Comment l'islamo-nationalisme d'Erdogan s'implante en France
La Rédaction
« On a un vrai sujet avec l’islam turc. » Ces propos qui furent tenus par Emmanuel Macron lors du grand débat avec les intellectuels en mars sont passés inaperçus. Que se passe-t-il donc avec l’islam turc en France ? En Turquie, Erdogan vient de perdre Ankara et Istanbul aux municipales, mais il reste un dirigeant toujours plus autocratique, qui fait emprisonner en masse des universitaires et des opposants politiques. Et en France ? Son parti, l’AKP, tisse sa toile de façon croissante et bénéficie de relais communautaires puissants.
Dans la petite ville de Châtillon-sur-Chalaronne (Ain), le 8 mars dernier, Raphaël Lebrujah, journaliste et auteur d’un livre sur le Kurdistan, devait animer une conférence sur les combattantes kurdes à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. La réunion était prévue dans une salle municipale, à l’invitation de la Fédération nationale de la libre pensée. Mais peu avant le début de la rencontre, l’organisatrice reçoit un coup de fil de la gendarmerie. Le consulat de Turquie avait appelé, alertant sur le fait que la conférence « heurtait la sensibilité de la communauté turque ». Pour le consulat, la réunion faisait l’apologie du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré en Turquie comme une organisation terroriste. L’organisatrice assure alors que ce n’est pas le cas. Qu’importe, plusieurs militants turcs se mobilisent sur place et parviennent à faire interdire la rencontre. « Ce sont des militants islamistes et nationalistes turcs, estime Raphaël Lebrujah. Ils s’attaquent à tout ce qui est féminisme, laïcité, tout ce qui va contre les intérêts politiques d’Erdogan. À l’approche des élections locales en Turquie, ils sont d’autant plus mobilisés. » Épisode révélateur d’un activisme turc et de ses relais sur le territoire français.
La dérive autocratique de Recep Tayyip Erdogan s’accompagne en France d’une mainmise sur la diaspora et d’une redéfinition de l’islam turc. « En France, comme en Turquie, l’islam était auparavant un islam républicain, laïcisé. Aujourd’hui, l’AKP [Parti de la justice et du développement, actuellement au pouvoir] a pris le contrôle de la quasi-totalité des mouvements islamistes, et on a maintenant plus que des islamo-nationalistes, explique Stéphane de Tapia, professeur à l’université de Strasbourg et spécialiste de la migration turque. C’est un islam qui n’est clairement pas un islam de France. Il est nationaliste de façon virulente, il ne sert que les intérêts de la Turquie. » Cet « islamo-nationalisme » est un subtil mélange de défense du nationalisme turc d’Erdogan et d’un islam radical. Concrètement, cela passe par exemple par un activisme pour la remise en cause du génocide arménien, ou encore contre la loi sur le voile à l’école.
source: Charlie Hebdo
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