C’Ă©tait un tabou. Si notre dĂ©mocratie s’accordait, en secret, le droit de recourir Ă l’assassinat ciblĂ© contre des ennemis Ă©trangers, une pratique reconnue par l’ancien prĂ©sident de la RĂ©publique François Hollande, la France s’interdisait, en thĂ©orie, de tuer ses propres ressortissants. Une rĂšgle avancĂ©e officieusement par les autoritĂ©s politiques et du renseignement depuis l’aprĂšs-guerre. Un ouvrage fouillĂ© Ă paraĂźtre, Les Tueurs de la RĂ©publique (Fayard), de Vincent Nouzille, dans son Ă©dition augmentĂ©e, livre des documents inĂ©dits qui viennent contredire cette affirmation. Extraits du fonds d’archives personnelles de Jacques Foccart, homme de confiance du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, chargĂ© de suivre les services secrets et les affaires africaines, ils lĂšvent un voile inĂ©dit sur des projets d’Ă©limination de Français mais aussi d’EuropĂ©ens et de dignitaires Ă©trangers.
Selon ces nouvelles piĂšces, au cĆur de l’Ă©tĂ© 1958, dans le plus grand secret d’un pouvoir gaulliste tout juste revenu aux affaires grĂące au putsch d’Alger du 13 mai, Jacques Foccart a coordonnĂ©, sous les ordres du gĂ©nĂ©ral, un programme d’opĂ©rations clandestines sur fond de conflit algĂ©rien. Menaces, attentats, sabotages mais aussi assassinats figurent parmi les moyens employĂ©s. Le service action du Sdece (service de documentation extĂ©rieure et de contre-espionnage, devenu DGSE) Ă©tait chargĂ© de mener ces missions. Constantin Melnik, conseiller du premier ministre chargĂ© des affaires de renseignement de 1959 Ă 1962, chiffrait le nombre d’assassinats Ă 140 pour la seule annĂ©e 1960, sans pour autant fournir de dĂ©tails.
DatĂ© du 5 aoĂ»t 1958 et intitulĂ© « Fiche concernant les objectifs Homo [terme technique qui dĂ©signe les assassinats] », le premier document dresse la liste de neuf personnes Ă Ă©liminer. Elles sont classĂ©es en trois catĂ©gories. Les « Français pro-FLN » avec un nom, Jacques Favrel, un journaliste basĂ© Ă Alger. Celle des « trafiquants » comprend six noms : des vendeurs d’armes mais aussi des proches du Front de libĂ©ration nationale (FLN), dont un Autrichien, un Allemand et un « Français musulman algĂ©rien » appartenant Ă un rĂ©seau d’exfiltration de lĂ©gionnaires dĂ©serteurs. Et enfin, celle intitulĂ©e « Politique » dans laquelle apparaĂźt le nom d’Armelle Crochemore.
« But Ă atteindre »
Au bas de cette piĂšce essentielle Ă l’Ă©criture de l’histoire de la politique française d’assassinats ciblĂ©s, l’encre bleue de la plume de Jacques Foccart, dont on reconnaĂźt la signature, indique que cette liste a reçu « l’accord de l’amiral Cabanier le 7/8 ». Ce dernier n’est autre que le chef d’Ă©tat-major de la dĂ©fense nationale attachĂ© au gĂ©nĂ©ral de Gaulle Ă la prĂ©sidence du Conseil. Puis M. Foccart ajoute, Ă la suite : « DonnĂ© aussitĂŽt au gĂ©nĂ©ral Grossin », le patron du Sdece. Deux jours se sont Ă©coulĂ©s entre la rĂ©ception des noms rĂ©unis par les services secrets et le feu vert transmis, en retour, par le pouvoir politique. La validation, entre-temps, par le gĂ©nĂ©ral de Gaulle lui-mĂȘme est probable, mais elle ne relĂšve, Ă ce stade, que de l’hypothĂšse.
Par Jacques Follorou
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