Le dropshiquoi ?
Drop-shipping signifie livraison directe en Français. Il s’agit d’un système de site marchand dont l’objectif est de vendre des produits déjà en vente sur d’autres sites fournisseurs. Ces entreprises génèrent du profit en réalisant une marge importante entre le fournisseur et le client, sans stock ni locaux. Certains n’hésitent pas à abuser de ce système – tout à fait légal par ailleurs – pour créer leur vitrine 3.0 où ils vendent des objets absolument identiques à d’autres sites, sans les produire et sans devoir les livrer, mais à des prix largement différents. C’est « la marchandisation » au sens le plus primitif du terme : prendre à « X » et vendre à « Z » en réalisant au passage une plus-value déterminée uniquement par la capacité du « drop-shippeur » à manipuler le consommateur.
À titre d’exemple, votre regard est attiré par une publicité qui propose une offre en or : -70% de réduction sur une montre suisse de qualité supérieure. 30 euros seulement, au lieu de 100 ! Une aubaine. Du moins, c’est ce que raconte le site qui semble parfaitement professionnel sur la forme. Une fois la vente conclue, le site vous fait directement livrer la montre via le véritable producteur, le plus souvent chinois. Le fameuse montre low-cost leur coûtera en réalité 3 ou 5 euros à peine. Bénéfice : 27 euros net, une fois encore, sans n’avoir rien à faire si ce n’est trouver le bon pigeon. Il est ainsi possible, avec un investissement mineur, de générer des bénéfices colossaux sans rien produire, sans gestion de stock, sans devoir de livraison ou de garantie sur la qualité du produit, avec un minimum de connaissances en informatique pour gérer un tel site.
La pratique, qui repose sur l’esprit capitaliste le plus pur, fonctionne si bien qu’on assiste à un véritable engouement d’initiés. Poule aux œufs d’or de la mondialisation concentrant à la fois le mépris pour toute forme de morale élémentaire et pour l’environnement, on trouve aujourd’hui une panoplie de tutoriels sur Youtube, souvent présentés par de très jeunes entrepreneurs 3.0, vous promettant de devenir riche en un temps record sans faire d’effort. Voilà qui est bien dans l’air du temps… Bien entendu, il vous faudra mettre toute éthique élémentaire de côté pour devenir un « requin de cordée » de la start-up nation. À noter que nous parlons bien ici du drop-shipping automatisé et mensonger via fournisseurs low-cost. La promotion et mise en avant de produits locaux ou éthique à prix juste ne sont pas concernées.
C’est ici que les « influenceurs » entrent en jeu
Reste une question. Comment pigeonner un maximum de gens et les faire venir sur votre site fantôme plutôt que sur Aliexpress ? Comment vendre un objet 50 euros quand celui-ci en vaut quelques cents ? Qui est assez bête pour tomber dans le panneau ? Personne, pensez-vous ? Pas si vite. C’est ici que les « influenceurs » les moins scrupuleux, ces stars du web parfois suivies par des millions d’abonnés, rentrent en jeu. En pratique, des entreprises de drop-shipping prennent contact avec eux en leur promettant de générer des sommes importantes d’argent. Certains y résistent. D’autres pas. La suite est cousue de fil blanc.
L’influenceur est donc invité en privé à faire croire à ses abonnés qu’il a bénéficié d’une offre incroyable : une paire de AirPods à 50 euros au lieu de 150, par exemple. Il doit donner à ses fans l’impression qu’il détient le secret d’une très bonne affaire. Un pourcentage des fans se précipitent sur l’occasion et atterrissent, sans le savoir, sur le site de drop-shipping. Convaincus du sérieux de la source partagée par leur influenceur préféré (certains fans étant abonnés depuis plusieurs années), les membres foncent tête baissée dans le piège. Ils recevront des copies d’AirPods made in china au son et à l’autonomie médiocres dont la valeur ne doit pas dépasser les 8 euros. Admettons que l’influenceur possède 1 million de fans. Si seulement 0,5% d’entre eux tombent dans le piège, ce sont 5 000 pièces à 50 euros qui seront écoulées, soit un potentiel de 210 000 euros de profits avec un seul partage. Le marchand et l’influenceur peuvent se partager le pactole, bien que le plus souvent le marchand cherche également à manipuler l’influenceur.
Ici un Youtubeur se vante d’avoir fait 8000 euros de ventes en 11 heures via dropshipping |
Le Roi des Rats rappelle qu’il n’existe pas vraiment de législation contraignante à ce jour pour contrer le drop-shipping si ce n’est l’esprit critique. Il est tout à fait légal de vendre des produits disponibles sur d’autres plateformes de vente en ligne tout en se faisant 2000% de bénéfice au passage, tant que l’activité est déclarée. On peut même penser que c’est dans l’intérêt du système marchand actuel que de générer toujours plus de ventes. Mais à l’image du capitalisme lui-même, la technique est amorale. Elle ne connaît pas l’éthique, les influenceurs qui la pratiquent non plus. Mais peut-on s’en étonner ? Si c’est une appréciation toute personnelle du youtubeur, celui-ci rappelle que le top des instagrammeurs est conquis le plus souvent par des individus imbus d’eux mêmes, superficiels et faisant une fixation sur leur paraître (ce qui n’est pas sans conséquence sur la formation de l’identité des jeunes personnes les admirant). Ils sont généralement suivis par des adolescents et des enfants qui n’ont pas toujours les connaissances nécessaires pour jauger la pertinence de leurs partages.
Là où le dropshipping devient illégal, c’est quand les marchands et les influenceurs n’hésitent pas à mentir sur la nature des produits pour mieux manipuler leur audience. À certains égards, on peut parler de fraude et d’abus de confiance. Dans certains cas, les produits sont d’une si mauvaise qualité que les utilisateurs peuvent en subir des conséquences sur leur santé. Mais plus globalement, la pratique repose une fois encore sur la promotion constante du système marchand, la création fictive des besoins et la production en Asie dans des conditions qu’on imagine à peine.
Comment combattre cette pratique ?
Vu la popularité incroyable du réseau social TikTok et similaires chez les très jeunes (la fameuse génération Z), peu de doute que les discours de quelques « millénials » blasés puissent les en détourner. Comment leur faire comprendre par des mots que cette course à la superficialité est une nouvelle porte ouverte au suicide planétaire qui se prépare et dont ils ne sont même pas à l’origine ? Comment leur faire réaliser que leur génération est la dernière à pouvoir changer de cap, au moment même où certaines de leurs idoles abusent littéralement d’eux pour fonder leur richesse sur leur dos.
En pratique, toujours se méfier par défaut quand un influenceur du web promet de très grosses réductions sur un produit quelconque. Une telle offre n’est jamais sans condition. Dans la grande majorité des cas, l’influenceur reçoit de l’argent pour faire la promotion de ces produits. Les sites de drop-shipping eux-mêmes sont généralement truffés de réductions hors normes (-70% et plus…). Mais pour s’assurer de l’origine d’un produit, il suffit le plus souvent de faire une recherche inversée par image, par exemple, via Google image ou TinEye. Il est ainsi assez facile d’en retrouver la source.
Mais le plus important c’est probablement de comprendre individuellement le principe de l’externalisation des coûts. Chaque chose physique supporte un coût. Avec la mondialisation contemporaine, nous baignons dans l’illusion que la qualité à petit prix est possible. C’est faux. Il n’y a pas de fait main, de local, de matière de qualité, à petit prix. Ça n’existe pas. Quelqu’un paye toujours la facture. Dans le cas des produits low-cost made in china, l’externalisation du coût se reporte autant sur la qualité que sur l’environnement ou les droits des travailleurs. L’art du drop-shipping est précisément de camoufler cette réalité pour vous vendre du rêve. Mais maintenant, vous savez.
article paru dans Mr.Mondialisation