Un quartier populaire de la veille ville d’Alger, fin des années 80.
Un jeune citoyen qui ne voulait qu’un garou Afras et un café noir,
commit l’irréparable à l’aide d’une grosse matraque pour se les
procurer. La police, Eddoula, ou bien encore Lahnoucha, n’ont pas tardé à
avoir vent beli hssel, et viennent embarquer notre petit bandit
b’ssnassel. Lui qui ne voulait que faire son devoir de citoyen, à savoir
se poster dans un café du coin et fumer sa blonde, se retrouva face à
un tribunal qui le déchoit presque, non pas seulement de sa citoyenneté,
mais également de son humanité et le jette en prison.
Une corde
autour du cou cette fois çi, un sourire en rictus et encore une envie de
fumer. Puis voilà la trappe qui s’ouvre soudainement et un cri qui
retenti. « My name is Samuel and i’ll see you all in hell ». Samuel, ou
Sam Hall pour les intimes, ne fut lui aussi dans son far west qu’un
petit bandit de grands chemins, et qui pour les beaux yeux de sa bien
aimée n’avait pas hésité a tuer un homme en flinguant sa tranche avant
que le sheriff ne vienne l’embarquer direct vers la potence.
Les deux histoires ne viennent pas d’une page de faits divers. La
première est tirée d’une chanson du cheikh sidi bémol, El Bandi, ou un
portrait d’un petit bandit algérien est dépeint avec une grande
sensibilité et une subtile tendresse. La deuxième est un résumé sommaire
de l’épopée d’un certain Samuel hall, chantée entre autres par le grand
Johnny Cash dans un morceau qui porte le même nom et qui peut être
considéré comme un hymne à tous les marginaux du monde. La ressemblance
entre les deux chansons est frappante au point ou l’on pourrait
ressentir que les deux héros, dont la spécificité principale est celle
d’être des marginaux, se valent et se font des clins d’œil revotés,
presque révolutionnaires, mais chacun à sa manière.
Qu’il soit
américain donc ou algérien, contemporain ou historique, le marginal est à
chaque fois une figure qui suscite des émotions souvent
contradictoires, de la méfiance pour certains mais de l’admiration pour
d’autres, du mépris bien sur, mais souvent en forçant un tacite respect.
Ce
qui est intéressant dans les deux chansons, c’est qu’elles ne
s’arrêtent pas à l’image stéréotypée d’un marginal, elles ne le
dépeignent pas de l’extérieur seulement, du point du vue de la société
qui le nie, mais elles se mettent dans sa peau, elles parlent et
chantent en son nom, et elles lui redonnent son humanité et sa
citoyenneté.
Bien que les deux protagonistes, Samuel Hall et
notre Moh national, ne semblent en un aucun moment regretter leurs
gestes, on constate que dans la version algérienne le bandit intègre son
quartier et retrouve weld houmtou les bras grands ouverts pour lui
souhaiter la bienvenue, ce qui nous éloigne de la fin tragique de Samuel
Hall qui lui fut pendu.
En effet, la marginalité peut être perçue de différentes manières
par la loi et par la société, mais aussi par la sociologie. Elle peut
être vue comme une conséquence de plusieurs mécanismes sociaux qui font
d’elle un phénomène subi par le marginal, ou du moins qui lui est
imposé, et c’est le cas d’el bandi ta3 bémol contrait par la pauvreté à
agresser les passants. Mais la marginalité peut également être un choix,
un refus réfléchi et surtout voulu des normes et des contraintes
sociales, et c’est le cas de Samuel Hall.
Il est particulièrement
intéressant de se pencher sur la question des marginaux en Algerie et
ce pour plusieurs raisons. La plus pertinente c’est celle qui fait que
notre système de gouvernance soit un système autoritaire, et que les
marginaux sont la bête noire de tout système de ce genre. On sait par
exemple que Lénine avait une peur bleue du LumpenProletariat, les
sous-prolétaires, ces éléments de seconde zone dans l’URSS comme les
voyous, les mendiants et les voleurs. La deuxième raison c’est que la
société algérienne est, et au delà de ce qu’elle laisse voir, une
société très diversifiée ou l’on peut croiser des spécimens très
intéressants qui valent la peine de les étudier. Enfin, la troisième
raison c’est que personne ne semble s’intéresser aux sort de la marge f
bladna, on sait d’ailleurs même pas chkoun houma les marginaux en
Algérie, et on ne peut même pas les définir.
La prostituée
algérienne que l’on désire et que l’on méprise n’est elle pas une
marginale au même titre que l’intellectuel que l’on respecte mais que
l’on ne comprend pas, L’artiste passionné n’est il pas lui aussi à la
marge tout autant qu’un voyou récidiviste, une simple femme qui n’a pas
envie de se marier, une « Bayra » ne devient elle pas une marginale
aussi indésirable qu’un juif algérien. L’Algérie enfin, n’est elle pas
un pays à la marge de lui-même à force de rejeter ses propres enfants.
Mais au lieu de se questionner, comme la majorité le font, sur les
mécanismes qui peuvent mettre une personne ou un groupe de coté, et sur
ce qu’une société doit leur apporter en termes d’aide, on va plutôt
faire le contraire et nous demander ce que les marges sociales peuvent
apporter à leur société.
Parler de l’apport des marges c’est
valoriser ces dernières, les dédiaboliser et faire d’elles des vrais
acteurs dans leurs société. Bien sur, parler de ce qu’un voyou
récidiviste peut apporter à son pays est une chose qui parait absurde à
première vue, mais à bien y creuser dans l’histoire on peut aisément se
rendre compte que le crime avait de tout temps été un énonciateur de
grands événements dans la société, et que les marginaux donc, par de
subtiles dynamismes et transformations, sont souvent à l’origine des
plusieurs mouvements et bouleversements sociaux.
Concrètement, et
du fait même de sa marginalité qui l’empêche de s’inscrire dans sa
société et d’obéir à ses normes, la marge n’a d’autres choix que de
mêler à son envie de s’intégrer une sorte de force qui va faire d’elle
un acteur par effraction, elle va bouleverser l’ordre régnant et imposer
son identité et ses aspirations. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs en
Algérie quand des groupes de fans de foot, des Ultras comme on les
appelle, que le système avait mis à la marge en restreignant leur
expression aux stades, ont été annonciateurs du plus grand mouvement
social citoyen que l’Algérie avait connu. Les marginaux sont passés d’un
rôle périphérique à un rôle central dans la dynamique sociale.
Outre
les mouvements sociaux, les marges sont aussi une source intarissable
de créativité culturelle, scientifique et artistique. Qui aurait
valorisé le Gnawi si ce n’était quelque individus marginaux férus d’un
style primitif qu’ils sont allés déterrer, et qui aurait fait et
déclenché la révolution contre la troisiéme puissance mondiale en 1954
si ce n’était quelques jeunes timbrés comme Ali La Pointe ou Hocine Ait
Ahmed dont on essaye de nous faire oublier le caractère marginal de nos
jours.
Alain Bashung à fait lui aussi une superbe adaptation de
la chanson de Sam Hall, il n’avait gardé que le « je m’appelle Samuel
Hall et je vous déteste tous » du texte original, pour le reste il avait
bien compris la flexibilité de la peau du personnage et y avait inséré
de ce fait une âme d’écrivain torturé qui n’arrive pas à pondre «
quelque chose qui marche », et c’est là aussi un exemple qu’un marginal
n’est pas toujours une personne délinquante ou dangereuse, mais souvent
un trésor inexploité qui peut transformer toute une société. Espérons
que la notre ouvrira les bras à ses marginaux comme wled l’houma ont
ouvert les leurs au Bandi de Sidi bémol.
💣Article écrit par Amine Ait
Pour écouter la chanson de Sidi Bemol
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