Arthur Rimbaud, né le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières dans le département Champagne-Ardenne, mort le 10 novembre 1891 à Marseille , continue d’être adulé aujourd’hui encore. Sa tombe est fleurie sans cesse et reçoit des lettres, des poèmes glissés entre les dalles de sa sépulture et expédiés par ses admirateurs de par le monde.

Rimbaud doit sa renommée à ses poèmes. Mais pour les Berbères, il est devenu célèbre par ses longues strophes sur Jugurtha.
En effet, le 2 juillet 1869 à Charleville-Mézières, ville natale de Rimbaud, un concours général de vers latins oppose plusieurs académies du Nord. Le sujet proposé aux candidats est « Jugurtha », roi numide.
Parmi les compétiteurs se trouve le collégien Arthur Rimbaud, alors âgé de 15 ans. Tandis que les plumes crissent sur le papier, Rimbaud affamé n’écrit rien. Il demande des tartines au concierge. Une fois rassasié, Arthur saisit son porte-plume et écrit ses 75 vers latins sans consulter une seul fois son « Gradus ad parnassum » [manuel composé par des Jésuites du Collège Louis-le-Grand à Paris au milieu du XVIIe siècle, NDLR]. A midi, il rend sa copie et obtient le prix.
«Rimbaud parle en latin d’une actualité politique brûlante, celle de la colonisation d’Algérie (à laquelle avait pris part un certain capitaine Rimbaud [le capitaine d’infanterie Frédéric Rimbaud était le père d’Arthur Rimbaud, NDLR]), profitant de cette première tribune, qui lui est offerte pour faire l’éloge de la révolte» souligna Marc Ascione le traducteur du poème dans « Le Magazine littéraire », N°289, juin 1991.
Adaptation d'un texte de Nacer Boudjou publié sur Association Aurès Cultureon octobre 3, 2007.
I
Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…

Du second Jugurtha de ces peuples ardents,
Les premiers jours fuyaient à peine à l’Occident,
Quand devant ses parents, fantôme terrifiant,
L’ombre de Jugurtha, penchée sur leur enfant,
Se mit à raconter sa vie et son malheur :
‘’Ô patrie ! Ô la terre où brilla ma valeur !’’
Et la voix se perdait dans les soupirs du vent.
‘’Rome, cet antre impur, ramassis de brigands,
Echappée dès l’abord de ses murs qu’elle bouscule,
Rome la scélérate, entre ses tentacules
Etouffait ses voisins et, à la fin, sur tout
Etendait son empire ! Bien souvent, sous le joug
On pliait. Quelquefois, les peuples révoltés
Rivalisaient d’ardeur et, pour la liberté,
Versaient leur sang. En vain ! Rome, que rien n’arrête,
Savait exterminer ceux qui lui tenaient tête !….’’
Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’De cette Rome, enfant, j’avais cru l’âme pure.
Quand je pus discerner un peu mieux sa figure,
A son flanc souverain, je vis la plaie profonde !…
La soif sacrée de l’or coulait, venin immonde,
Répandu dans son sang, dans son corps tout couvert
D’armes ! Et une putain régnait sur l’Univers !
A cette reine, moi, j’ai déclaré la guerre,
J’ai défié les Romains sous qui tremblait la terre !….’’
Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’Lorsque dans les conseils du roi de Numidie,
Rome s’insinua, et, par ses perfidies,
Allait nous enchaîner, j’aperçus le danger
Et décidai de faire échouer ses projets,
Sachant bien qu’elle plaie torturait ses entrailles !
Ô peuple de héros ! Ô gloire des batailles !
Rome, reine du monde et qui semait la mort,
Se traînait à mes pieds, se vautrait, ivre d’or !
Ah, oui ! Nous avons ri de Rome la Goulue !
D’un certain Jugurtha on parlait tant et plus,
Auquel nul, en effet, n’aurait pu résister !’’
Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’Mandé par les Romains, jusque dans leur Cité,
Moi, Numide, j’entrai ! Bravant son front royal,
J’envoyai une gifle à ses troupes vénales !…
Ce peuple enfin reprit ses armes délaissées :
Je levai mon épée. Sans l’espoir insensé
De triompher. Mais Rome était mise à l’épreuve !
Aux légions j’opposai mes rochers et mes fleuves.
Les Romains en Libye se battent dans les sables.
Ils doivent prendre ailleurs des forts presqu’imprenables :
De leur sang, hébétés, ils voient rougir nos champs,
Vingt fois, sans concevoir pareil acharnement !’’
Dans les monts d’Algérie, sa race renaîtra :
Le vent a dit le nom d’un nouveau Jugurtha…
‘’Qui sait si je n’aurai remporté la victoire ?
Mais ce fourbe Bocchus… Et voilà mon histoire.
J’ai quitté sans regrets ma cour et mon royaume :
Le souffle du rebelle était au front de Rome !
Mais la France aujourd’hui règne su l’Algérie !…
A son destin funeste arrachant la patrie.
Venge-nous, mon enfant ! Aux urnes, foule esclave !…
Que revive en vos cœur ardent des braves !…
Chassez l’envahisseur ! Par l’épée de vos pères,
Par mon nom, de son sang abreuvez notre terre !…
Ô que de l’Algérie surgissent cent lions,
Déchirant sous leurs crocs vengeurs les bataillons !
Que le ciel t’aide, enfant ! Et grandis vite en âge !
Trop longtemps le Français a souillé nos rivages !…’’
Et l’enfant en riant jouait avec un glaive !…
II
Napoléon ! Hélas ! On a brisé le rêve
Du second Jugurtha qui languit dans les chaînes…
Alors, dans l’ombre, on, voit comme une forme humaine,
Dont la bouche apaisée laisse tomber ces mots :
‘’Ne pleure plus, mon fils ! Cède au Dieu nouveau !
Voici des jours meilleurs ! Pardonné par la France,
Acceptant à la fin sa généreuse alliance,
Tu verras l’Algérie prospérer sous sa loi…
Grand d’une terre immense, prêtre de notre droit,
Conserve, avec la foi, le souvenir chéri
Du nom de Jugurtha !…N’oublie jamais son sort:
III
Car je suis le génie des rives d’Algérie !…’’