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Le 16 août 1944, à Chartres, la foule en liesse hue onze femmes

La Rédaction

Simone Touseau tient son bébé dans les bras. À sa droite, sa mère.

 16 août 1944. Alors que les Américains viennent de libérer Chartres, la foule en liesse hue onze femmes, tondues pour s’être livrées à la “collaboration horizontale” avec l’occupant. Parmi elles, Simone Touseau, 23 ans. Le photographe de guerre Robert Capa était là.
                                                                                                                                 Par :Gilles Heuré

Sur le trumeau du portail sud de la cathédrale de Chartres, le « Christ enseignant » ne pouvait rien voir : le chemin de croix de Simone Touseau se déroulait du côté nord. Mais il a probablement entendu les cris, les quolibets et les insultes. Témoin, qu’aurait-il pu enseigner d’ailleurs de ce mercredi 16 août 1944, qui vit les premiers chars américains entrer dans la ville et la foule partagée entre la joie et l’esprit de vengeance ? Dans la cour des communs de la préfecture d’Eure-et-Loire ont été regroupées des personnes soupçonnées de collaboration. Trois hommes sont rapidement exécutés et onze femmes sur dix-neuf livrées aux ciseaux pour être tondues. Le nombre aurait pu être plus important si un capitaine des Forces françaises de I’intérieur (FFI), authentique résistant celui-là, ne s’était interposé pour mettre fin à cette outrageante justice expéditive. Parmi les « tondues » figure Simone Touseau, 23 ans. Et à la différence des autres, elle a été marquée au fer rouge sur le front. Depuis la préfecture, une sinistre procession accompagne la jeune femme, sa mère, également tondue, et son père qui porte un baluchon. Autour d’eux, hommes, femmes et enfants savourent l’événement, remontent la rue du Cheval-Blanc, et parcourent les quelques centaines de mètres jusqu’au domicile des accusées.

Soixante-seize ans plus tard, les rues sont identiques. Ce 23 novembre 2020, la rue du Cheval-Blanc est déserte, confinement oblige. La librairie La Procure a baissé le rideau de fer, un magasin « Antiquité Librairie Galerie » au joli nom de « Passeur de lumière » a porte close, un autre commerce affiche « Bail à céder ». Et quelques mètres plus loin, une séduisante petite crêperie propose devant sa porte un « hot-dog breton », cette galette-saucisse que quelques-uns parmi le million de visiteurs annuel qui se dirigent vers la cathédrale en temps ordinaire ont sans doute dégustée avec curiosité en cette place Jean-Moulin. Une immense peinture murale représente ce dernier coiffé d’un chapeau et le cou entouré d’une écharpe. Préfet d’Eure-et-Loir, il refusa, en juin 1940, d’accuser à tort des tirailleurs sénégalais d’un massacre de civils victimes de bombardements allemands. Il tentera de se suicider en se tranchant la gorge. Ce n’était que le début d’une destinée hors du commun.

Quelque vingt mille femmes ont subi le même sort en France

Les onze Chartraines tondues pour « avoir fait la vie avec les Boches » devaient connaître son nom. Accusées de collaboration active ou de « collaboration horizontale », cette forme de « relation avec l’ennemi » dont la nature sexuelle est la marque d’une coupable infâmie, elles font partie des quelque vingt mille femmes qui ont subi le même sort en France entre 1943 et 1946. La « tonte » à laquelle se livrent des coiffeurs professionnels ou des FFI « de la vingt-cinquième heure » est alors, comme l’a expliqué l’historien Fabrice Virgili, « la première violence exercée contre l’ennemi, ou plutôt contre celle qui l’incarne », par une partie de la population « redevenue actrice » après avoir subi l’Occupation pendant quatre ans. Et comme ce fut déjà le cas lors de la Première Guerre mondiale, la nature sexuelle de la relation revêt une dimension symbolique et encourage tous les fantasmes. L’écrivain Louis Guilloux (1899-1980), à Saint-Brieuc, sera témoin de telles scènes de la Libération, qu’il relate dans ses Carnets : des femmes dont l’une, la tête rasée, ressemble à une « poire pelée », une autre avec une « tête de bagnard ». Et partout la foule qui crie « Hou ! Hou ! ».


De nombreux documents ont rendu compte de ces « tontes » sauvages. Certains sont des photographies prises par des particuliers ou des soldats américains. Mais une photo semble les résumer toutes, celle saisie par le grand photographe de guerre Robert Capa (1913-1954), à Chartres, ce 16 août 1944. Dix jours auparavant, il a débarqué avec la première vague d’assaut du 116e régiment d’infanterie américain sur Easy Red, à Omaha Beach, « Omaha la sanglante », et pris des clichés devenus légendaires dont onze, seulement, ont pu être sauvés d’un séchage intempestif en laboratoire. Après la longue bataille du « bocage », il arrive à Chartres et, alerté par les cris de la foule qui se masse devant les grilles de la préfecture, il parvient à y pénétrer et à prendre en photo le groupe de prisonniers. Au moment où des FFI et une cohue de curieux escortent en riant la famille Touseau, Capa, insatisfait par les photos de dos, fonce pour se retrouver devant le cortège et commence à déclencher son Contax. En reculant encore, il prend le désormais célèbre cliché qui restera comme « La Tondue de Chartres ». Simone Touseau, entourée d’un homme en uniforme et d’un autre en chemise blanche qui se prétend « chef de la résistance policière », porte son bébé de trois mois dans les bras. En robe recouverte d’une blouse, elle est au centre de la photo, comme une pietà pécheresse. Elle ne regarde que son enfant, semblant ignorer les regards tendus vers elle et les sourires des autres femmes qui jouissent du spectacle. Le 4 septembre, le magazine Life publiera le reportage « The French get back their freedom » (« Les Français retrouvent leur liberté ») avec sept photos, cinq de Ralph Morse, l’autre reporter arrivé avec Capa, et deux de celui-ci, dont la fameuse « tondue ».


Une enquête fascinante sur une photo iconique

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans un livre paru aux éditions Vendémiaire en 2011, Philippe Frétigné et Gérard Leray ont mené une fascinante enquête sur cette photo symbolique d’une forme d’épuration peu honorable. « Au départ, explique aujourd’hui Philippe Frétigné, j’ai discuté avec Gérard Leray, professeur d’histoire-géographie et précieux connaisseur de la région et de cette période. Nous échangions simplement sur un élément du décor : la grande porte entourée d’un portail de pierres à arc de style Renaissance où figure un blason représentant un griffon et devant lequel passe la foule en cette journée d’août 1944. La porte en question est celle de l’hôtel de Champrond, à l’époque étude notariale, qui fut jadis propriété d’un haut magistrat de Louis XIV, dont l’avarice aurait inspiré Molière pour son Avare, selon la légende. De fil en aiguille, nous avons finalement retracé l’histoire de la photo, celle des protagonistes, la sociologie politique de la ville et le contexte historique de l’époque. »

La foule à hauteur de l’hôtel de Champrond. Devant Simone Touseau, son père, qui porte un baluchon.

La foule à hauteur de l’hôtel de Champrond. Devant Simone Touseau, son père, qui porte un baluchon.

 Robert Capa / Magnum Photos


La foule à hauteur de l’hôtel de Champrond. Devant Simone Touseau, son père, qui porte un baluchon.

Robert Capa / Magnum Photos

Les recherches menées dans les archives françaises et allemandes et les appels à témoins au moyen d’un site Internet les ont ainsi conduits à mieux cerner la personnalité et l’itinéraire de « la tondue ». De faillites en liquidations, rongés par la frustration et la haine du Front populaire, ses parents étaient devenus au fil des années des commerçants déclassés, aux idées ouvertement d’extrême droite. Quand la guerre arrive, ils choisissent d’emblée leur camp. Simone, elle, a un caractère bien trempé. Bachelière, on la dit arrogante. D’ailleurs, elle ne cache pas ses idées politiques favorables au nazisme. Le voisinage fait aussi des gorges chaudes de son comportement, la traite de fille facile. Sa réputation trouve de nouveaux motifs de détestation quand elle devient interprète dans les services administratifs allemands, puis la maîtresse d’un soldat du Reich, Erich Göz. Bibliothécaire dans le civil, il tient la librairie militaire de Chartres. Envoyé sur le front de l’Est, il est ensuite blessé, et Simone se rend en Allemagne en 1943 pour le rejoindre. Une fois rétabli, il est renvoyé en Russie où il mourra en juillet 1944, alors que Simone, déjà enceinte, était rentrée à Chartres.

Simone Touseau échappe de peu au peloton d’exécution

Dans les derniers mois de 1944, les faits de collaboration reprochés aux femmes suivent une échelle de gravité : avoir adhéré à une organisation collaborationniste et professé des opinions négatives contre la Résistance et les Alliés ; avoir touché de l’argent de l’occupant ; avoir entretenu des relations personnelles avec des membres des troupes d’occupation (collaboration horizontale) ; avoir été coupable de délation. Simone Touseau, qui a aussi adhéré au PPF, le parti collaborationniste de Jacques Doriot (1898-1945), coche donc toutes les cases sauf la dernière, la plus grave. Accusée dans un premier temps d’avoir dénoncé cinq voisins qui ont été déportés, elle évitera le peloton d’exécution, faute de preuves tangibles et grâce à l’habileté de son avocat qui a fait traîner la procédure. Elle ne fera que quelques mois de prison, sortira libre fin 1946 et sera toutefois condamnée à dix ans « d’indignité nationale ». Dépressive et alcoolique, elle mourra en février 1966 à l’âge de 45 ans.

Dans son appartement face à la cathédrale, Philippe Frétigné a tourné la page de cette histoire. Musicien dans l’âme, l’ancien professeur de philo est aujourd’hui facteur de clavecin et il mène des recherches sur l’histoire de l’art au XVIIe siècle. On est loin de la période trouble de l’épuration. Mais il ne peut s’empêcher de faire le lien avec aujourd’hui. « Les cruels déclassements économiques et la précarité croissante d’une partie de la population peuvent aujourd’hui l’entraîner vers des partis fascisants qui exploitent la colère, la haine et la stigmatisation. Karl Marx n’avait pas tort quand il disait que si l’histoire ne se répète pas, elle bégaie. »

 Par :Gilles Heuré / source : Telerama

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