Barberousse, le corsaire le plus connu du 16e siècle chrétien
La Rédaction
Article - Barberousse, le mujahid des mers
Corsaire le plus connu du 16e siècle chrétien, Khayr al-dīn dit Barberousse commence son histoire lorsqu’il naît vers l’an 870 de l’hégire (1466) sur l’île de Lesbos (actuellement grecque; à l’époque fraîchement ottomane) d’un père albanais et d’une mère catalane. Un pied dans la mer dès sa plus tendre enfance, il fait ses armes en compagnie de ses trois frères au large du Levant. Commerçants, ils finissent rapidement par intégrer les rangs des corsaires par contrats liés à l’Empire ottoman en vue de lutter contre l’hégémonie militaire de l’ordre chrétien de Saint-Jean basé à Rhodes. Mais Baba-Oruç (Arudj), son grand frère, et le plus renommé des quatre, finit par être fait prisonnier par ces derniers. C’est alors le jeune Khayr al-dīn qui le fait libérer ensuite sa liberté, faisant déjà éclater au grand jour toutes ses capacités. Ensemble, ils habitent alors deux navires leur permettant de rallier les côtes de la Tunisie à l’Empire ottoman; celui-ci est alors en pleine expansion et place ses Hommes dans toute l’Afrique du Nord. En 897H (1492), ils sont mandatés par l’Empire ottoman pour une mission qui restera dans les annales de l’Histoire. Posant l’ancre le long des côtes espagnoles, ils permettent à plusieurs dizaines de milliers de musulmans et de juifs de fuir la répression de l’inquisition espagnole. Déposés au Maghreb ou en Anatolie, ils aident à fonder les premières communautés d’Andalous çà et là; encore aujourd’hui, des quartiers au Maroc ou en Turquie attestent de ces vagues migratoires. De Tunis, désormais ottomane, les frères s’en vont ensuite régulièrement vers les côtes italiennes dans une logique continuité d’affaiblissement des forces chrétiennes. C’est ainsi forts de leur renommée qu’ils sont appelés à la rescousse par les Algérois en proie aux attaques de Charles Quint. Des batailles s’engagent et le frère de Khayr al-dīn perd la vie; le bientôt dénommé Barberousse devient le chef de la force ottomane envoyée à Alger. C’est la naissance de la célèbre et puissante Régence d’Alger. Mais Khayr al-dīn ne peut pas mener la résistance seul et fait rapidement appel au sultan ottoman Selīm. Contre tribut, celui-ci offre au mujahid des mers quelque 2000 soldats turcs. Les choses sérieuses commencent alors quand durant l’été 924H (1518), Hugo de Moncade, célèbre chevalier de Malte mandaté par Charles Quint, débarque aux abords d’Alger avec 30 vaisseaux, 8 galères et quelque 5 000 soldats. Mais Moncade subit un orage terrible : il est sévèrement défait et ne doit alors son salut que grâce à une mémorable fuite. Ce n’est en fait point par des chrétiens qu’il est finalement délogé d’Alger, mais par des musulmans voisins, des soldats de l’Emirat hafside. Mais il en faudra davantage pour arrêter Khayr al-dīn dans son élan. De 926H à 931H (1520 à 1525) on le voit écumer la Méditerranée à piller les côtes d’Europe et prendre possession des navires chrétiens rencontrés. Sa réputation traverse les mers et les prises se multiplient. Ses prisonniers, hommes, femmes et enfants, il les libère contre rançon ou les vend en esclaves sur les marchés d’Orient. Aidé par les locaux, il parvient à reprendre du terrain au Maghreb en s’emparant tour à tour de Collo, Constantine et ‘Annaba, pour enfin récupérer Alger. Gagnant des batailles et en perdant d’autres, il s’empare entre autres des Baléares, en 935H (1529) et défait encore les chrétiens sur l’île du Penon faisant face à Alger. Rasant la forteresse en place, il en utilisera les matériaux pour en construire ce qui sera encore le Port d’Alger aujourd’hui. En 937H (1532), Khayr al-dīn fait la conquête de la Tunisie sous la demande d’une partie des locaux eux-mêmes, alors aidé de 8000 Turcs. Laissant Alger à un renégat (ex-chrétien capturé en mer) de Sardaigne, Ḥasan Aga, Khayr al-dīn part au-devant des troupes et débarque sans résistance à la Goulette et à Tunis. Les principales villes de Tunisie envoient alors des députations au travers desquelles son autorité est reconnue. Mais sollicité par Mulāy Ḥasan, l’ex-souverain de Tunis, Charles-Quint, dans l’idée de reprendre l’endroit, fait envoyer 412 bâtiments et 27 000 hommes contre Khayr al-dīn. Contraint de rebrousser chemin, le mujahid des mers doit observer sans pouvoir rien n’y faire le massacre de la population par les Espagnols, avec l’accord tacite de l’émir hafside. Se retirant à ‘Annaba, il repart à l’attaque contre les Espagnols sur Minorque, s’en emparant et faisant un butin considérable tout en regagnant Alger sans être inquiété. Il se rend ensuite à Istanbul, demandant au sultan – à ce moment Süleymān dit le Magnifique – une nouvelle armée afin de reprendre Tunis. Mais le sultan, qui mène alors l’Empire turc à son apogée, préfère garder auprès de lui cet homme déjà largement craint. Il le fait sans attendre nommer Grand Amiral de sa flotte. Nous sommes en 942H (1536) et Khayr al-dīn devient l’architecte de la grande réorganisation de la flotte navale ottomane. Une bataille de Prévéza s’ensuit au cours de laquelle elle a l’occasion de s’illustrer : les forces menées par Khayr al-dīn anéantissent la lourde coalition chrétienne lancée par le Pape Jean III. Si les Turcs y perdent quelques centaines d’hommes, les chrétiens sont plus de 50 000 à y trouver la mort. Khayr al-dīn ose même revenir dans les environs – autour de la Grèce – l’année suivante pour y aller de ses razzias et captures. Une flotte désormais si imposante que Génois et Vénitiens se retirent d’eux-mêmes des combats; son illustre ennemi et concurrent en mer, l’amiral génois Andrea Doria, fait encore signe de vouloir cesser les hostilités. Même le très fameux Hernán Cortés, revenu de sa conquête de l’Amérique centrale ayant causé l’effondrement de l’Empire aztèque, faisait un flop lors de la campagne d’Alger de 948H (1541). Echappant à une impressionnante tempête, il rentrait bredouille des terres d’Islam sans même avoir pu rencontrer l’Amiral ottoman. En 950 H (1543), c’est le roi de France François 1er qui, après avoir clamé l’aide des Turcs contre Charles Quint, fait bonne réception à l’Amiral ottoman sur ses côtes. L’alliance franco-ottomane signée, Khayr al-dīn est l’artisan du siège de Nice et de plusieurs actions conjointes avec le gratin de l’armée franque. Mais s’il ne remporte pas de victoire concrète, Khayr al-dīn permet tout de même à la France d’être sauvée des griffes de l’Empereur des Habsbourgs. On lui offre à lui et ses milliers d’hommes le gîte à Toulon durant tout un hiver; l’église locale est à cette occasion transformée en mosquée et l’islam fait un temps valeur de norme dans ce petit coin de France au milieu de badauds interloqués. Rentré à Constantinople, il allait continuer à mener quelques brèves expéditions, laissant à son fils, Ḥasan Pasha, le soin de diriger Alger. Faisant rédiger ses mémoires sur quelques cinq volumes, il profitait de quelques mois de retraite avant de rendre la vie en (1546) sur les rives du Bosphore. Son corps est alors enterré dans un mausolée élevé par Mimar Sinan, l’architecte le plus en vue de l’Empire, sur la face européenne de Constantinople, dans le district de Beşiktaş. Un homme est mort, une légende était née.
par Renaud K.
Réferences :
A. Gallotta, « K̲h̲ayr al-Dīn (k̲h̲i̊ḍi̊r) Pas̲h̲a », Encyclopédie de l’Islam, 2012
Autobiographie de Khayreddine Barbarossa, al-Bidar editions, 2020
Jacques Heers, Les Barbaresques, Paris, Perrin, 2001.
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