Découverte à Beyrouth, au cœur de l’ancienne Berytus romaine, cette amulette en intaille datée des IIᵉ–IIIᵉ siècles après J.-C. constitue un témoignage fascinant des croyances magiques et religieuses du monde gréco-romain tardif. Aujourd’hui conservée au Musée de la Bibliothèque nationale de France à Paris, elle mêle iconographie guerrière, mythologie grecque et pratiques de magie rituelle.
Une représentation martiale d’Arès
L’amulette représente Arès, dieu grec de la guerre, figuré en armure, casqué, tenant une lance et un bouclier. Son attitude est dynamique, presque agressive, fidèle à l’image traditionnelle d’un dieu incarnant la violence, la fureur du combat et la destruction incontrôlée — à l’opposé d’Athéna, déesse de la stratégie et de la guerre raisonnée.
Ce choix iconographique n’est pas anodin : dans l’Antiquité tardive, Arès n’est pas seulement invoqué comme divinité guerrière, mais aussi comme force surnaturelle capable de nuire, de punir ou de protéger par la violence.
Une inscription troublante : la soif éternelle de Tantale
L’élément le plus frappant de cette intaille réside dans son inscription en grec ancien, gravée autour de la figure divine :
« Tantale assoiffé, bois ton sang »
Cette formule renvoie directement au mythe de Tantale, roi puni par les dieux pour ses crimes. Condamné aux Enfers, Tantale est plongé dans une eau qu’il ne peut jamais boire, tandis que des fruits suspendus au-dessus de lui se dérobent sans cesse : une soif et une faim éternelles, devenues symbole du châtiment absolu.
Ici, la formule détourne le mythe de manière cruelle et violente. L’injonction « bois ton sang » suggère une malédiction, transformant la punition mythologique en un sort magique destiné à épuiser, affaiblir ou tourmenter une victime bien réelle.
Une amulette de magie agressive
Contrairement aux amulettes protectrices courantes (contre le mauvais œil, la maladie ou les démons), cet objet semble relever de la magie offensive, parfois appelée defixio ou magie de contrainte. Ces pratiques, bien attestées dans l’Empire romain, visaient à :
-
nuire à un ennemi,
-
provoquer maladie ou souffrance,
-
affaiblir un adversaire dans un conflit juridique, amoureux ou social.
L’association d’Arès, divinité de la violence, et de Tantale, figure du supplice éternel, renforce la puissance symbolique de l’objet. L’amulette devenait ainsi un vecteur matériel de la malédiction, portée sur soi ou déposée dans un lieu rituel.
Beyrouth, carrefour des croyances antiques
La découverte de cette amulette à Beyrouth n’a rien d’étonnant. À l’époque romaine, la cité est un centre intellectuel et juridique majeur, mais aussi un carrefour culturel où se mêlent traditions grecques, romaines, orientales et locales.
Dans ce contexte syncrétique, les frontières entre religion, magie et superstition sont poreuses. Les divinités classiques cohabitent avec des pratiques occultes, des formules magiques et des rituels hérités de traditions plus anciennes, parfois mésopotamiennes ou égyptiennes.
Un objet, une mentalité
Cette intaille ne se limite pas à sa valeur artistique. Elle nous offre une plongée directe dans l’imaginaire mental et spirituel des sociétés antiques, où les dieux pouvaient être invoqués non seulement pour protéger, mais aussi pour détruire.
Elle rappelle que l’Antiquité n’était pas un monde idéalisé de sagesse philosophique, mais aussi un univers de peurs, de rivalités, de vengeances et de croyances profondes dans le pouvoir des mots et des images.
