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Des Maurice Audin par milliers : l’arbre ne doit pas cacher la forêt

La Rédaction
La reconnaissance en 2018 par l’État français de sa responsabilité dans l’enlèvement, la torture et l’assassinat par son armée de Maurice Audin, fournit à la revue trimestrielle Cahiers d’Histoire le prétexte pour étudier le « Communisme en Algérie, communisme algérien » dans un numéro tout à fait remarquable.

Ce dossier éclaire d’un jour nouveau l’histoire des rapports complexes entre le courant progressiste européen et les mouvements de libération nationale. L’article d’Eloise Dreure, « Être communiste en Algérie dans les années 1920 et 1930 », rappelle le contexte de la création du Parti Communiste Algérien (PCA) sous l’influence du PCF. C’est l’arrivée au pouvoir du Front Populaire en mai 1936 qui découragea l’émergence d’un front anti-impérialiste où la première place était réservée aux « indigènes ». Ainsi, les communistes français qui se rendaient en Algérie avaient désormais pour mission « d’appliquer avec une ferme volonté la politique de priorité d’union avec la France dans la lutte contre le fascisme », mettant à mal la revendication d’indépendance. Pourtant, dès 1935, l’approche de Jean Chaintron, chargé de créer le PCA en tant que parti indépendant, était claire sur l’objectif à atteindre : « la nation française n’est pas la nation du peuple d’Algérie, c’est la nation oppresseuse, c’est la nation de l’impérialisme qui, par le fer et par le feu, s’est annexée l’Algérie et qui courbe sous l’esclavage la nation algérienne ».

Comme le montre Alain Ruscio dans son article*, en Algérie la lutte anticoloniale fit éclater des contradictions internes au sein du jeune PCA, stimulant son évolution depuis une position défendant les « responsabilités partagées » entre le colonisateur et le colonisé lors des massacres dans le Constantinois en mai 1945, jusqu’au lancement d’une campagne pour la libération et l’amnistie des militants algériens. Le dossier inclut également un article de Jean-Pierre Le Foll-Lucian sur la parution d’un journal clandestin « La voix des soldats », adressé aux soldats français pendant la guerre d’indépendance (1955-1957). A travers l’étude de ce réseau clandestin original, une initiative commune du PCA et du PCF, sont élucidées les divergences entre les communistes d’Algérie et de France quant à la stratégie à mener vis-à-vis de l’armée coloniale. Le démantèlement du petit réseau qui diffusait ce journal fut particulièrement brutal, avec l’arrestation de milliers d’autres militants du PCA. En clôture du dossier, un article de la spécialiste britannique Allison Drew met l’accent sur les témoignages des prisonniers communistes mis à l’épreuve par les arrestations et la torture. Ces deux articles reviennent sur le courage de ces militants frappés par la « grande répression d’Alger » et leur rendent hommage.

D’autres témoignages sont mis à l’honneur dans cette revue, comme celui de Gilberte Alleg, l’épouse de Henri Alleg, auteur du livre « La question », censuré par le système colonial français. La victoire autour de la reconnaissance par l’État français de sa responsabilité dans l’assassinat de Maurice Audin est commentée par Gilles Manceron, qui prévient : « l’arbre ne doit pas cacher la forêt ». Et de nous rappeler que le travail de mémoire sur les crimes coloniaux doit être poursuivi, car les tueurs n’ont pas été nommés ni comptés. C’est l’objectif du site 1000 autres.org, lancé en septembre 2018 et qui a rendu publique une liste de « mille autres Maurice Audin » afin de « donner un visage aux disparus ». Son animateur Fabrice Riceputi compte sur les messages et les témoignages envoyés par le public afin de collecter les informations et reconstruire les parcours qui ont d’ores et déjà permis d’identifier environ 70 cas.
par Alex Anfruns
* Auteur également d’un ouvrage qui vient de paraître et qui développe les analyses de son article : « Les communistes et l’Algérie, des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 », Éditions La Découverte.

« Communisme en Algérie, communisme algérien » Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique Numéro 140, 224 pages, 17 euros
Pour le commander en ligne : www.cahiers-histoire-critique.fr

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