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Emmanuel Faye, Heidegger, l'introduction du nazisme en philosophie, Albin Michel

La Rédaction
 
Emmanuel Faye, Heidegger, l'introduction du nazisme en philosophie, Albin Michel
article écrit par Robin Guilloux

Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie est un essai d'Emmanuel Faye, professeur de philosophie à l'Université de Rouen. Paru en mars 2005 chez Albin Michel dans la collection "Idées", puis objet d'une seconde édition revue et augmentée d'une nouvelle préface dans la collection Biblio essais (Le Livre de Poche) en 2007. Cet essai vise à démontrer que la pensée de Martin Heidegger est indissociable de son engagement dans le nazisme. Il s'appuie sur des extraits épistolaires, des faits historiques et des extraits de cours et de séminaires, alors inédits des années 1933-1935. Sa publication a donné lieu à de nombreux articles de presse et à une polémique intense en France et à l'étranger, articles référencés dans la seconde édition du livre.
Emmanuel Faye (né en 1956) est un philosophe français. Ses recherches portent notamment sur la philosophie française et allemande des Temps modernes et sur la pensée politique contemporaine – critique des constituants de la "vision du monde" national-socialiste et de Heidegger. Lauréat du Concours général de français en 1974, agrégé de philosophie en 1981, docteur de l'Université de Paris I- Panthéon Sorbonne en 19941, il est depuis 2009 professeur de philosophie moderne et contemporaine à l'Université de Rouen, après avoir été chargé de recherches détaché au CNRS de 1993 à 1995 (Centre d'études supérieures de la Renaissance de Tours), puis maître de conférences à l'Université de Paris Ouest de 1995 à 2009. Il est le fils de l'écrivain et philosophe Jean-Pierre Faye.

Dans un article publié dans "Les Temps modernes", Alphonse de Waelhens distingue entre l'homme Heidegger et son oeuvre philosophique. Se fondant essentiellement sur le texte de Sein und Zeit (1927), il ne trouve absolument rien de nazi dans la pensée de Heidegger. Il estime même que la conception heideggerienne du Dasein comme transcendance échappant à toute essence préétablie qui inspira "l'existentialisme" est implicitement contraire à la conception nazie de la soumission de l'individu à l'Etat.

Selon lui, il faut étudier la pensée d'un philosophe dans son oeuvre écrite, sans se soucier de ce qu'il a fait (voire même de ce qu'il a écrit dans des lettres ou de ce qu'il a dit), ce qui permet de dédouaner Heidegger de sa participation, aux côtés de Hans Franck et de Karl Schmitt, à la commission du Droit aryen qui prépara les lois de Nuremberg, la conférence de Wansee et la "solution finale". Excusez du peu.

Le livre d'Emmanuel Faye prend au mot cette conception que je trouve personnellement plus que contestable et s'appuie sur des extraits épistolaires, des faits historiques et surtout (puisque A. de Waelhens refuse de prendre en considération les lettres privées et les faits historiques) sur des extraits de cours et de séminaires des années 1933-1935 pour montrer que la pensée de Martin Heidegger est bel et bien indissociable de son engagement dans le nazisme.

Les mêmes qui, dans les années 70, minimisaient l'engagement politique de Heidegger (souvenirs de la classe de Khâgne) nous expliquent aujourd'hui que les faits (y compris la participation à la commission du Droit allemand qui constitue une compromission mille fois plus grave que le "Discours du rectorat") sont connus depuis longtemps.

De deux choses l'une : ou bien ils connaissaient ces faits ou bien ils ne les connaissaient pas (mais alors, pourquoi disent-ils que ces faits sont connus depuis longtemps ?) et s'ils les connaissaient, pourquoi les ont-ils passés sous silence ?

Le cœur de toute cette affaire est l'engouement incompréhensible (qui amuse beaucoup les Allemands) des intellectuels français pour Heidegger (Char, Lacan, Derrida, de Waelhens, Munier, Beaufret, etc.) et le fait que des personnalités reconnues et respectées ont transmis et enseigné la pensée d'un homme qu'ils considéraient, telles les vestales d'une secte gnostique, comme un "oracle" à une génération (au moins) de lycéens et d'étudiants (dont je fais partie), qui ont maintenant le droit de se poser des questions sur leur conception de la politique, leur intégrité intellectuelle (voire leur lucidité mentale) et le devoir de demander des comptes.

On peut comprendre que des intellectuels respectés et influents aient du mal à reconnaître qu'ils se sont trompés et qu'en croyant servir la puissante pensée du "plus grand philosophe du XXème siècle", ils se sont laissés séduire comme des enfants par le joueur de flûte de Hamelin et le roi des truqueurs.

Mais qu'ils s'entêtent dans leur erreur, modifiant le système de défense au fur en fonction des révélations, en attendant l'ouverture et la mise à disposition des archives Heidegger, en dit long sur leur rapport à la vérité.

Et la sinistre vérité, c'est que Heidegger a été un nazi convaincu dès le début et qu'il l'est resté jusqu'à la fin, qu'il était favorable à la "solution finale" (l'extermination des Juifs d'Europe) et qu'il y a contribué à sa manière en participant à la commission des lois aryennes, mais qu'il a fait profil bas à partir de Stalingrad (1942), quand il s'est aperçu que l'Allemagne était en train de perdre la guerre, en espérant que certains faits bien plus graves que l'épisode du rectorat resteraient cachés, calcul qui s'est avéré payant, du moins aux yeux des Français et ce jusqu'à sa mort.

Note : selon Pierre Bourdieu le "culte" de Heidegger s'expliquerait par le ressentiment des professeurs de philosophie, quant à la perte de leur prestige, de leur rémunération et de leur rôle social (et ceci est vrai de Heidegger lui-même) et par le désir narcissique de compenser cette perte en s'appropriant l'aura charismatique que possédait jadis le clergé.

"Des documents inédits ou non traduits jusque-là nous révèlent à quel point Heidegger s'est consacré à introduire les fondements du nazisme dans la philosophie et son enseignement. Dans son séminaire, à proprement parler hitlérien, de l'hiver 1933-1934, il identifie ainsi le peuple à la communauté de race et entend former une nouvelle noblesse pour le IIIe Reich, tout en exaltant l'éros du peuple pour le Führer. Or, contrairement à ce qu'on a pu écrire, loin de s'atténuer après 1935, le nazisme de Heidegger se radicalise. En juin 1940, il présente la motorisation de la Wehrmacht comme un "acte métaphysique", et, en 1941, il qualifie la sélection raciale de " métaphysiquement nécessaire ". Après la défaite du nazisme, ses prises de position sur le national-socialisme et les camps d'anéantissement viendront, par ailleurs, nourrir le discours de mouvements révisionnistes et négationnistes. Sans jamais dissocier réflexion philosophique et investigation historique, Emmanuel Faye montre que les rapports de Heidegger au national-socialisme ne peuvent se résumer au fourvoiement temporaire d'un homme dont l'oeuvre continuerait à mériter admiration et respect. En participant à l'élaboration de la doctrine hitlérienne et en se posant en "guide spirituel" du nazisme, Heidegger, loin d'enrichir la philosophie, s'est employé à détruire à travers elle toute pensée, toute humanité. Déjouer cette entreprise, telle est donc la tâche urgente du philosophe."

"La publication en 2005 de son Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie, traduit depuis en cinq langues, a suscité une discussion internationale et de nouveaux travaux. S'appuyant sur deux séminaires alors inédits dont il a édité dans ce livre de larges extraits, Faye a considéré que les fondements de l'œuvre de Martin Heidegger, avec son appel à l'"extermination totale" de l'ennemi intérieur « incrusté dans la racine la plus intime du peuple » (cours de l'hiver 1933-1934), et son séminaire d'« éducation politique » nazie de la même date, qui compare la relation entre l'Être et l'étant et celle unissant l'État hitlérien au peuple germanique, étaient trop radicalement ancrés dans un national-socialisme exterminateur pour constituer une philosophie. Ils correspondraient bien plutôt à un "racisme ontologisé".

À propos des Conférences de Brême de 1949, dans lesquelles Heidegger met en doute la capacité des victimes des camps d'extermination de mourir (sterben) à proprement parler parce qu'elles ne seraient pas « dans la garde de l'Être », Faye a formé, dans son livre sur Heidegger, le concept de « négationnisme ontologique ».

En 2006, il a appelé dans Le Monde à l'ouverture des Archives Heidegger à tous les chercheurs. Il a été interviewé en décembre 2013 dans l'hebdomadaire allemand Die Zeit sur la vision du monde antisémite de Heidegger à propos de la publication de ses Cahiers noirs. Sa publication en 2014 aux éditions Beauchesne, dans la collection « Le Grenier à sel », d'un ouvrage collectif international intitulé Heidegger, le sol, la communauté, la race et regroupant des études de François Rastier, Sidonie Kellerer, Johannes Fritsche, Julio Quesada, Robert Norton, Jaehoon Lee et Gaëtan Pégny, a marqué l'émergence d'un nouveau courant international d'études critiques sur le corpus heideggérien et sa réception.
par Robin Guilloux
 

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