Violences faites aux femmes : Le cinéma d’une pionnière, Yannick Bellon
À l’heure où nombreuses, nombreux iront défiler « dans la rue pour changer les consciences », j’ai voulu, à nouveau, rappeler le travail de Yannick Bellon, à travers trois films essentiels.
"La Femme de Jean" (1974) marque un souci d'ancrage réaliste qui constituera, désormais, la réputation de cette réalisatrice. Claire Clouzot écrivait à cette époque : « Ce beau, ce merveilleux film, est le film d'une trajectoire. Le cheminement d'une femme mariée, quittée par son mari pour une autre femme, après seize ans de mariage, et qui va, lentement, de la dépendance à l'autonomie. Une courbe ascendante de la névrose à l'équilibre. Ou si l'on veut, l'histoire de la guérison d'une maladie très banale, très courante, et qui atteint tous ceux qui, en se mariant, oublient de vivre par eux-mêmes et le découvrent au moment du divorce. [...]
C'est aussi que Yannick Bellon ne parle pas d'un cas unique, d'une femme exceptionnelle mais d'une femme quelconque normale, standard. C'est en cela qu'elle est féministe : parce qu'elle montre aux femmes de partout le schéma d'une libération non pas d'une façon didactique mais d'une façon directe et en faisant de la femme une héroïne positive. » (Écran, mai 1974)
Il est simplement recommandé de voir, à travers "L'Amour violé" (1978), le prolongement d'une réflexion plus aiguë, plus dramatique sur la liberté des femmes, liberté d'être soi-même, de vivre, de dire non" (Y. Bellon) Ici, l'acte commis - un viol collectif perpétré contre une jeune femme - est l'indicateur le plus terrible, le plus atroce et le plus sinistre d'une société qui fait du mâle un prédateur incorrigible et de la femme une victime potentielle. À fortiori, la réalisatrice ramène à sa juste place la mise en scène douteuse ou la théâtralisation du viol opérées par les meilleurs cinéastes masculins. "La femme est le terrain privilégié où s'exerce la violence des hommes", affirme avec véhémence Yannick Bellon. Quoi qu'il en soit, le film obtient un retentissement à la mesure de cet événement qu'est le premier regard entièrement féminin sur un viol. En outre, ce sont prioritairement les conséquences d'un traumatisme qui y sont examinées : l'être, maltraité et sali dans son intégrité la plus personnelle, affronte l'incompréhension de ses proches qui interprètent les faits en tant que catastrophe et non comme épreuve à franchir. La solitude à vaincre et la nécessité de se reconstruire sont encore au cœur de "L'Amour nu" (1981), le film suivant. Au corps avili (l'amour violé) succède le corps mutilé (l'amour nu). Claire, traductrice-interprète de son état (Marlène Jobert), éprise de Simon, océanographe et défenseur des espèces marines (l'aquarelliste Jean-Michel Folon), découvre qu'elle est atteinte d'un cancer du sein. C'est encore l'image de la femme et le sens profond d'amour - "l'amour plus fort que le handicap physique et que les apparences", dira Marlène Jobert - qui y sont questionnés. L'interprète principale dira aussi qu'elle signait ici un de ses plus beaux rôles et que la réalisatrice conçut le film "en respirant avec ses propres poumons". De fait, certaines séquences semblent être le fruit de l'actrice elle-même - nous n'en avons pas la preuve absolue - parce qu'elles correspondent, de façon confondante, à l'expression de son tempérament passionné.
À ces réflexions, je voudrais y ajouter celles de Yannick Bellon, en réponse au magazine « Marie-Claire » en 1977, et, alors qu’elle s’apprêtait à tourner « L’Amour violé ».
- « Jusqu’à présent, on a toujours montré le viol, au cinéma, comme une anecdote. Anecdote qui renforçait, soit la violence, soit le psychisme d’un héros. Or, le viol définit, de la manière la plus complète et la plus dramatique, la situation de la femme dans la société et c’est ce que je veux montrer dans ce film. […] Dans celui-ci, il y a tout à dire, tout à dénoncer. L’homme asservit la femme, il la bat, il la domine, il l’humilie. Que ce soit à l’intérieur du couple, dans l’entreprise ou dans le métro, la femme est victime du rapport de force masculin-féminin. »
Il est préjudiciable pour l’avenir de l’humanité tout entière que la femme puisse accepter, à son tour, une telle situation avec résignation ou fatalisme. La réalisatrice nous dit encore :
- « Nicole (Nathalie Nell), mon héroïne, se révolte contre cette fatalité, comme Nadine (France Lambiotte) dans « La Femme de Jean » se révoltait contre le mariage. Le mariage n’est pas une fin en soi, c’est une étape de la vie. Être femme au foyer, ce n’est pas un destin, être violée non plus. C’est la société qui conditionne le petit garçon à être viril et la petite fille à être passive. Le viol permet de soulever toutes les situations scandaleuses. Le viol oblige à remettre en question les rapports hommes/femmes. Le viol ne se résoudra pas qu’entre femmes, mais aussi avec les hommes. La prise de conscience de ce rapport de force doit se faire ensemble entre hommes et femmes. Elle ne doit pas conduire à une rupture, mais à une réconciliation. »
Bien évidemment, il ne faut guère se faire d’illusions : les luttes doivent être conduites par les femmes elles-mêmes. Les hommes ne feront jamais la révolution dans ce domaine-là. En revanche, en menant jusqu’à son terme le combat vers leur émancipation, les femmes transformeront, du même coup, les hommes. Car, suivant un adage bien connu ailleurs, un homme qui opprime une femme ne saurait être un homme libre. En avant donc vers la liberté !
Misha.
Le 24/11/2018.
Tous contre les Violences faites aux femmes
La Rédaction