite, les règlements de comptes et les luttes intestines au sein de l’ALN, notre révolution avançait sur un champ de mines. Mais, au fond de moi, quelque chose me disait que l’aube allait supplanter la nuit, que le joug colonial était condamné à rompre. A Aucun moment, je n’avais perdu de vue ce pourquoi je m’étais engagé. J’avais la foi plus grande que l’ensemble de mes charges. La nuit, lorsque le ciel se constellait de lucioles, c’était le visage radieux des enfants du pays que je voyais. Il m’arrivait de percevoir leurs rires jusque dans le pouls de mes veines. A l’époque, l’Algérie était plus qu’une prière, elle était toute une prophétie. Notre sacrifice nous paraissait la moindre des choses. Rien ne semblait égaler, à nos yeux, un moment de répit sur la terrasse d’un café enfin libéré où les Algériens, grands et petits, riches et pauvres pourraient siroter un thé à la menthe sans avoir à être virés comme des malpropres. J’imaginais nos femmes dans les rues, nos gamins à l’école, nos étendards sur le fronton des mairies et, pour moi, c’était le nirvana. Ce n’était pas grand-chose, peut-être, mais j’avais toujours eu le rêve modeste.
YK : Ce n’est pas le cas pour certains, aujourd’hui.
BK : C’est dommage. Car, il y a tout en Algérie pour faire des heureux, et des génies, et des champions dans chaque douar. Mais il arrive à des ventres de voir plus grand que les yeux. C’est ainsi que naissent les drames et les tragédies.
YK : Qu’aurais-tu fait, toi, si tu avais survécu ?
BK : Je me le demande toutes les nuits. Mais, je n’ai pas survécu.
YK : Qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans la tête de ceux qui ruinent notre nation ?
BK : Je n’aimerais pas rentrer dans leur tête. Je ne le supporterais pas. Ca doit être un endroit épouvantable hanté de desseins obscurs et délires. Je ne crois pas qu’il puisse exister grotte plus maléfique que la tête de ces gens-là. Même au faîte de leur empire, aussi souverains soient-ils, ils sont plus à plaindre qu’à condamner. Ces gens-là se croient les héros de leurs histoires alors qu’ils n’en sont que les figurants. Et s’ils n’ont rien compris à la perche que leur tend la gloire, c’est parce que leur légende est un synopsis bâclé. Ils vivront de mensonges et de flatteries jusqu’à ce que le naufrage efface leurs traces de la mémoire des braves. Le pouvoir est une possession démoniaque, Sy Mohammed. Il n’érige de stèles que pour ceux qui en sont dignes. Quant à ceux qui en abusent à tort et à travers, il ne les élèvera au firmament que pour rendre leur chute plus misérable.
YK : Aurais-tu un dernier mot pour les Algériens, Sy Krim ?
BK : Je n’ai pas de leçon à leur donner. Depuis quelques semaines, ils font preuve d’une maturité et d’un civisme extraordinaires. Quand je les vois conquérir les rues et se réapproprier la parole qu’on leur a confisquée, je me surprends à rêver comme au temps des maquis. Il faut qu’ils sachent que c’est la première fois, de toute l’Histoire de la Numédie, que les Algériens sont à deux doigts de décrocher la lune. Qu’ils la décrochent et qu’ils mordent dedans à pleines dents comme dans une pomme. C’est à eux que reviennent le privilège et le droit absolu de bâtir la patrie qui sied à leur talent. Qu’ils ne lâchent rien, ni aujourd’hui ni demain, qu’ils n’écoutent que leurs propres revendications et qu’ils ne confient ni aux sages ni aux Anciens leur destin car ils en pâtiraient dans la minute qui suit… Et maintenant, je suis obligé de te laisser. Je n’aime pas laisser Abane seul face à ses fantômes. Tu diras aux Algériens, même au paradis, aucun de nos chouhada ne reposera en paix tant que le soleil ne se lèvera pas en entier sur l’Algérie.
Par Yasmina Khadra

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