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Photo:Boufarik par Mael Assal |
Celui qui regarde du dehors Ă travers une fenĂȘtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenĂȘtre fermĂ©e. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystĂ©rieux, plus fĂ©cond, plus tĂ©nĂ©breux, plus Ă©blouissant qu’une fenĂȘtre Ă©clairĂ©e d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intĂ©ressant que ce qui se passe derriĂšre une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rĂȘve la vie, souffre la vie. Par delĂ des vagues de toits, j’aperçois une femme mĂ»re, ridĂ©e dĂ©jĂ , pauvre, toujours penchĂ©e sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vĂȘtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutĂŽt sa lĂ©gende, et quelquefois je me la raconte Ă moi-mĂȘme en pleurant. Si c’eĂ»t Ă©tĂ© un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisĂ©ment. Et je me couche, fier d’avoir vĂ©cu et souffert dans d’autres que moi-mĂȘme. Peut-ĂȘtre me direz-vous : "Es-tu sĂ»r que cette lĂ©gende soit la vraie ?" Qu’importe ce que peut ĂȘtre la rĂ©alitĂ© placĂ©e hors de moi, si elle m’a aidĂ© Ă vivre, Ă sentir que je suis et ce que je suis ?
"Les FenĂȘtres" de Charles Baudelaire 1868