Le naufrage du Jan Heweliusz : la nuit où la Baltique a englouti un géant
Le 14 janvier 1993, entre 4 h 10 et 5 h 12 du matin, le ferry MS Jan Heweliusz disparaissait dans les eaux glacées de la mer Baltique. Parti de Świnoujście, en Pologne, pour rejoindre Ystad, en Suède, le navire sombra avec 56 personnes à bord. Ce drame reste, à ce jour, la plus grande catastrophe maritime en temps de paix de l’histoire polonaise.
Un navire marqué par la malchance
Construit en 1977, le Jan Heweliusz était un navire roulier appartenant à Polish Ocean Lines et exploité par Euroafrica. Il assurait quotidiennement la liaison entre Świnoujście et Ystad, transportant camions et wagons à travers la Baltique.
Mais le ferry traînait derrière lui une réputation d’accidenté chronique : en 15 ans de service, il avait subi près de trente incidents sérieux. En 1982, il avait frôlé le naufrage, et en 1986, un incendie dévastateur avait endommagé une partie de sa structure.
Pour réparer, les ingénieurs décidèrent d’ajouter 70 tonnes de béton sur le pont, une mesure qui compromit gravement sa stabilité.
Quatre jours avant sa dernière traversée, une manœuvre d’accostage à Ystad endommagea la porte arrière du navire. Le capitaine Andrzej Ułasiewicz demanda à suspendre les opérations pour effectuer des réparations sérieuses, mais la direction refusa : on lui ordonna de repartir, après un colmatage temporaire.
Cette décision coûtera la vie à des dizaines d’hommes.
La nuit de la tempête
Le Jan Heweliusz quitta Świnoujście le 13 janvier 1993 à 22 h 30, avec deux heures de retard. À son bord : 36 passagers, 29 membres d’équipage, 28 camions et 10 wagons. Tous ignoraient que la tempête Verena allait transformer la traversée en enfer.
Vers 2 h 40, les vents se renforcèrent brutalement, atteignant la force 12 sur l’échelle de Beaufort. Les rafales soufflaient à plus de 160 km/h et les vagues dépassaient 5 mètres de haut.
Pour stabiliser le navire, l’équipage prit une décision désespérée : remplir les ballasts du côté bâbord, à l’encontre des consignes de sécurité, ce qui accentua la gîte du ferry.
À 4 h du matin, une rafale d’une violence comparable à celle d’un ouragan frappa le flanc du navire. Le Jan Heweliusz pencha dangereusement. Les chargements mal arrimés glissèrent, aggravant la situation.
Le capitaine tenta de redresser le navire en le plaçant face au vent, mais il était déjà trop tard.
« Le capitaine Ułasiewicz a signalé une gîte de 30 degrés… puis de 70. Ensuite, plus rien. »
— Edward Bieniek, capitaine du MS Mikołaj Kopernik
À 4 h 30, l’ordre d’évacuation fut donné. Des passagers, à moitié endormis et vêtus de pyjamas, furent projetés par-dessus bord. À 4 h 40, le ferry lança un appel de détresse. Trente minutes plus tard, à 5 h 12, il chavira définitivement, à 24 km au large du cap Arkona, près de l’île allemande de Rügen.
Des secours trop tardifs
Les hélicoptères de sauvetage partirent de Parow et du Danemark, tandis que le ferry MS Jan Śniadecki rejoignait la zone du naufrage. Mais une erreur de communication sur la position du navire fit perdre une précieuse heure et demie.
Dans une mer glaciale à 2 °C, les survivants dérivaient, frappés par l’hypothermie.
Seuls neuf membres d’équipage furent retrouvés vivants et hospitalisés en Allemagne.
Les 56 autres — 20 marins et 36 passagers — ne revinrent jamais. Parmi eux, deux enfants.
L’enquête : la vérité longtemps engloutie
Une commission d’enquête fut créée par la Première ministre Hanna Suchocka, mais suspendue sans conclusions officielles quelques mois plus tard.
Il fallut plusieurs années pour que la responsabilité de l’armateur Euroafrica soit reconnue, aux côtés du Registre polonais de la marine marchande et du Bureau maritime de Szczecin.
Le capitaine Ułasiewicz, mort dans le naufrage, fut aussi partiellement mis en cause — une ironie tragique pour celui qui avait tenté, en vain, d’empêcher le départ du ferry.
Mémoire et héritage
En 2013, un mémorial a été inauguré au cimetière central de Szczecin, en hommage aux victimes. Un second se dresse sur la place Rybaka à Świnoujście.
Des objets récupérés du navire sont aujourd’hui exposés au Musée maritime national de Gdańsk, et l’épave, reposant à 24 mètres de profondeur, est devenue un site de plongée très visité.
Le Jan Heweliusz sur Netflix
En 2025, l’histoire du Jan Heweliusz a inspiré une mini-série Netflix intitulée Heweliusz, décrite comme la « production télévisée polonaise la plus ambitieuse de ces dernières années ».
La série, réunissant plus de 120 personnages et 3 000 figurants, ambitionne de redonner voix aux oubliés de cette tragédie silencieuse, survenue dans les eaux sombres d’un hiver balte.

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