Voici la tragique histoire de quatre sœurs des filles de la Charité, organisation fondée par Saint-Vincent de Paul pour s'occuper des pauvres.
Marie Françoise Lanel est née à Eu en 1745. Elle est issue d'une vieille famille eudoise d'artisans. Son père est tailleur d'habits et vit avec sa femme Marie Marguerite non loin de la collégiale où la petite Marie est baptisée le lendemain de sa naissance. En 1754, sa mère décède emportée par la maladie, la famille connaît alors une période sombre et le père se remarie pour redonner une mère à ses enfants et ainsi consacrer son temps à son travail ; la famille déménage et c'est à cette époque que la petite Marie est confiée par son père aux filles de la Charité pour recevoir une instruction. Marie devient elle-même, en 1764 à l'âge de 19 ans, sœur dans cet ordre religieux à Cambrai puis à Arras, où elle arrive juste avant la révolution. Sa décision a sans doute été influencée par la naissance de deux demi-frères qui ont bouleversés l'équilibre familial et par une tante elle-même sœur de Saint-Vincent-de-Paul.
Marie Madeleine Fontaine née à d'Etrapigny dans l'Eure le 22 avril 1723, est la fille de Robert Fontaine, cordonnier et de Marie-Catherine Cercelot. Elle a treize frères et sœurs et entre dans la compagnie en 1748, à l'âge de 25 ans.
Thérèse Fatou est née en Ille-et-Vilaine, à Miniac-Morvan le 29 juillet 1747, fille de Louis Fatou et de Marie Robidou. Elle devient une fille de la charité à 24 ans, en 1771.
Jeanne Gérard née le 23 octobre 1752 à Cumières, dans la Meuse et entre dans la compagnie en 1776, à 24 ans. Elle est la fille de Nicolas Gérard, fermier laboureur et d'Anne Bréda.
La communauté d'Arras assure les soins aux malades, la visite des familles pauvres et éduque les enfants. Elle est soutenue dans ses actions par les familles les plus aisées de la ville. L'arrivée de la révolution trouble la tranquillité des religieuses d'Arras : même si les sœurs gardent la sympathie de la population, face à la Terreur qui s'installe certaines décident de rentrer dans leurs familles, la mère supérieure conseille à certaines d'entre elles, notamment les plus jeunes, de se réfugier en Belgique. En 1793 seules quatre sœurs maintiennent l'activité de la maison de la Charité, ce sont Marie Lanel, sœur Marie Madeleine Fontaine, sœur Thérése Fantou et sœur Jeanne Gérard.
Un an après la prise de la Bastille, l'assemblée nationale, par décret impose la Constitution civile du clergé. Cette constitution est imposée dans le royaume et déclare le clergé indépendant du Saint-Siège et soumet le recrutement des évêques et des prêtres à l'élection. Les religieux refusant d'y prêter serment sont considérés comme réfractaires. Des enquêtes sont menées dans tout le royaume et les filles de la Charité sont interrogées et un rapport fut rendu indiquant qu'elles avaient refusé de prêter serment. C'est à cette époque qu'un nouveau responsable des départements du Nord et du Pas-de-Calais est nommé par le Comité du Salut Public et prend son poste : c'est Joseph Lebon, fils d'un Bourgeois d'Arras qui assure un climat de violence et de peur dans la ville. Il transforme la maison de la Charité en maison de l'Humanité et nomme un directeur pointilleux qui surveille l'activité des sœurs, les vexations sont incessantes et les dénonciations quotidiennes.
Le 14 février 1794, les quatre sœurs sont arrêtées et conduites à l'abbatiale Saint-Waast car elles ont refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé. Convaincues de leur foi, elles apportent soutien, écoute et compassion à leurs compagnes prisonnières désemparées et incertaines.
Les sœurs de la Charité firent les frais de dénonciation : une certaine Eugénie Mury, fille d'un officier municipal prétendit que les religieuses cachaient des documents et des journaux contre révolutionnaires. Les sœurs furent interrogées par le comité de surveillance et furent interrogées à nouveau le 4 avril, et refusèrent une nouvelle fois de prêter serment à la nouvelle constitution qui est contraire à leur conscience et à leur foi.
Le 25 juin, elles sont soudainement transférées : la charrette s'ébranle à une heure et demi du matin et arrive à huit heures trente à Cambrai où elles sont enfermées dans la chapelle de l'ancien Séminaire. Elles comparaissent à nouveau et sont condamnées à la mort immédiate. Le peuple, dit-on, pour montrer sa réprobation resta froid au lieu de battre des mains comme il le faisait habituellement à la lecture d'une condamnation. Toujours convaincues de leur foi, les religieuses prièrent avec leur chapelet en attendant la charrette qui doit les conduire vers la guillotine. Excédés, les gardes leurs arrachent les amulettes et les placent sur leur tête en forme de couronne. Elles traversent ainsi les rues de Cambrai en chantant l'Ave Maria et répètent « Ne pleurez pas, ayez confiance, nous serons les dernières ».
L'exécution est prévue le 26 juin 1794 vers 10 heures, les sœurs sont à genoux au pied de l’échafaud ; sœur Marie Madeleine Fontaine déclara qu'il n'y avait plus de diables en enfer puisqu'ils sont tous sur terre. Les corps furent jetés dans la fosse commune du cimetière de la porte Notre-Dame (aujourd'hui cimetière St-Géry). On trouve de nos jours, à l'emplacement de cette fosse, la sépulture des filles de la Charité. Le lendemain de leur mort, le tribunal acquitta un lieutenant de dragon ayant tenu des propos contre révolutionnaires. Les sœurs voyaient juste et leur prédiction « Nous serons les dernières » se révélera exacte car le 28 juillet 1794 Robespierre fut exécuté ; Lebon voyant le vent tourner pris la fuite vers Paris. La fin de la Terreur était toute proche …
Soeur Lanel sera béatifiée le 13 juin 1920. Une statue la représentant est visible dans la collégiale d'Eu.