INSTINCT DE TROUPEAU.— Partout où nous rencontrons une morale, nous rencontrons une évaluation et un classement des actions et des instincts humains. Ces évaluations et ces classements sont toujours l’expression des besoins d’une communauté ou d’un troupeau. Ce qui, en premier lieu, est utile au troupeau — et aussi en deuxième et en troisième lieu —, est aussi la mesure supérieure pour la valeur de tous les individus. Par la morale l’individu est instruit à être fonction du troupeau et à ne s’attribuer de la valeur qu’en tant que fonction. Les conditions pour le maintien d’une communauté ayant été très différentes de ces conditions dans une autre communauté, il s’ensuivit qu’il y eut des morales très différentes ; et, en regard des transformations importantes des troupeaux et des communautés, des États et des Sociétés, transformations que l’on peut prévoir, on peut prophétiser qu’il y aura encore des morales très divergentes. La moralité, c’est l’instinct du troupeau chez l’individu.
Friedrich Nietzsche - Le Gai Savoir (« La gaya scienza »)
Traduction par Henri Albert.Paris, Société du Mercure de France, Paris, 1901 (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 8, p. 161-229).LIVRE TROISIÈME.