La tricherie à l’ère de l’IA : Mythe ou réalité ?
Au printemps dernier, Turnitin, une entreprise spécialisée dans les outils anti-triche pour détecter l’utilisation de l’IA dans les travaux étudiants, a révélé ses conclusions basées sur plus de deux cents millions d’échantillons analysés par son logiciel. Selon leurs données, trois pour cent des travaux avaient été entièrement rédigés par l’IA, et environ dix pour cent montraient des traces d’IA.
Bien qu’il faut rester prudent face aux données publiées par une entreprise à but lucratif sur ses propres produits, ces chiffres ne suggèrent pas une épidémie de tricherie. D’autres études confirment qu’il n’y a pas eu d’augmentation significative du plagiat étudiant depuis l’émergence et la popularisation des grands modèles de langage comme ChatGPT. Les étudiants trichent déjà beaucoup – jusqu’à 70 % déclarent au moins un cas de tricherie au cours du dernier mois – mais les taux de tricherie n’ont pas changé avec l’arrivée de l’IA.
Perspectives des Enseignants sur l'Utilisation de l'IA
Pourtant, le nombre d’enseignants et d’adultes persuadés que tous les élèves trichent a augmenté. Une étude du Center for Democracy and Technology montre que « la majorité des enseignants affirment que l’IA générative les a rendus plus méfiants quant à savoir si le travail de leurs élèves est réellement le leur. » Ces suspicions sont aggravées par les limites des outils de détection de l’IA, notamment le biais envers les écrits des locuteurs non natifs de l’anglais.
L’incertitude autour de l’efficacité de ces outils, combinée à l’absence de politiques claires sur l’IA dans de nombreux districts scolaires, a engendré des débats sur la gestion des cas de tricherie présumée. Le Center for Teaching Excellence de l’Université du Kansas, dans ses directives sur l’utilisation de Turnitin, conseille aux enseignants d’éviter les « jugements hâtifs » basés uniquement sur les résultats du logiciel et de comparer le travail suspect avec des exemples antérieurs, d’offrir une seconde chance et de discuter avec l’élève.
Impact des Technologies Éducatives
L’éducation, saturée de données mais rarement concluantes, est un terrain fertile pour les malentendus. Chaque jour, les enfants passent des tests et chaque étape de leur parcours éducatif est suivie, mais les études montrent souvent beaucoup de bruit et peu de signal. Lorsqu’il s’agit d’interpréter des changements subtils dans les résultats des élèves, il est courant de se retrouver avec des tendances générales présentées avec prudence.
Il semble que dans les écoles utilisant ChatGPT, les enseignants soient devenus excessivement méfiants, renforcés par des outils conçus pour attraper les tricheurs. Ces outils ont probablement dissuadé certains élèves, mais les tricheurs finissent toujours par trouver des moyens de contourner les règles.
Réflexion sur la Tricherie et l'Automatisation dans l'Éducation
Historiquement, chaque nouvelle technologie dans les salles de classe a suscité des inquiétudes similaires : des calculatrices graphiques aux téléphones portables, jusqu'à Wikipédia, autrefois accusé de nuire à la recherche académique, mais qui s'est révélé être un atout précieux. De même, les grands modèles de langage ne sont pas une menace existentielle pour l’éducation.
Au contraire, ils posent une question fondamentale : où tracer la ligne entre l’apport personnel des étudiants et l’assistance technologique ? Dans les sciences, la distinction entre tricherie et apprentissage est souvent plus nette. Copier les réponses d’un voisin est clairement tricher. Mais l’utilisation d’une calculatrice pour simplifier des multiplications dans un problème complexe, est-ce vraiment de la tricherie ?
Demander à ChatGPT d’écrire un essai est une situation plus complexe, mais cela reflète une interrogation plus large sur l’automatisation dans l’apprentissage. Même dans les beaux-arts, où les artistes comme Andy Warhol, Damien Hirst et Jeff Koons délèguent souvent le travail à des assistants, l’authenticité de l’œuvre n’est pas forcément remise en cause.
Redéfinir l'Apprentissage à l'Ère de l'IA
Ces questions soulignent notre perception souvent arbitraire de la tricherie. En dehors des cas flagrants de plagiat, la frontière entre tricherie et travail acceptable semble souvent dépendre du temps et de l’effort investi. Un étudiant qui passe des heures en bibliothèque à consulter des microfiches suscite plus de respect que celui qui utilise Google pour les mêmes informations, et encore moins s’il se contente de paraphraser Wikipédia.
Internet a bouleversé l’éducation en remettant en question la nécessité de mémoriser des faits facilement accessibles en ligne. Les moteurs de recherche, Wikipédia et maintenant ChatGPT, ont tous suscité des débats sur la pertinence des méthodes d’enseignement traditionnelles. Malgré ces bouleversements, les systèmes éducatifs évoluent lentement, souvent grâce à la stabilité apportée par les enseignants expérimentés.
Cependant, le glissement vers des approches éducatives plus orientées sur les compétences de recherche et de réflexion que sur la mémorisation brute semble inévitable. La course pour contrer la tricherie à l’aide de l’IA et les multiples outils développés à cet effet posent une question plus vaste : comment définir ce qui appartient véritablement à l’élève ?
La panique actuelle autour de l’IA offre une opportunité de refocaliser l’éducation sur les habitudes de travail et de réflexion critique, plutôt que sur des mesures punitives et la peur du plagiat. Peut-être est-il temps de réintroduire des méthodes plus traditionnelles, comme les rédactions écrites en classe à la main, pour enseigner non seulement les faits, mais aussi la valeur du processus d’apprentissage.
Article de Jay Caspian Kang : The New Yorker , Traduit par Aghilas AZZOUG