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Sapiens, l'homme qui se racontait des histoires

La Rédaction
Caricature de Aghiles AZZOUG 
Pour l'historien Yuval Noah Harari, l'homme est l'animal qui a inventé le “storytelling”. Ultimes scénarios : l'autodestruction, ou l'avènement d'une élite “augmentée” ?
Quand un jeune historien spécialisé dans la période des croisades et l'histoire militaire se lance dans un projet pharaonique, cela donne Sapiens, une brève histoire de l'humanité et un best-seller surprise de l'édition internationale. Yuval Noah Harari, 39 ans, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, a voulu écrire une histoire de l'humanité non pas du point de vue d'un pays ou d'une religion, mais dans une perspective réellement globale. Il nous raconte Homo sapiens, cet « homme sage » qui l'a emporté sur les nombreuses espèces du genre humain (Homo rudolfensis, Homo ergaster...) et du règne animal. Le résultat ? Un livre érudit et provocateur où il est autant question d'histoire que de biologie et de philosophie. Comment Sapiens a-t-il conquis le monde ? Nos succès nous ont-ils rendus plus heureux que nos ancêtres ? Pour Harari, l'histoire est un formidable laboratoire philosophique, qui permet de répondre aux questions contemporaines et essentielles. Rencontre. Homo sapiens, écrivez-vous, fut d'abord un animal insignifiant, sans plus d'impact sur le milieu que le gorille ou la luciole. Effectivement, jusqu'à ce que, tout d'un coup, le temps d'un battement de cils dans l'histoire de l'évolution, nous soyons devenus l'espèce dominante sur la planète. La domestication du feu a ouvert le premier gouffre significatif entre l'homme et les autres animaux ; l'usage des outils aussi. Mais le facteur déterminant qui nous a propulsés des marges au centre, c'est la fiction. “Ni les Nations unies ni les droits de l'homme ne sont des faits biologiques, ils ne sont pas inscrits dans notre ADN.” Vous voulez dire le langage ? Tous les animaux possèdent une sorte de langage, et beaucoup, notamment les différentes espèces de singes, ont des langages vocaux. Mais le nôtre est singulier : il nous permet de transmettre des informations sur le monde qui nous entoure, mais aussi sur des choses qui n'existent pas. Nous sommes l'animal qui a inventé le « storytelling ». Cette capacité à tisser des mythes nous a permis d'imaginer des choses et de les construire collectivement, en masse et en souplesse. Les fourmis coopèrent en nombre, comme les abeilles, mais de façon rigide. Les chimpanzés, ou les loups, travaillent plus souplement, mais ils ne le font qu'avec les individus qu'ils connaissent. Sapiens, en revanche, peut coopérer avec d'innombrables individus, grâce à une étonnante flexibilité, qui lui permet de modifier son système social, politique, économique... Pourquoi ? Parce qu'il est capable de tisser des mythes communs. Toutes les grandes réalisations humaines, de la construction des pyramides à la conquête de la Lune, sont nées de coopérations à grande échelle et s'enracinent dans des histoires, des mythologies : Dieu et le paradis, l'argent, la nation ou la justice... Aucune de ces choses n'a d'existence objective. Ni les Nations unies ni les droits de l'homme ne sont des faits biologiques, ils ne sont pas inscrits dans notre ADN. Il s'agit d'« histoires », certes bénéfiques, que nous avons inventées et qui nous permettent de cimen­ter notre ordre social, tout comme les sorciers « primitifs » le faisaient en croyant aux esprits. De même que les « sorciers » d'aujourd'hui croient sincèrement à la toute-puissance de l'argent et à l'existence des sociétés anonymes à responsabilité limitée. Quels sont nos grands mythes actuels ? On pourrait citer Dieu, les Etats-Unis ou Apple… Mais le mythe du « consumérisme » romantique, selon lequel il suffit d'acheter quelque chose pour résoudre ses problèmes, est sans doute l'un des plus puissants qu'Homo sapiens ait jamais inventé. De plus en plus d'hommes croient en cette histoire basique. Cela peut être une nouvelle voiture, un cours de yoga, une place de cinéma, mais c'est toujours quelque chose que vous consommez. Acheter devient même une activité politique : on boycotte tel produit, venu de tel endroit, fabriqué par telle société, et on manifeste sa position citoyenne. Ce mythe du consumérisme transcende toutes les frontières. Peu importe que vous soyez chrétien, juif, musulman ou hindou, que vous viviez en France, en Israël ou en Chine. “Nous avons souvent traité du bonheur comme s'il dépendait de facteurs matériels.” Vous constatez que cela n'a pas rendu Sapiens plus heureux, ou satisfait. Le bonheur, est-ce une question d'historien ? C'est la plus grosse lacune de notre intelligence de l'histoire. La plupart des historiens se concentrent sur les idées des grands penseurs ou l'essor et la chute des empires. Ils n'ont rien à dire de l'influence de ces événements sur le bonheur et la souffrance des individus. Après l'essor de la chrétienté, ou de l'Empire romain, les hommes ont-ils été plus heureux ? Et si ce n'est pas le cas, qu'est- ce que cela nous dit de l'impact de la chrétienté ? Répondre n'est pas aisé, mais il est grand temps que les historiens s'y engagent. Nous avons souvent traité du bonheur comme s'il dépendait de facteurs matériels – la nourriture, l'hygiène ou la richesse. Et pourtant, le plus souvent, il est d'abord lié à nos attentes. Or, si notre situation s'améliore, nos attentes augmentent, ce qui ne rend pas les hommes plus satisfaits que leurs ancêtres... Le capitalisme et le consumérisme, à la différence des systèmes religieux et idéologiques précédents, qui nous invitaient à nous satisfaire de notre condition, nous répètent que nous devons sans cesse en vouloir plus. Revenons-en aux autres animaux sur lesquels Homo sapiens l'a emporté. Vous leur accordez une large place, ce qui est plutôt inhabituel dans un livre d'histoire ? Les relations entre les hommes et les animaux sont négligées par les historiens, et pourtant il est impossible de comprendre notre histoire sans s'y intéresser. Au cours du XXe siècle, de plus en plus d'universitaires se sont penchés non plus seulement sur l'histoire des classes supérieures dominantes masculines, mais aussi sur celle du prolétariat, et des femmes. La prochaine étape majeure consistera à élargir encore le spectre des recher­ches, en prenant en compte le rôle des animaux dans l'histoire et l'impact que les hommes ont eu sur eux. Certains affirment que les transformations humaines sur l'environnement datent de l'avènement de l'industrie moderne. Mais ce bouleversement a débuté il y a des milliers de siècles, avant même l'invention de l'agriculture, avec l'action des chasseurs-cueilleurs, qui ont provoqué des extinctions de masse. Comme l'Australie avant elle, la Nouvelle-Zélande a été ébranlée par l'arrivée d'Homo sapiens : en deux siècles, la majorité de la faune, qui avait essuyé sans dommage le changement climatique d'il y a environ quarante-cinq mille ans, a disparu, de même que 60 % des espèces d'oiseaux. Puis vint la révolution agricole : l'homme a domestiqué quelques espè­ces (poulets, vaches, cochons, moutons...) et en a fait la base de l'éco­nomie humaine. Aujourd'hui, Ces créa­tures représentent plus de 90 % des grands animaux de la planète. On compte quelque deux cent mille loups sauvages mais quatre cents à cinq cents millions de chiens. Un milliard de moutons, un milliard de cochons et plus de vingt-cinq milliards de poulets ! Nous n'avons pas seulement modifié l'équilibre écologique global, nous avons bouleversé les conditions de vie de ces animaux : s'ils ont connu une incroyable « success story » en termes de propagation, ce sont aussi les créatures les plus misérables qui aient jamais vécu. Nous les traitons comme des machines à produire de la viande, des œufs, du lait, en ignorant leurs besoins sociaux, physiques, psychologiques. “Le dépassement de nos limites biologiques pourrait représenter la fin d'Homo sapiens.” Homo sapiens serait un tueur en série écologique ? D'autres animaux ont causé de vastes désastres écologiques. Mais les hommes opèrent à une nouvelle échelle, parce qu'ils sont autrement plus puissants et que la plupart des animaux sont cantonnés à une région du monde. Vous rencontrez certes des fourmis partout sur Terre, mais il s'agit d'espèces différentes. Avec l'homme, nous avons une espèce unique à l'origine d'un réseau complexe de transports, de systèmes politiques et économiques... Et Sapiens a désormais le pouvoir de modifier et de détruire l'écologie globale de la planète, ce qui est sans précédent dans l'histoire. En détruisant l'environnement, nous avons aussi le pouvoir de nous auto-exterminer… C'est une vraie menace. Mais il y a un autre scénario : le dépassement de nos limites biologiques, la capacité de créer un être « surintelligent » pourrait représenter la fin d'Homo sapiens. Nous avons connu plusieurs révolutions à travers l'histoire, mais une chose demeure inchangée : l'homme lui-même. La révolution cognitive qui nous a fait passer de singe insignifiant à maître du monde n'a, selon les scientifiques, impliqué que de menus changements dans la structure interne du cerveau. Un autre « petit » changement suffira peut-être à créer une seconde révolution cognitive et à transformer l'homme en un être différent en faisant fusionner biotechnologie, intelligence artificielle…, pour développer de supercapacités cognitives et mentales, allonger la durée de vie et relier des cerveaux humains à des ordinateurs. Il ne semble pas qu'une barrière technique insurmontable nous sépare de la production de surhommes ou de cyborgs, mêlant éléments naturels et artificiels. Google a récemment créé une société de biotechnologie, Calico, dont l'objectif est de triompher de la maladie, de la vieillesse et de la mort. On pourrait donc imaginer une petite élite de « superhumains » milliardaires, bénéficiant de très longues vies et de capacités augmentées, et un fossé plus abyssal que jamais entre ces derniers et la masse de pauvres sans emploi et « inutiles »... De nombreux experts estiment que d'ici quarante ans une grande partie des emplois humains seront assurés par l'intelligence artificielle et que La question politique du XXIe siècle sera en effet : qu'allons-nous faire de ces milliards de gens « inutiles », qui n'auront aucune fonction dans l'économie ? Ce qui me préoccupe, c'est que nous laissons un petit groupe d'entreprises privées, Google, Facebook ou IBM, décider de ces orientations majeures. Si l'on veut s'opposer à ces projets de transhumanisme, qui prônent l'usage des sciences et de croyances pour améliorer nos caractéristiques physiques et mentales, on ne peut se contenter de pousser des cris d'horreur. Des visions alternatives existent-elles ? Pas vraiment. Les fondamentalismes religieux, aujourd'hui en plein essor, ne comprennent pas ces avancées technologiques et ne répondent pas aux nouveaux problèmes qui en sont issus. Ni la Bible, ni le Coran, ni la Torah ne peuvent leur apporter de réponses – ces textes sont tellement antérieurs à la génétique ! Le retour du religieux est un contrecoup comparable à ce que nous avons vécu au XIXe siècle, lors de la révolution industrielle, et qui a fait long feu faute d'offrir une alternative. En revanche, philosophes, artistes, intellectuels devraient urgemment s'emparer de ces questions et tenter de formuler des contre-propositions aux visions des Facebook, Google ou IBM. Mais, pour cela, ils vont devoir se saisir des questions génétiques, technologiques.

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