Les racines du génocide rwandais, qui s'est déroulé du 6 avril au 4 juillet 1994, plongent bien plus loin dans l'histoire que ces tragiques 100 jours. Environ 800 000 personnes, majoritairement de l'ethnie Tutsi, furent victimes de massacres d'une extrême brutalité. Pourtant, les prémices de cette tragédie remontent à l'ère coloniale.L'histoire commence avec la colonisation du Rwanda, d'abord par l'Allemagne, puis par la Belgique, au tournant du XXe siècle. Les colonisateurs ont contribué à une dynamique de division en hiérarchisant les groupes ethniques du pays. Les Tutsis, minoritaires, furent considérés comme supérieurs aux Hutus et aux Twas. Cette hiérarchie s'est traduite par des privilèges accordés aux Tutsis en termes d'accès à l'éducation et aux postes de pouvoir. En 1931, la Belgique a exacerbé ces divisions en rendant obligatoire la mention de l'ethnie sur les papiers d'identité, renforçant ainsi les bases de la discrimination raciale. Ces politiques d'exclusion ont nourri un climat de tension et de ressentiment entre les différentes communautés ethniques.
Les racines du génocide rwandais sont profondément ancrées dans l'histoire du pays. Dès 1959, des tensions éclatent entre les ethnies Hutu et Tutsi. L'indépendance proclamée en 1962 marque un tournant majeur, les Hutus prenant le contrôle politique, renversant ainsi la hiérarchie établie. Les Tutsis, jadis dominants, se retrouvent marginalisés, privés de leurs droits et de leurs privilèges. Au fil des décennies, les tensions ethniques s'exacerbent, marquées par des violences récurrentes et des exodes massifs de Tutsis fuyant les persécutions.
La situation atteint un point critique avec le déclenchement d'une guerre civile en 1990. Cependant, le déclencheur décisif survient le 6 avril 1994, lorsque l'avion transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais est abattu, tuant tous les passagers à bord. Cette tragédie déclenche un déferlement de violence sans précédent, les milices Hutu prenant pour cible tout individu identifié comme Tutsi, ainsi que les Hutus considérés comme soutenant les Tutsis.
En ces temps sombres, les récits des survivants offrent une lumière d'espoir et de témoignage poignant. La bande dessinée "Le Grand voyage d'Alice" de Gaspard Talmasse, récemment publiée par les éditions La Boîte à Bulles, retrace l'histoire bouleversante de l'enfance d'Alice, une Hutu rwandaise contrainte de fuir son pays à l'âge de cinq ans pour échapper aux atrocités de la guerre civile. Ce récit, raconté à travers les yeux innocents d'un enfant, offre un témoignage puissant et émouvant sur les événements tragiques du génocide rwandais.
La distinction entre Hutus et Tutsis, ethnies principales du Rwanda, revêt différentes interprétations. Avant tout, il est essentiel de comprendre que ces deux groupes ethniques, ainsi que les Twas, partagent la même langue et la même religion.
Une explication souvent avancée est géographique : les Hutus seraient originaires du Sud et de l'Ouest de l'Afrique, tandis que les Tutsis viendraient de la vallée du Nil. Cependant, une autre interprétation historique suggère que, avant la colonisation, Hutus, Tutsis et Twas étaient davantage des catégories socio-professionnelles. Les Tutsis étaient des éleveurs de bétail, les Hutus des agriculteurs, et les Twas des artisans. Ainsi, la distinction entre ces groupes était fluide, un Hutu pouvant devenir Tutsi en acquérant du bétail, et vice versa. Les mariages interethniques étaient également courants.
Toutefois, l'arrivée des colons a profondément modifié cette dynamique. L'ethnie a été inscrite sur les cartes d'identité, figeant ainsi les identités ethniques. De plus, les Belges ont introduit une classification physique, décrivant les Hutus comme plus petits et robustes, aux traits plus larges, tandis que les Tutsis étaient dépeints comme plus grands, plus minces, avec des traits plus fins. Cette caractérisation physique a contribué à renforcer les divisions ethniques préexistantes.
Le rapport récent d'une commission d'historiens a mis en lumière le rôle controversé de la France dans le génocide rwandais. La France est accusée d'avoir été "aveugle" face à la montée en puissance du régime "raciste, corrompu et violent" du président hutu Juvénal Habyarimana, malgré les avertissements émis de diverses sources, dont Kigali, Kampala et Paris.
La relation étroite entre le président français de l'époque, François Mitterrand, et son homologue rwandais est également soulignée, mettant en lumière une connexion "forte, personnelle et directe". Cependant, le rapport ne trouve pas de preuves concluantes démontrant une complicité de la part de Paris dans le génocide. Par Aghilas AZZOUG