La jeune femme au nez en trompette se représente à contre-jour devant une fenêtre, menton en avant et visage rouge, comme après avoir grimpé six étages quatre à quatre. Derrière elle, une façade d’immeuble parisien. Frontale, déterminée, on jurerait l’entendre s’exclamer : « A nous deux Paris ! ».
Cet autoportrait est l’une des premières toiles que cette jeune Allemande de 24 ans réalise après son arrivée dans la capitale, dans la nuit du 31 décembre 1899. Si elle a voulu changer de siècle ici, ce n’est pas un hasard. C’est à Paris qu’elle veut trouver sa voie, ce qui lui paraît impossible en « restant cantonnée », comme elle dit, à Worpswede, un petit village situé au nord de Brême où elle vit dans une colonie d’artistes.
Une faim d'art jamais rassasiée
Entre son premier séjour fondateur à Paris en 1900 et sa mort, sept ans plus tard, la capitale française constitue son seul point d’ancrage artistique. Elle y séjourne quatre fois, abandonnant mari et famille pour de longues périodes, souvent tentée de ne pas rentrer. Elle suit des cours à l'Académie Julian, veut tout voir, les galeries, les musées, l’art moderne, Cézanne, Gauguin, les Nabis, l’art ancien au Louvre, où elle tombe en arrêt devant les portraits funéraires du Fayoum.
Elle rend visite à Rodin, présentée par Rainer Maria Rilke (1875-1926) qui est son secrétaire, et reste éberluée par les dessins de nu du sculpteur, d’une évidence écrasante. Elle rencontre Maurice Denis, Edouard Vuillard, le Douanier Rousseau dans son atelier du 14e arrondissement, à qui elle emprunte, en un malicieux clin d’œil, des rameaux naïvement découpés.
Paula Modersohn-Becker n’a pas trente ans et une « faim d’art » jamais rassasiée, écrit-elle à sa sœur. Tout ce qu’elle emmagasine à Paris la nourrit en Allemagne. Toute l’énergie phénoménale déployée dans son atelier de Worpswede lui donne envie de retourner à Paris.
Sa peinture exigeante, sans filets et sans public, a suivi ses seules intuitions au prix d’un travail solitaire éprouvant. Après sa mort, on retrouvera dans son atelier sept cent cinquante tableaux et plus de mille dessins, le tout en moins de huit ans de carrière. Dans la série des autoportraits présentés côte à côte, son terrain d’expérimentation par excellence, ses traits passent du rose au vert, du marron au violet, s’aplatissent et se déforment jusqu’à devenir des masques, comme le fait Picasso dans Les Demoiselles d’Avignon, peint en 1907, l’année de la mort de la jeune Allemande.
Cette année-là, elle se représente de pied en cap, grandeur nature, nue, le visage flou à la Bacon, solidement campée sur ses jambes telle une idole primitive. Elle est enceinte, et c’est la première fois qu’une artiste se représente ainsi, avec un ventre rond devenant le centre de gravité du tableau. L'année précédente, Paula Modersohn-Becker avait pris la décision de quitter son mari et de s’installer à Paris. Elle est revenue. Un an plus tard, en novembre 1907, elle met au monde un petite fille. L’accouchement a été difficile, elle a dû rester dix-huit jours alitée. Lorsqu’elle se lève, elle est foudroyée par une embolie. Elle meurt en prononçant un dernier mot : « dommage »…
Le groupe Die Brücke se formera au moment où elle meurt !
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