Chambellan de Philippe III le Hardi, Pierre de La Brosse connaît une ascension fulgurante avant d’être condamné pour haute trahison envers son roi et exécuté. Voici l’histoire de ce véritable thriller médiéval, sur fond de rumeurs calomnieuses, auquel la reine Marie a été elle-même mêlée.
Issu de la petite noblesse de Touraine, Pierre de La Brosse entre au service de Louis IX en 1261 comme valet de chambre et chirurgien, puis il est fait chambellan en 1266. Après la mort du roi et l’avènement de son successeur, Philippe III, il conserve cette charge et devient rapidement l’un de ses plus proches conseillers au point que le nouveau souverain ne fait rien sans l’avoir consulté. La faveur royale se confirme lorsque Philippe III le fait entrer au conseil de régence qui se mettrait en place s’il venait à mourir et lui confie la garde des enfants royaux, aux côtés de son propre frère, Pierre d’Alençon. Pierre de La Brosse use de sa position de favori pour faire profiter sa famille des largesses royales – par exemple, un cousin de son épouse, Pierre de Benais, devient évêque de Bayeux. Cela lui attire encore davantage l’inimitié des barons et des prélats. Rien ne semble pourtant pouvoir interrompre son ascension sociale, ni mettre à mal son insolente réussite.
Deux partis s'opposent à la Cour : celui de la reine contre celui de Pierre de La Brosse
En 1274, Philippe III se marie, en secondes noces, avec la belle et cultivée Marie de Brabant, de neuf ans sa cadette. Celle-ci ne partage guère l’engouement de son époux pour son chambellan. Deux clans se forment alors à la Cour, celui de la jeune reine, dit « parti brabançon », contre celui de Pierre de La Brosse, soutenu par la reine-mère, Marguerite de Provence, veuve de saint Louis. Est-ce la coterie brabançonne qui répand le bruit de relations « contre nature » entre le roi et son chambellan ? Quoi qu’il en soit, sans doute pour contre-attaquer, le favori commet une erreur fatale. En 1276, le fils aîné du roi et de sa première épouse, Isabelle d’Aragon, meurt. Une rumeur, répandue par des béguines de Liège, prétend que la nouvelle reine n’y serait pas étrangère. De fait, ce décès opportun offre le champ libre à son propre fils, né depuis peu. Des enquêteurs royaux sont envoyés auprès des accusatrices pour éclaircir l’affaire. Parmi eux, se trouve l’évêque de Bayeux. Les religieuses réitèrent leurs propos mettant en cause Marie de Brabant. Mais l’année suivante, lorsque l’évêque de Liège les interroge à son tour - seul, cette fois, celles-ci reviennent sur leurs déclarations et avouent avoir été subornées par Pierre de la Brosse, par l’intermédiaire de l’évêque de Bayeux.
Le procès secret de Pierre de La Brosse soulève bien des interrogations
Informé, le roi fait arrêter son chambellan le 30 décembre 1277. Emprisonné pendant six mois, il est jugé dans des circonstances assez obscures. À cette affaire confuse, s’ajoute une accusation encore plus grave de haute trahison au profit du roi de Castille, probablement montée de toutes pièces par le parti de la reine. Comme le souligne l’historien Xavier Hélary, si le déroulement du procès reste entouré de mystère – le prévenu est jugé en secret par les grands barons. L’exécution du favori déchu a lieu en public. Le 30 juin 1278, Pierre de La Brosse est pendu haut et court au gibet de Montfaucon. Cette peine infâmante montre à tous la déchéance brutale de celui qui s’est élevé grâce à la faveur royale. Le patrimoine du condamné, dont son logis de Châtillon-sur-Indre, est aussitôt confisqué par le pouvoir royal. Cependant, sa famille n’est pas poursuivie. Le chroniqueur Guillaume de Nangis écrit : « Pierre de La Brosse, grand-chambellan du roi de France, homme excessivement en honneur auprès de son seigneur et des grands de son royaume, fut pendu à Paris sur le gibet des voleurs. Cette exécution, dont la cause fut inconnue au peuple, fut un grand sujet d’étonnement et de murmures. »
Pierre de La Brosse inaugure une longue série de favoris tombés en disgrâce et mis à bas par des ennemis plus puissants qu’eux dans une société encore féodale.
Véronique Dumas