SynthĂšse des donnĂ©es scientifiques les plus rĂ©centes et fruit d’une longue enquĂȘte de terrain, l’ouvrage de Matthieu Combe, Survivre au pĂ©ril plastique (Rue de l’Ă©chiquier, 2019), se veut autant une alerte documentĂ©e Ă propos de l’Ă©tendue des pollutions et dĂ©gĂąts environnementaux provoquĂ©s par le plastique qu’un appel Ă un changement radical de trajectoire en nous tournant vers de nouveaux modes de production et de gestion de cette matiĂšre.
Alors que les problĂ©matiques liĂ©es aux plastiques font dĂ©sormais rĂ©guliĂšrement la une de l’actualitĂ©, tant les pollutions visibles ne peuvent plus ĂȘtre occultĂ©es, Matthieu Combe rappelle, chiffres Ă l’appui, que les plages jonchĂ©es de dĂ©chets ne sont que la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg. L’auteur dresse un panorama saisissant et ce constat implacable : « les humains conduisent une expĂ©rience incontrĂŽlable et singuliĂšre Ă l’Ă©chelle mondiale, aboutissant Ă la dispersion de milliards de tonnes de matĂ©riaux Ă travers tous les principaux Ă©cosystĂšmes terrestres et aquatiques ». Et puisque la Chine ne souhaite plus accueillir les plastiques Ă recycler du monde entier (le pays reprĂ©sentait en 2016 environ 75 % des importations mondiales de plastique Ă recycler), le plastique s’est mĂȘme transformĂ© en une question gĂ©opolitique.
Depuis les annĂ©es 1950, la production de plastique n’a cessĂ© de progresser en raison de ses propriĂ©tĂ©s et de son coĂ»t relativement faible, raconte l’auteur dans la premiĂšre partie de l’ouvrage. La matiĂšre a littĂ©ralement accompagnĂ© l’entrĂ©e dans l’Ăšre de la consommation de masse et pourrait d’ailleurs ĂȘtre l’un de ses symboles. Depuis cette date et jusqu’en 2015, la production annuelle est passĂ©e de 2 millions de tonnes Ă 381 millions de tonnes, en comptant les fibres et les additifs. Environ 80 % de cette production « s’accumule dans les dĂ©charges ou pollue l’environnement ».
Sans oublier que les plastiques illustrent Ă©galement la dĂ©pendance de la sociĂ©tĂ© thermo-industrielle au pĂ©trole. Ils « reprĂ©sentent aujourd’hui environ 6 % de la consommation mondiale de pĂ©trole et de gaz. Environ la moitiĂ© sert Ă fabriquer la matiĂšre premiĂšre, l’autre moitiĂ© est utilisĂ©e comme combustible dans le processus de production ».
Faute de savoir gĂ©rer ce dĂ©chet qui mĂȘme biosourcĂ© ou compostable ne se dĂ©grade en rĂ©alitĂ© que trĂšs difficilement dans des conditions naturelles, le matĂ©riau composĂ© essentiellement de polymĂšres, d’adjuvants et d’additifs fait dĂ©sormais partie de notre environnement : il se retrouve dans l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons et les sols que nous cultivons, sans oublier les fleuves, et les ocĂ©ans, depuis la fosse des Mariannes jusqu’aux glaces de l’Arctique. « Le plastique se dĂ©pose, se dĂ©sagrĂšge ou s’accumule partout sur terre et en mer, et ce jusqu’aux endroits les plus reculĂ©s du globe », menaçant partout la faune et la flore.
Ces derniĂšres annĂ©es, les analyses ont montrĂ© que le plastique avait intĂ©grĂ© notre chaĂźne alimentaire sous la forme de microparticules (morceaux de plastiques de moins de 5 mm), notamment dans les poissons, les crustacĂ©s et le sel et qu’il se retrouve Ă©galement sous la forme de fibres dans l’eau du robinet ou en bouteille. AprĂšs les microplastiques, les chercheurs s’inquiĂštent de la prolifĂ©ration de nanoplastiques, encore plus petits, de 0,0001 mmm, des « nanoparticules [qui] sont dĂ©sormais tellement dispersĂ©es qu’elles font partie de l’Ă©cosystĂšme mondial ». Si les consĂ©quences du plastique sur la santĂ© font toujours l’objet de recherches, les Ă©tudes montrent que les additifs comme les phtalates ou les retardateurs de flamme bromĂ©s ont un impact important sur le systĂšme endocrinien, c’est-Ă -dire les organes qui participent Ă la sĂ©crĂ©tion d’hormones.
Des solutions techniques qui restent marginales
La seconde partie de l’ouvrage met en lumiĂšre le travail de scientifiques et d’entreprises qui tentent de proposer des idĂ©es afin de libĂ©rer notre sociĂ©tĂ© du plastique. IntitulĂ©e de maniĂšre positive « Solutions pour lutter contre la pollution plastique », cette moitiĂ© du livre illustre nĂ©anmoins l’immensitĂ© de la tĂąche qui se prĂ©sente Ă nous ainsi que l’incapacitĂ© des alternatives censĂ©es pallier le problĂšme Ă se dĂ©velopper Ă une Ă©chelle systĂ©mique. Cela concerne aussi bien les tentatives de dĂ©pollution en mer – The ocean Cleanup de Boyan Slat, The sea cleaners – que celles visant Ă empĂȘcher les pollutions Ă la source, ou encourageant le recyclage et l’usage de nouveaux matĂ©riaux. En cause, les difficultĂ©s Ă©conomiques inhĂ©rentes Ă la filiĂšre du recyclage, une inertie structurelle liĂ©e aux investissements dĂ©jĂ rĂ©alisĂ©s ce qui empĂȘche les producteurs de faire Ă©voluer leur chaĂźne de production rapidement, mais aussi l’immensitĂ© du dĂ©fi alors que les plastiques sont Ă©parpillĂ©s aux quatre coins du globe. L’auteur le concĂšde lui-mĂȘme Ă propos des initiatives ayant pour objet la dĂ©pollution des ocĂ©ans : « plus de 99 % des plastiques qui sont entrĂ©s dans les ocĂ©ans ont disparu de la surface et ne pourront pas ĂȘtre nettoyĂ©s ». Ă la lecture de l’ouvrage, la question s’impose : et si la seule mĂ©thode efficace pour freiner le flĂ©au Ă©tait de dĂ©-consommer ? Couper Ă la base l’origine du problĂšme ?
Matthieu Combe, Survivre au pĂ©ril plastique : des solutions Ă tous les niveaux, Rue de l’Ă©chiquier, 2019, 256 pp. Prix TTC France : 20 euros. ISBN : 978-2374251349
Auteur de Consommez écologique : faits et gestes (Sang de la Terre, 2014), le journaliste et ingénieur chimiste de formation Matthieu Combe est également le fondateur du magazine en ligne natura-sciences.com.
« Survivre au pĂ©ril plastique » : l’enquĂȘte qui expose la pollution systĂ©mique
La RĂ©daction