►La visite d’Emmanuel Macron en Algérie
▪ Interview de Massensen Cherbi, enseignant en droit public, avocat au barreau de Paris
(« Le Progrès », 25 août 2022)
Q : Comment est perçue cette visite du président Macron en Algérie ?
≈Massensen Cherbi : Il faut distinguer la relation entre les États et entre les peuples. Entre les États, il s’agit, après des frictions, d’une normalisation. Entre les peuples, s’il n’y a pas de problème particulier, le fait que le président français se rende en Algérie est plutôt perçu, notamment par ceux qui ont participé au mouvement du « hirak », comme un geste de soutien au régime algérien. Une sorte de caution apportée au régime, comme Jacques Chirac en 2004 avec Abdelaziz Bouteflika pour son second mandat après des élections douteuses. Une telle visite dans un pays où les droits et libertés sont bafoués peut apparaître problématique. Il faudrait une solidarité du peuple français envers les Algériens. En France, on ne parle pas de l’Algérie actuelle mais toujours de la guerre d’Algérie. Mais pour comprendre cette guerre, il faut comprendre la violence de la colonisation, et jusqu’à présent, cet enseignement, pas plus que le travail de mémoire, n’ont été faits. C’est paradoxal : il y a près de six millions de personnes en France qui ont un lien avec l’Algérie, mais ça reste un sujet tabou. Cela ne se réglera pas en une seule visite.
Q : Quels sont aujourd’hui les espoirs de la jeunesse algérienne, qui constitue l’un des thèmes de la visite ?
≈M.C. : Si Emmanuel Macron a la volonté de rencontrer la jeunesse en dehors des difficultés diplomatiques, c’est bien. Mais la tâche est difficile de toute façon dans les relations franco-algériennes. Ou bien d’un côté, lorsque vous avez le soutien à la contestation, c’est vu comme la main de l’étranger, ou a contrario, si vous apportez votre soutien à Tebboune (le président algérien), c’est vu comme une caution au régime. La France n’est pas un pays neutre vis-à-vis de l’Algérie. Quoi que fasse la diplomatie française, la France sera attaquée d’un côté ou de l’autre. Elle est contrainte, et on le voit avec le président Macron, à jouer les équilibristes. C’est de la real politik.
Q : Comment le président algérien, élu en 2019, dirige-t-il le pays aujourd’hui ?
≈M.C. : Il faut se rappeler qu’il a été élu avec un taux d’abstention record (60, 2%). La constitution en place en 2019 a été révisée et approfondie dans son autoritarisme. De nouvelles lois liberticides ont été adoptées depuis le premier confinement. Le rôle politique de l’armée est ainsi consacré dans la constitution : elle a pour mission de préserver les intérêts vitaux et stratégiques du pays. Dès lors que vous remettez en cause le régime au-delà des lois constitutionnelles, comme l’a fait le « hirak » en 2019, vous pouvez être considéré comme un terroriste. Au niveau de la répression, il y a des vagues d’arrestations puis des mesures d’apaisement tous les six mois. Le pouvoir maintient un climat de terreur en jouant avec le chaud et le froid. La situation est morose, il n’y a aucun moyen de s’exprimer politiquement. La répression a suscité un désespoir inversement proportionnel à l’espoir suscité par le « hirak ».
[Propos recueillis par X. Frère]