La réunion du prince avec les journalistes a été tenue secrète dans un premier temps. L’ambassade saoudienne a fini par autoriser le célèbre quotidien de publier certains extraits de l’entretien, ce qui fut fait le 22 mars dernier. En dépit de l’importance de certaines déclarations, qui ressemblent à des aveux, cela est presque passé inaperçu, ne suscitant qu’un intérêt mitigé dans les grands médias.
C’est ainsi que, traitant de la propagation du wahhabisme, une idéologie islamiste rigoriste née en Arabie saoudite et accusée d’être une source de terrorisme islamiste, le prince héritier a déclaré que les investissements saoudiens dans les mosquées et les écoles islamiques à l’étranger trouvaient leur origine dans le contexte de la guerre froide.
Il a expliqué que les alliés occidentaux de Riyad avaient alors demandé au royaume d’utiliser ses ressources afin d’empêcher l’URSS « de conquérir le monde musulman ou d’y acquérir de l’influence. »
Plusieurs années après la fin de la guerre froide, Wikileaks a publié plus de 60 000 documents diplomatiques saoudiens. Ces documents mettent en lumière le système de prosélytisme et la méthodologie de promotion d’un islam intégriste appliqué à l’échelle internationale.
« Depuis des dizaines d’années, l’Arabie saoudite injecte des milliards de pétrodollars dans des organisations islamiques à travers le monde », a révélé le New York Times en juillet 2015, après avoir passé au crible les « câbles » publiés par Wikileaks.
Le prince saoudien semble cependant ne pas vouloir complètement assumer cet état de fait. Il a notamment confié aux journalistes que les dirigeants saoudiens successifs s’étaient « fourvoyés dans de fausses pistes » et qu’il était temps que les choses « reviennent à la normale » en ce qui concerne le financement du wahhabisme. Il a notamment assuré que ce financement est aujourd’hui le fait de fondations saoudiennes et non du gouvernement.
« Quand, après les attentats du 11 septembre 2001, alors que 15 des terroristes étaient saoudiens, George W. Bush désigne l’Afghanistan et l’Irak comme les ennemis des Etats-Unis, on comprend que l’Arabie est un bon client qu’il ne faut pas contrarier », analyse à ce propos l’historien Pierre Conesa, qui considère que situation est similaire aujourd’hui, quand « Donald Trump annonce depuis Riyad que c’est l’Iran qui est la cause du terrorisme. »
Mais il serait illusoire et naïf de penser que le royaume d’Arabie a cassé sa tirelire pour promouvoir l’intégrisme islamiste dans le monde aux seules fins de gêner une hypothétique influence de l’empire soviétique et de faire ainsi plaisir aux amis occidentaux. L’Arabie saoudite y voyait aussi ses propres intérêts, notamment en contrecarrant le nassérisme égyptien et la voix qui commençait à porter de la jeune République algérienne.