Maus est bien plus qu’une bande dessinée : c’est une œuvre bouleversante, à la fois intime et universelle. Art Spiegelman y raconte l’histoire de son père, Vladek, un juif polonais rescapé d’Auschwitz, tout en explorant sa propre relation complexe avec lui. Ce récit alternant entre les années 1930-1940 et les années 1980 mêle mémoire familiale, témoignage historique et réflexion sur la transmission du traumatisme.
Deux époques, deux récits entremêlés
Dans les années 1980, Art Spiegelman, jeune auteur de bande dessinée, tente de renouer avec son père en l’interrogeant sur son passé. Mais la communication est difficile : Vladek est un homme dur, maniaque, avare et souvent insupportable. À travers ces entretiens, Maus fait revivre les souvenirs d’une époque tragique — la Pologne sous l’occupation nazie.
Le récit plonge alors dans les années 1930-1940. Vladek, alors représentant en commerce, mène une vie paisible auprès de sa femme Anja, issue d’une famille aisée. L’invasion de la Pologne en septembre 1939 par les troupes allemandes bouleverse tout. De prisonnier de guerre à fugitif, Vladek vit une descente aux enfers, passant de cachette en cachette pour échapper aux rafles et aux déportations.
Survivre à l’indicible
En 1944, la chance tourne : Vladek est déporté à Auschwitz, et Anja à Birkenau. Commence alors l’horreur absolue. Les humiliations, le travail forcé, les maladies et la mort omniprésente rythment le quotidien. Pourtant, Vladek parvient à survivre grâce à son ingéniosité et à son sens du travail. Polyvalent, il passe d’un kommando à un autre — menuiserie, zinguerie, cordonnerie, cours d’anglais — et tire parti de la moindre compétence pour gagner quelques privilèges : une ration supplémentaire, un vêtement sec, une cuillère… Des détails dérisoires à l’extérieur, mais vitaux dans le camp.
En janvier 1945, la « marche de la mort » marque la fin de son calvaire. L’Armée rouge approche, les nazis évacuent les survivants vers d’autres camps. Vladek et Anja finiront par s’en sortir, mais au prix de blessures invisibles. Après la guerre, ils tentent de reconstruire leur vie, d’abord en Pologne, puis en Suède et enfin aux États-Unis. Pourtant, les cicatrices demeurent : Anja se suicidera en 1968, incapable de surmonter ses traumatismes.
Le poids de la mémoire
À travers le regard d’Art Spiegelman, Maus n’est pas seulement un témoignage sur la Shoah. C’est aussi une réflexion sur la mémoire, la culpabilité et la difficulté d’hériter d’un passé si lourd. Le portrait du père est sans complaisance : Vladek apparaît égoïste, obsédé par l’économie et même raciste, comme lorsqu’il insulte un auto-stoppeur noir. Mais ces défauts sont aussi les traces d’une survie arrachée à l’inhumain.
Des souris, des chats, des cochons : la fable tragique
Spiegelman fait un choix audacieux et symbolique : représenter chaque peuple par un animal. Les Juifs sont des souris, les Allemands des chats, les Polonais des cochons. Ce bestiaire donne au récit une dimension universelle et presque mythologique, tout en soulignant l’absurdité du racisme et des classifications nazies.
Un graphisme dépouillé au service de l’émotion
Les dessins en noir et blanc, simples mais expressifs, servent parfaitement le propos. Les hachures, les ombres et les nuances de gris traduisent la dureté du témoignage sans en atténuer la force. L’absence de couleur renforce le sentiment d’oppression et de gravité, tout en laissant toute la place à la puissance du récit.