L’AlgĂ©rie arabe est une imposture
La Rédaction
On Ă©tiquette vite les intellectuels en AlgĂ©rie. Comme des bĆufs rĂ©calcitrants, on les vend au rabais. Quand ils Ă©crivent en français, on les qualifie de Hizb frança, le Parti de la France. Autrement dit : des vendus Ă l'empire de NapolĂ©on.
auteur : par Karim Akouche
Que le vieux Kateb me pardonne ! L’Ă©poque a changĂ©, les attaques aussi, je me permets d’Ă©corcher ses mots : J’Ă©cris en français pour dire aux AlgĂ©riens que je ne suis pas arabe. Pourtant, c’est une banalitĂ©, je ne dĂ©voile aucun secret. Je dis tout franc ce que la plupart taisent tout bas. Il n’y a point d’arabe en AlgĂ©rie ! Vous n’avez qu’Ă tendre l’oreille : dans les cafĂ©s, les trottoirs et les institutions, ça parle un Ă©trange babĂ©lisme, pas l’arabe de La Mecque ou de Doha : un mĂ©lange de tamazight, d’arabe, de français, de turc… Pour supporter leur Ă©quipe nationale de football, les jeunes ne crient-ils pas : « One, two, three, viva l’AlgĂ©rie ! » ? Trois langues Ă©trangĂšres, aucune langue nationale !
Hizb el koufar, le Parti des mĂ©crĂ©ants. Je ne suis ni le premier ni le dernier Ă ĂȘtre affublĂ© d’un tel sobriquet. Avant moi, plusieurs Ă©crivains en ont fait les frais. Jean Amrouche, chrĂ©tien, a Ă©tĂ© traitĂ© de m’tournĂ©, de renĂ©gat. BlessĂ©, il a confiĂ© Ă AimĂ© CĂ©saire que mĂȘme s’il Ă©crivait en français il ne pleurait qu’en kabyle. Kateb Yacine, attaquĂ© lui aussi, a qualifiĂ© la langue française de butin de guerre. Malek Haddad, quant Ă lui, a prĂ©cisĂ© qu’il Ă©crivait le français et non en français.
Utiliser la langue de l’ex-colon fait-il de l’Ă©crivain un Ă©ternel colonisĂ© ? La Hongroise Agota Kristof, dĂ©chirĂ©e entre le russe, l’allemand et le français, a dĂ©signĂ© ses langues d’adoption par le concept de « langues ennemies ». Quant au philosophe Emil Cioran, il dit quelque part souffrir du « complexe du mĂ©tĂšque », mĂȘme s’il confie ailleurs qu’« adopter une langue Ă©trangĂšre Ă©tait peut-ĂȘtre une libĂ©ration, mais aussi une Ă©preuve, voire un supplice, un supplice fascinant. »
Le FLN a fait de l’indĂ©pendance une citĂ© en ruines
Je n’ai pas choisi la langue française, elle s’est imposĂ©e Ă moi. C’est une langue stabilisĂ©e depuis MoliĂšre, prĂ©cise tel un chronomĂštre, dangereuse comme le mont Blanc, gĂ©nĂ©reuse en musique et en images. La manier nĂ©cessite de la lecture, des litres de cafĂ©, des insomnies, des regrets, des remises en cause. L’adopter permet de calmer le manouche en moi, l’adolescent en proie au lyrisme qui m’habite, la fougue du rĂ©sistant et les emballements du chasseur qui m’enivrent. Le français autorise tout, il n’interdit rien : j’ai le droit d’aimer Rousseau comme le devoir de titiller Voltaire. Le passĂ© colonial français est un chapitre noir et aucune justification ne peut transformer les massacres d’hier en vallĂ©es de roses. Le FLN a fait de l’indĂ©pendance une citĂ© en ruines, il y a jetĂ© les enfants et les femmes dans les bras d’un monstre qui hait les rĂȘves et la beautĂ© : l’islamisme-arabisme.
A-t-on osĂ© qualifier les intellectuels Ă©crivant en arabe de Hizb Ăąarabi, le Parti de l’Arabie ? Jamais ! Deux charges, deux balances : ceux qui condamnent les Ă©crivains algĂ©riens francophones dĂ©douanent dans le mĂȘme temps les auteurs algĂ©riens arabophones. Cela participe de la campagne de dĂ©nigrement contre les esprits libres : tous ceux qui prĂŽnent l’Ă©galitĂ©, les droits de la femme, la justice, l’art et le progrĂšs doivent ĂȘtre accrochĂ©s comme du linge sale Ă la corde idĂ©ologique d’un Ătat faussaire.
Je ne confonds pas les langues avec les idéologies
Je ne me permettrai jamais de traiter les auteurs algĂ©riens arabophones de vendus Ă l’Arabie saoudite. Je ne confonds pas les langues avec les idĂ©ologies. Les premiĂšres se valent, les secondent s’entretuent.
Je suis certain de deux choses : l’AlgĂ©rie arabe est une imposture ; l’AlgĂ©rie uniquement musulmane, une louve qui Ă©touffe ses petits.
par Karim Akouche
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