Pointés du doigt pour leur impact négatif sur le climat, les jets privés sont pourtant en plein boom. L’entreprise Valljet, première du secteur, a vu son activité augmenter de 80% sur un an et s’arrange pour payer le moins d’impôts possible en France.
Mercredi 17 août. L’entreprise Valljet annonce, à grand renfort de communication, l’acquisition d’un nouvel appareil, le F-HBAN, portant à trente le nombre total de bijoux des airs détenus par la compagnie. Hasard du calendrier : deux jours plus tard, Julien Bayou, le secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) explique dans Libé qu’il veut «bannir les jets privés» et qu’il a l’intention de déposer une proposition de loi dans ce sens à l’Assemblée nationale. Ni une ni deux, le sujet s’impose dans le débat public. A l’heure où les Français sont pris à la gorge par une inflation hors de contrôle et bientôt contraints de faire des efforts dans le cadre d’un plan de sobriété normalement présenté à l’automne par le gouvernement, la question de la régulation d’entreprises polluantes et très symboliques s’impose dans le débat public.
Dans une enquête publiée dimanche, Mediapart révèle que la firme Valljet, leader dans le secteur des jets privés, fait tout pour payer le moins de compensations carbone possible, malgré le principe du pollueur-pollueur. Ainsi, Valljet ne s’est toujours pas acquitté de la somme qu’elle doit à l’Etat français en contrepartie du rejet massif de gaz à effet de serre. «Valljet a déclaré auprès de l’Union européenne 12 890 tonnes de CO2 émises dans l’espace européen pour l’année 2021 – l’équivalent de 1 430 fois l’empreinte carbone annuelle d’un Français moyen, écrit Mediapart. Mais aucune compensation financière pour ces émissions n’a été, à l’heure actuelle, réglée par VallJet, comme l’indiquent les données de suivi du marché carbone européen.»
Pire : l’entreprise serait en train de s’organiser en coulisse pour «à l’avenir, passer sous les radars du marché carbone». En l’occurrence en créant une entreprise sœur : «L’objectif ? Répartir entre les deux entreprises les rejets de CO2 de la trentaine d’aéronefs pour passer sous le plafond légal des émissions à partir duquel il faut payer pour pouvoir polluer», explique Mediapart. Les engins tant convoités rejettent en moyenne 19 000 tonnes de CO2 par an. Soit 2 000 fois plus que l’empreinte carbone moyenne d’un Français. D’ailleurs, Valljet a tellement pollué l’an dernier qu’elle a dépassé le plafond maximum d’émissions de gaz à effet de serre autorisé par l’Union européenne.
«Une euphorie sans précédent»
Au cours d’un été plus chaud que jamais, où les épisodes de canicule extrême se sont mêlés aux orages, aux inondations, à l’assèchement des sols, où les Français ont assisté, mi-médusés, mi-inquiets, à ce qui semble préfigurer nos prochains étés, les comptes de l’entreprise Valljet ne se sont jamais aussi bien portés. Toujours selon Mediapart, 1 600 vols en jets privés ont été comptabilisés durant la saison. Une hausse de 80% par rapport à l’été précédent. Et même de 190% par rapport à l’été 2020, année marquée par les restrictions Covid. De quoi filer le sourire au président cofondateur de la boîte, Jean Valli, qui assurait, en mai : «L’aviation privée connaît une euphorie sans précédent.» Depuis la création de sa compagnie en 2008, Vialli a toujours mis un point d’honneur à démocratiser l’accès aux jets privés, faisant en sorte qu’ils ne soient pas réservés «aux milliardaires». L’heure de vol est facturée entre 2 000 et 3 000 euros et des trajets vers l’Italie ou la Corse sont proposés le week-end. Louable intention, si l’impact climatique n’était pas tel.
Par Marceau Taburet