L'humanité a perdu. Frappée de plein fouet par une épidémie foudroyante causée par le champignon pathogène cordyceps vingt ans plus tôt, elle se partage désormais entre les rares survivants et les contaminés devenus des créatures zombies. Basée sur le jeu vidéo sorti en 2013, la série The Last Of Us suit le quarantenaire Joel et la jeune Ellie dans leur dangereux périple au sein d'une Amérique en ruines.
Après une première saison très réussie diffusée en 2023, la deuxième est diffusée depuis le 14 avril 2025 sur HBO/Amazon Prime Video (sur la plateforme Max en France). Elle offre une approche originale dans son approche des zombies puisque la contamination est ici fongique. Mais quelle est la part de vérité scientifique là-dedans ? Le cordyceps pourrait-il vraiment menacer l'espèce humaine ?
Une dizaine d'espèces de cordyceps à l'état sauvage en France
Le cordyceps est un genre de champignons entomopathogènes (c'est-à-dire qu'il infecte les insectes) dont il existerait plus de 600 espèces, la plupart en Asie : Népal, Chine, Japon, Corée, notamment. En France, nous pouvons retrouver à l’état sauvage une dizaine d’espèces. Quand le cordyceps attaque un insecte, le mycélium du champignon envahit et remplace progressivement les tissus de l'hôte. Certaines espèces sont même capables de prendre le contrôle du parasité, le poussant à infecter d'autres insectes. Pour ce faire, vont émerger du corps de l'animal des protubérances fongiques qui libèreront une myriade de spores infectieuses.
Dans le jeu vidéo, c'est également de cette façon que la contamination progresse. Seulement, lors de la première saison de la série, un autre mode de propagation avait été privilégié sous la forme d'excroissances fongiques dont il fallait éviter le contact. "C'était d'ailleurs le premier reproche que l'on pourrait faire alors à la série, analyse Luis Portillo, spécialiste des Cordyceps à l'Université de Montpellier. L'infection ne se produisait pas via des spores comme c'est le cas dans la réalité, ou comme dans le jeu originel."
A l'époque, les scénaristes de la série s'étaient justifiés en expliquant avoir été contraints de changer le mode d'infection par rapport au jeu. Cela aurait obligé les acteurs à porter en permanence un masque de protection, ce qui aurait nuit à l'aspect visuel et à l'immersion dans l'intrigue.
Pourtant, il semblerait que les responsables de la série aient changé d'avis. Dans cette deuxième saison, on assiste à un élargissement du mode de propagation du champignon et les spores infectieuses font bien leur apparition, ce qui comblera les fans du jeu... et les mycologues les plus exigeants et tatillons.
Un champignon extrêmement rare et génétiquement fragile
Pourtant, il n’en reste pas moins que sur bien des points, la fiction s'est affranchie allègrement de la réalité. “On se focalise sur Cordyceps unilateralis qui infecte les fourmis, poursuit Luis Portillo. Il attaque essentiellement des individus isolés ou en fin de vie dont le système immunitaire est moins performant. Mais, il se trouve que c'est un champignon extrêmement rare. Cordyceps unilateralis a été observé une fois en 1892, puis en Allemagne dans les années 1970, mais c'est tout. Depuis, on ne l'a plus jamais retrouvé... La raison est qu'il n'est pas très efficace. Bien sûr, on peut imaginer des scénarios catastrophes, mais la réalité biologique nous rattrape : ce champignon souffre de plusieurs défauts qui l'empêchent d'être une menace sérieuse. La température tout d'abord, idéalement 18°C or notre corps est à 37°C."
Même en imaginant qu'une mutation "miraculeuse" confère au cordyceps la possibilité de pouvoir pousser à 37°C, Luis Portillo voit une deuxième limitation : “l'humidité doit être proche de 100% pour que le champignon puisse survivre.“ C'est la raison pour laquelle il s'épanouit à l’automne en Europe dans les zones humides et dans les forêts tropicales.
Autre point faible du cordyceps : sa fragilité génétique. À l'inverse par exemple du champignon de Paris qu'il serait possible de multiplier à l'infini, il n'en va pas de même du cordyceps : au bout de trois clonages, son génome se dégrade. “Imaginons que je puisse être infecté, suppose Luis Portillo. Je vais vous contaminer. Vous allez contaminer une troisième personne mais ça n'ira pas plus loin. À cause de la dégradation du génome qui empêche sa croissance cellulaire, la transmission sera stoppée ! De plus, il est très sensible à la consanguinité : le croisement entre spores d’un même individu donne rarement une descendance viable.”
D'autres parasites bien plus dangereux
En dépit des transformations monstrueuses et visuellement très impressionnantes qu'il fait subir aux insectes, le cordyceps est donc loin d'être le parasite ultime. “Ce champignon existe depuis 48 millions d'années, précise le scientifique. Pourtant, durant tout ce temps, il n'a jamais réussi à contourner le système immunitaire des insectes puisqu'il ne parvient toujours pas à infecter des individus en bonne santé.“
D'ailleurs, en matière de champignons pathogènes, il en existe de plus redoutables qui eux menacent directement l'espèce humaine. “Nous en connaissons plusieurs types, précise le professeur Sébastien Bertout, responsable du département de Parasitologie et Mycologie médicale à l'université de Montpellier. Ceux qui causent des infections superficielles, cutanés, dont la plus connue est la mycose des ongles. Ceux causant des infections plus graves, plus profondes, touchant la muqueuse vaginale par exemple, ou les infections de la bouche (muguet buccal) provoquées par Candida albicans, une levure. Pour les personnes ayant un système immunitaire affaibli, à la suite d'un traitement anticancer ou d'une maladie comme le sida, ce type d'infections peut être assez grave. Enfin, le troisième type d'infections fongiques concerne les mycoses profondes. Là encore, très dangereuses pour les personnes immunodéprimées.“
Ces infections peuvent trouver essentiellement leur origine dans l'alimentation. Mais on peut aussi les attraper par les voies aériennes. En effet, notre environnement est saturé de spores de levures et de moisissures que nous respirons en permanence. “Dans ce cadre, l'espèce la plus dangereuse appartient certainement au genre Aspergillus qui attaque les poumons et peut se disséminer dans tout l'organisme. Mais sinon, la plupart de ces spores sont inoffensives étant donné que notre organisme est trop chaud pour qu'elles s'y développent.“
Des champignons pathogènes étroitement surveillés en milieu hospitalier
Il n'empêche que dans les services hospitaliers, ces champignons sont étroitement surveillés. Les patients immunodéprimés sont placés en chambre stérile, leurs nourritures, leurs boissons sont contrôlées.
Depuis 2009, date de la description du premier cas de contamination humaine, la levure la plus surveillée reste cependant Candida auris, responsable d'épidémies dans des services hospitaliers. Pour le CDC, centre américain de contrôle des maladies, Candida auris, désormais multirésistant aux trois classes d'antifongiques disponibles, représente une "menace mondiale sérieuse pour la santé humaine".
En réalité, pour l'être humain, les cordyceps sont plus une chance qu'une menace. “La ciclosporine, immunosuppresseur très précieux pour les greffes d'organes, a été isolée d'un champignon appartenant aux cordyceps, rappelle Françoise Fons responsable du laboratoire de Botanique, Phytochimie et Mycologie de l'université de Montpellier. L'autre composé intéressant en médecine humaine est le fingolimod, utilisé dans le cadre d'une sclérose en plaques. C'est un dérivé amélioré d'un composé, la myriocine, produit par un autre champignon Cordyceps sinclarii, champignon entomopathogène parasitant les nymphes des cigales.“
Le cordyceps considéré comme aphrodisiaque dans la pharmacopée chinoise
En pharmacopée chinoise, le cordyceps est même considéré comme un aphrodisiaque car il aurait des propriétés stimulantes. C'est un mets précieux et cher, car rare, offert aux membres de l’élite impériale du temps des empereurs. Testées pour leurs activités anti-oxydante, anti-inflammatoire et antimicrobienne, les différentes espèces de Cordyceps auraient des vertus protectrices pour différents organes comme les reins, les poumons, le foie, le cerveau. Ils font également l’objet de nombreuses recherches notamment dans le traitement des cancers. "Lors des Jeux Olympiques d’été de Pékin en 2008, précise Françoise Fons, il y a eu une polémique à propos de certains joueurs qui auraient été «dopés» par des compléments alimentaires à base de cordyceps..."
Par Hervé Ratel /Source SciencesEtAvenir.fr
Et certains scientifiques avancent même que le cordyceps aurait pu être notre meilleur allié dans la conquête de la planète. "En effet, précise Luis Portillo, la chute de l'astéroïde géant voilà 66 millions d'années a provoqué un refroidissement massif de la planète. Selon la théorie du chercheur Merlin Sheldrake, les dinosaures, animaux à sang froid, déjà affaiblis par cette chute des températures, auraient pu être contaminés par un cordyceps qui aurait trouvé en eux un terrain favorable à sa dissémination. Sans l'aide de cordyceps, les mammifères et l'espèce humaine n'auraient ainsi pas été en mesure de proliférer autant..."