La nouvelle a fait l’effet d’une bombe : Derrick a été un SS. Décédé en 2008 à l’âge de 85 ans, l’acteur Horst Tappert a incarné, pendant près d’un quart de siècle, l’inspecteur munichois Stefan Derrick, entre 1974 et 1998. Son personnage n’avait rien d’un nazi : psychologue, perspicace et flegmatique, Herr Inspektor était vraiment tout sauf un gestapiste : en deux cent quatre-vingt-deux épisodes, il n’a dégainé que dix fois son pistolet ! Horst Tappert, c’est l’Allemand le plus célèbre au monde : la série est diffusée dans cent huit pays. Conservateur, plutôt âgé, Derrick est apprécié des retraités : sa case de programmation favorite se situe l’après-midi, entre deux pubs pour les prothèses auditives et les conventions obsèques. En France, de 1986 à 2012, la série aux images verdâtres passe sur La Cinq, Antenne 2, puis France 3. Quand, à l’aube du IIIe millénaire, après vingt-cinq saisons, la chaîne allemande ZDF se décide à la débrancher, elle n’a pas envie de tuer son personnage : lors de l’ultime numéro, diffusé en octobre 1998, Herr Inspektor couronne sa carrière par une promotion à l’Europol de Bruxelles. Dix ans plus tard, Horst Tappert s’éteint chez lui, à Munich. Son héros, lui, est immortel : en Chine, un demi-milliard de téléspectateurs suivent ses enquêtes. Marié et père de trois enfants, Tappert était né le 26 mai 1923 : il était donc en âge de combattre pendant la guerre. L’acteur racontait avoir été « brancardier dans la Wehrmacht ». Nul média allemand n’osa mettre en doute la parole d’une star qui, à l’écran, traquait le mensonge. Jusqu’à ce qu’un sociologue, Jörg Becker, découvre la vérité. Becker effectue des recherches afin d’écrire la biographie de la sociologue Elisabeth Noelle-Neumann (1916–2010). Celle-ci a fondé, après guerre, une troupe de théâtre où a joué le futur Derrick. C’est donc par hasard, en avril dernier, que Becker tombe, dans les archives militaires, sur les états de service de Tappert. De mars 1943 à mai 1945, Horst Tappert était grenadier dans la Panzerdivision SS Totenkopf, c’est-à-dire « tête de mort ». Pas vraiment des boy-scouts : cette division blindée tire son nom des unités de gardiens de camps de concentration. Dès 1940, la Totenkopf se distingue par sa cruauté : massacre – raciste – de 196 prisonniers africains du 25e régiment de tirailleurs à Chasselay (Rhône), assassinat de 99 captifs anglais du Royal Norfolk Regiment à Lestrem, lieu-dit Le Paradis (Nord), etc. En 1943, quand le soldat Tappert rejoint cette division, elle est sous les ordres d’un certain Heinz Lammerding. Nommé plus tard à la tête de la division SS Das Reich, ce général ordonnera, en juin 1944, les carnages d’Oradour-sur-Glane (642 civils mitraillés ou brûlés vifs) et de Tulle (99 pendus). C’est donc au sein de cette horde de psychopathes que le jeune SS Tappert a combattu sur le front russe, entre 1943 et 1945.
Si vous aimez notre contenu, vous pouvez nous soutenir sur Tipee: https://fr.tipeee.com/elmesmar 🤗🤗