L’Empire ottoman est alors un Etat divisé en de multiples provinces et Etats vassaux; la liberté religieuse est large et un grand nombre de juifs et chrétiens y vivent, faisant parfois carrière dans les plus hautes sphères de l’Etat. L’armée est d’ailleurs essentiellement composée de Janissaires, des Européens et Slaves capturés jeunes et élevés dans l’islam et les armes; les vizirs et hommes de cours sont souvent des convertis à l’islam. L’islam y est alors essentiellement hanafite et l’on y trouve certains des plus grands érudits d’époque; ainsi du mufti Abū al-Suʿūd Efendī ou plus tard, du polymathe Kātib Čelebi et du réformateur puritain Kāḍīzāde. Longtemps réfractaires aux savoirs venus d’Europe – l’imprimerie y sera autorisée que tard – l’on compte néanmoins chez les Ottomans des écoles des plus réputées. La géographie, l’histoire, l’astronomie ou la grammaire sont parmi les sciences les plus appréciées. Les Ottomans ont alors leur langue, leur art de la guerre, une architecture et une culture commune; les ambassadeurs du monde entier font état de la splendeur de leurs mosquées et hammams ainsi que de la qualité de vie qu’on y trouve. Jusqu’au 18e siècle chrétien, l’Empire maintient son statut de superpuissance, mais il commence à perdre en influence à la mort de Suleimān. En 979H (1571), la bataille de Lépante voit les Ottomans perdre l’un des plus grands affrontements navals de l’histoire contre une coalition chrétienne décidée à renverser la vapeur. Les années passent et les sultans aussi; leurs épouses prennent aussi de plus en plus de place dans l’échiquier politique au point où l’on parlera volontiers de sultanats des femmes. Une paix signée en 1015H (1606) met alors fin à la Longue Guerre que se faisaient Ottomans et rois de la Maison Habsbourg. Mais l’Empire est de plus en plus en proie aux troubles internes : Janissaires et vizirs tentent çà et là leurs coups d’Etat. Une influence famille albanaise réussit cependant durant un demi-siècle à y refaire la loi : c’est l’ère des puissants vizirs de la famille Köprülü. Le 17e siècle chrétien est ensuite celui de deux sultans qui allaient marquer l’histoire de l’Empire par leurs victoires militaires et puritanisme religieux : Murād IV et Muṣṭafā II. Mais la lente mort de l’Empire est activée.
Les Ottomans souffrent d’un retard économique et technique avec l’Europe de plus en plus flagrant et ils n’ont de cesse de perdre des terres quand ils sont mis au pied du mur par les Russes et Safavides. L’ère des Tulipes, sorte de Renaissance ottomane, démarrée au début du 18e siècle chrétien n’y fera rien, ni même l’ère des Tanzimat qui allait suivre le siècle suivant. Vaste processus de réforme et de modernisation, l’ère des Tanzimat est alors la tentative désespérée de l’Empire de rattraper la course vers la modernité : la Loi islamique est peu à peu délaissée quand l’on fait un accueil des plus chaleureux aux envoyés militaires, ingénieurs et investissements étrangers. Français et Allemands en profitent. La situation n’empêche pas l’émergence de grands hommes d’Etat; ainsi de Mehmet ʿAlī, gouverneur de l’Egypte, ou du sultan ‘Abdü’l-Ḥamīd II.
Ce dernier aura alors affaire au fameux mouvement des Jeunes Turcs. Nationalistes et inspirés par la Révolution française, ils vont à l’entrée du 20e siècle chrétien oeuvrer à faire entrer l’Empire dans sa phase finale, ou plutôt dans le concert des nations sécularisées de ce monde. Radicaux, ils oeuvrent à une épuration ethnique de l’Empire; Arméniens, Grecs et Assyriens sont déportés ou massacrés. S’alliant aux Allemands durant la Première Guerre mondiale, ils misent sur le mauvais cheval et l’Empire est alors complètement démembré par les vainqueurs en 1336H (1918); ils doivent offrir après le traité de Sèvres la quasi-totalité de leurs terres aux Européens. Seule l’Anatolie subsiste. L’affaire éveille un sentiment nationaliste chez les Turcs sur lequel un général va souffler : il se nomme Muṣṭafā Kemal Atatürk et va réussir à chasser les Européens d’Anatolie pour s’imposer chef du gouvernement. Membre des Jeunes Turcs, il prend en 1341H (1923) une décision historique : il dépose le 101ème et dernier des califes Abdülmecid II et abolit le califat. Après 624 années d’existence, l’Empire ottoman n’était enfin plus; la Turquie était née.
Par Renaud K. source Sarrazins
Pour en savoir plus :
Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, éd. Fayard, 1989.Issa Meyer, Le roman des Janissaires, Ribat, 2018François Georgeon, Nicolas Vatin et Gilles Veinstein, avec la collaboration d’Elisabetta Borromeo, Dictionnaire de l’Empire ottoman, Fayard, 2015, 1 332 pages.
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