Depuis le début des mobilisations populaires en Algéire, un certain nombre de « spécialistes » auto proclamés occupent le terrain médiatique en France. Hélas pour nous tous, Mohamed Sifaoui, l’ami de BHL, du CRIF et d’Alain Finkielkraut, est omniprésent. Portrait
Mohamed Sifaoui, qui vient de commettre un ouvrage définitif au titre prémonitoire -« Où va l’Algérie? »- , est considéré aujourd’hui par les médias français comme le spécialiste incontournable du printemps algérien. Une rapide plongée dans le parcours haut en couleurs de cet imposteur médiatique devrait inciter les télévisions françaises à plus de prudence dans le choix de leurs invités.
Au départ, ce « sniper » sans états d’âme est d’abord un éradicateur algérien qui veut tordre le cou à tous ceux qui, de près ou de loin, soutiennent « les barbus » islamistes dans la décennie noire qui valut à lAlgérie 150000 morts. Grace à ce positionnement idéologique dénué de toute nuance et avec un culot dévastateur, ce journaliste contesté devient une coqueluche médiatique. Avec une mauvaise foi redoutable, Sifaoui participe brillamment à la fabrique médiatique de l’islamophobie dans la France des années 2000. Il prend sa part dans cette OPA du fantasme sur le journalisme, un marché en pleine expansion!
Son arme de guerre est la caméra cachée Ambiance glauque garantie, avec des images volées et des visages souvent floutés qui en rajoutent dans la menace tapie dans l’ombre. Son petit chef d’œuvre de manipulation date de 2003 « J’ai infiltré une cellule au cœur de Paris ». On peut s’interroger avec Alain Gresh, une des plumes du Monde Diplomatique, comment les grosses ficelles d’une telle fable ont pu échapper au contrôle des professionnels de l’information : « Tintin a trouvé un rival en la personne de Mohammed Sifaoui, qui nous entraîne au pays des islamistes. Durant les débats, à l’automne 2002, Sifaoui reconnaît dans le public un copain de lycée, Karim Bourti. Résumé des retrouvailles : salut, salut, qu’est-ce que tu deviens ? Moi, je suis terroriste, mais surtout ne le dis à personne… N’écoutant que son courage et faisant semblant d’épouser leur cause, notre enquêteur se joint aux « terroristes .» Et Alain Gresh de reprendre quelques propos bien sentis des pseudo-terroristes attablés dans un café maure de Belleville :
– « Les juifs sont des porcs, des adorateurs de singes. »
– « On est quand même fiers d’être terroristes.»
La croisade contre « les barbus »
Grace à ses exploits de journaliste espion, Sifaoui est félicité par Thierry Ardison pour son « coup de génie», reçu au CRIF comme un allié et embrassé par Enrico Macias ému par tant de bravoure. En 2005, dans l’émission « Arrêt sur image », on entend notre héros dénoncer, une fois de plus, « l’énorme complot contre la communauté musulmane » :« Pour l’attaquer il faut utiliser un certain nombre de mauvais journalistes, de musulmans de service, de journalistes malhonnêtes, de bidonneurs… »
Une charge en forme d’auto portrait ? Incarnation d’un « islam laïc » cher à une brochette d’éditorialistes, comme Caroline Fourest et BHL Sifaoui a su faire fructifier son capital médiatique, à la fois journaliste pamphlétaire, réalisateur, écrivain, chargé de cours à Science Po, auteur de bandes dessinées. Plus que d’autres, Sifaoui peut prétendre à une certaine légitimité dans sa croisade contre les barbus. N’a-t-il pas subi dans sa chair, pendant la décennie noire algérienne, les dérives de l’islamisme ?
D’après sa légende médiatique, Mohamed Sifaoui serait musulman laïc qui a fui l’Algérie de la guerre civile pour trouver refuge en France où il poursuit son combat. Il est né dans le quartier-village de Kouba, qu’Albert Camus décrit comme « le nom d’une colline, à l’est d’Alger, au terminus d’une ligne de tramway. »
Adolescent, Sifaoui aurait vu poindre les premiers stigmates – voile féminin et pilosité des mâles – de l’islamisme chez ses voisins. Alors que ses amis basculent les uns après les autres dans cette dérive religieuse, lui décide de s’engager contre le fanatisme. C’est à l’université qu’il aurait eu cette révélation laïque qui va guider toute sa vie.
La proximité avec les services algériens
A l’âge de 25 ans, en pleine guerre civile, Mohamed Sifaoui ne manque pas de courage. Les journalistes anti islamistes comme lui sont en effet une cible privilégiée dans cette « sale guerre » qui oppose des généraux corrompus aux terroristes du GIA. Mais on est pas forcé de le croire quand il prétend dénoncé aussi bien les crimes de l’armée que les exactions des islamistes. Les journaux où il écrit, « Le Soir d’Algérie » ou « L’Authentique », sont notoirement proches des services algériens.
Selon Hichem Abdou, journaliste algérien réfugié en France et auteur de « La mafia des généraux », Sifaoui n’aurait jamais écrit un seul article contre le pouvoir algérien avant de trouver asile en France : « il s’est fait remarquer par ses écrits sur la situation sécuritaire. L’information sécuritaire étant frappée, à l’époque, du sceau de la confidentialité, seuls les journalistes qui acceptaient de s’approcher des services de sécurité (police, gendarmerie, sécurité militaire) pouvaient traiter le sujet. » Et Abdou de préciser : « Sifaoui était fasciné par ce monde mystérieux du renseignement et de l’espionnage (…) A la faveur de ses activités journalistiques il pensait trouver la brèche pour se rapprocher des services de renseignements militaires.
Quelques mois seulement après avoir débarqué en France, Sifaoui est devenu l’allié de certain généraux algériens, au point de venir témoigner en faveur du général Khaled Nezzar, un de ces gradés responsables d’une répression sanglante, lors d’un procès qui s’est tenu à Paris en 2002.
Tel « Caton l’ancien » !
On l’attaque ? Tant mieux, à la guerre comme à la guerre. Notre traqueur d’islamiste n’en a cure. Il poursuit sa croisade médiatique en prônant toujours « l’éradication », tel Caton l’ancien qui terminait tous ses discours par « il faut détruire Carthage ».
En 2006, il témoigne en faveur de Charlie Hebdo lors du procès intenté au journal satirique par des associations musulmanes à l’issue de l’affaire des caricatures de Mahomed « Apostolat, chiens harki, traitres… » autant de noms d’oiseaux dont il s’honore d’être affublé par la « doxa communautariste ».
Sifaoui prétend amener un nombre croissant de musulmans à vaincre la peur et à dire tout haut leur rejet de l’intégrisme, mais sa réputation exécrable dans les banlieues pourrait mette en doute la nature même de son combat idéologique. N’est-il pas en fait un de ces « faciliteurs d’islamophobie » que brocarde le politologue Vincent Geisser ? Notre fin limier tire à boulets rouges sur tous les musulmans qui ne partagent pas ses vues. Son radicalisme laïc en arrive même à provoquer une certaine gêne sur les plateaux télé.
Invité sur France 2 en novembre 2015 suite aux attentats de Paris, Sifaoui n’hésite pas à s’en prendre au voile de Latifa ibn Ziaten, la mère d’un des militaires tués par Merah en 2012 « Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils, et il y en a beaucoup, des centaines de personnes, qu’on va la faire sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte antiterroriste », a-t-il péroré, dénonçant « cette incohérence qui veut qu’on dise à des jeunes filles que le voile salit la féminité et qu’on leur introduise une personne voilée qui va leur enseigner les valeurs de la République ».
« Les Algériens sont des idiots »
Sifaoui n’en est pas à son coup d’essai. Si cet homme ombrageux ne sourit guère, un petit rictus témoigne de sa jubilation intérieure lorsqu’il parvient à choquer son petit cénacle médiatique. Ainsi déclare-t-il sur France 5 : « Avec le Français, on a accès aux lumières et avec la langue arabe on a accès à l’obscurantisme islamiste ». Mais c’est sur son compte Twitter qu’il se déchaîne : « Je pense que les Algériens sont majoritairement des idiots gouvernés par des idiots ».
Qu’on se rassure néanmoins, les déclarations à l’emporte pièce de notre journaliste d’investigation ne visent pas que les musulmans : « Il faut avouer que, contrairement aux salafistes, les Portugaises se sont bien intégrées en France. Très vite, elles ont appris à se raser. » Il s’en prend aussi volontiers aux Chinois, « communautaristes » et « mangeurs de chats ». Aux « décérébrés » de « ça pue debout » qui squattent place de la République contre la loi El khomri. Mais étrangement ce Savonarole du républicanisme fait preuve d’une grande tolérance à l’égard des « intellos réactionnaires » nostalgiques d’une France blanche ou défenseurs inconditionnels de l’Etat d’Israël. Il est proche de certains pourfendeurs du prétendu « racisme anti-blanc », en particulier de Philippe Val pour lequel la colonisation a « donné à des Arabes, des Africains, des Indochinois, le goût de la démocratie et de la culture ».
Le chaouch de BHL et de Finkielkraut
On le rencontre aussi régulièrement aux diners du CRIF, ou bras dessus-dessous avec Alain Finkielkraut dans un colloque sur l’antisémitisme « brun-vert-rouge ». Il est aussi un soutien zélé de Bernard-Henri Lévy et, selon lui, les critiques à l’égard du philosophe en chemise blanche sont un « révélateur de salauds ». Pour la sulfureuse Ligue de défense juive (LDJ) « Mohamed Sifaoui est sans doute le journaliste musulman le plus courageux de France. » Et on comprend d’autant mieux cet éloge lorsqu’on sait que notre journaliste courageux est souvent présent sur le site du MEMRI, l’institut de recherche des medias du Moyen Orient qui est surtout l’arme de propagande des ultras faucons israéliens.
On comprend ainsi que Mohammed Sifaoui n’a pas peur de se faire accuser « d’islamophobie ». Il précise d’ailleurs dans l’une de ses nombreuses tribunes sur Huffington post que ce concept serait une invention des islamistes pour légitimer leurs actions meurtrières. Le « relativisme culturel » ou la « culture de l’excuse » de ces intellectuels, voilà bien, selon Sifaoui, une posture de néo-Munichois « qui, au nom de l’antisionisme primaire, qui, au nom d’une détestation pour la République voire pour la France qui devrait, selon eux, vivre non pas de ses valeurs essentielles, mais de ses complexes, coloniaux et esclavagistes ».
Les plus hautes sphères de la classe politique ne sont pas épargnées par ce pittbull. Il fustige la gauche socialiste qui débat avec Tarik Ramadan. La gauche « des renoncements et des lâchetés du quotidien (…) celle de Jean-Louis Bianco, celle de Clémentine Autin, celle de Jean-Christophe Cambadélis et de la laïcité dévoyée. » Mais Nicolas Sarkozy – ce « petit arriviste (…) capable, au cours d’une même journée, d’embrasser sur la bouche un Patrick Buisson et un représentant de l’UOIF » – ne trouve pas plus grâce à ses yeux. « La République vaut beaucoup mieux que ces petits morgueux (…) incapables d’écrire un récit à même d’enchanter leurs électeurs. »
Et notre croisé d’en appeler à la vigilance citoyenne. « Chacun d’entre nous a le devoir de repérer les signaux faibles, de comprendre leur portée réelle, de les condamner, de les combattre, et de ne pas permettre à son entourage de valider, d’encourager, de banaliser et donc, de laisser passer ou dire, des discours qui iraient à l’encontre du droit et des valeurs de la République… » Et il se réfère à Jaurès : « Il faut une nouvelle ou un nouveau Jaurès. Une figure qui sait ce qu’est la société française, une figure qui a identifié les ennemis de la République, une figure qui assume les combats à mener, une figure qui n’a ni carrière ni privilèges à défendre mais des idées et des convictions .»
Mohamed Sifaoui, en nouveau Jaurès, il fallait juste y penser!
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Par Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres
Source:Mondafrique
Mohamed Sifaoui, « expert » du dossier algérien et imposteur
La Rédaction