▬ Déclaration de Zenati Djamel au forum de Liberté ▬
♦Algérie : Entre défiance autoritaire et résistance populaire
Tous les regards sont braqués sur l’Algérie où se développe un
phénomène historique inédit. Par son ampleur et son caractère
sympathique, il a suscité de la curiosité puis de l’admiration et du
respect. Il s’agit de la révolution joyeuse d’un peuple longtemps soumis
à l’oppression d’un autoritarisme violent et anachronique.
- La rue
algérienne vient de réfuter par la meilleure des preuves, celle des
faits, l’idée profondément ancrée dans les esprits et selon laquelle,
dans le monde d’aujourd’hui, les soulèvements populaires sont condamnés à
des évolutions violentes et chaotiques inéluctables.
- Même si
l’expérience algérienne est à ses premiers balbutiements, elle a d’ores
et déjà gagné les cœurs. Regardée désormais comme modèle, elle ouvre des
horizons nouveaux et montre un large champ des possibles aux peuples
opprimés du monde entier. L’Algérie réinvente l’espoir. Une belle page
de l’Histoire de l’humanité s’écrit en ce moment et dans un alphabet
algérien.
• Que se passe-t-il au juste ?
- La réalité de cette
mobilisation c’est l’irruption d’une jeunesse privée d’avenir et dont
l’espoir se résume à un rêve furtif et insaisissable.
- C’est l’irruption des femmes écrasées sous le poids des préjugés, des pesanteurs sociales et des commandements absurdes.
- C’est l’irruption des laissés-pour-compte, ces exclus usés et désabusés par des années d’outrances et d’outrages.
- C’est l’irruption de l’Algérie réelle, cette Algérie d’en bas sans laquelle l’Algérie n’existerait pas.
- La réalité de cette mobilisation c’est aussi le jaillissement d’un
peuple dans toutes ses couleurs, toutes ses nuances, dans sa diversité
éclatante, harmonieuse et joyeuse. Un peuple heureux de retrouver enfin
sa fierté, sa dignité grâce à sa capacité à dominer ses peurs et à
dissiper ses doutes.
- C’est le jaillissement d’un désir d’émancipation fortement articulé au souci d’éviter les impasses du passé.
- Cette mobilisation sans précédent renvoie l’image de ce que doit
être, ce que va être l’Algérie de demain. Une Algérie rassemblée autour
de l’idéal de liberté, d’égalité et de progrès.
- Sous le règne de
Bouteflika, le régime s’est peu à peu ghettoïsé, coupé de la société. Il
a sombré dans une dérive oligarchique et mafieuse aux allures d’une
entreprise coloniale. Les dignitaires du régime et leurs diverses
clientèles ont perçus comme de nouveaux colons. Raison pour laquelle la
déferlante populaire a pris les apparences d’un mouvement de libération
nationale.
- Notre pays traverse un moment historique, une rupture
franche et définitive avec l’ordre ancien. La centralité s’est déplacée
du système en place vers le mouvement populaire car ce dernier est très
vite passé de la protestation à la contestation. Un autre bond
qualitatif est sur le point de se réaliser : le passage à la
construction.
- La mobilisation collective n’est pas seulement un
moyen d’exprimer une colère ou une aspiration. C’est aussi et surtout
l’opportunité de retisser le lien social, d’échanger et de projeter.
C’est un immense laboratoire, un espace d’affirmation du génie
populaire. C’est le lieu d’émergence d’une conscience collective qui
n’est pas l’addition des consciences individuelles. La conscience
collective est une force, une énergie capable de dépasser les fatalités
et de forcer les destins.
- La mobilisation collective doit
s’approfondir et porter l’aspiration démocratique à un point de
non-retour sans pour autant perdre de son caractère pacifique. La
violence est son pire ennemi car la violence pervertit, obscurcit,
divise et démobilise. La violence promeut les aventuriers et relègue à
la marge les porteurs de solutions et les bâtisseurs de l’avenir.
L’Algérie a accumulé suffisamment d’expérience pour pouvoir aborder
l’avenir avec assurance et sérénité.
- Notre société recèle un
trésor de compétences et d’intelligences. Notre jeunesse est brave,
dynamique et courageuse et audacieuse. Elle est capable des miracles les
plus beaux, les plus inattendus. L’Algérie ne correspond nullement à
l’image désolante et honteuse renvoyée par la minorité de malfrats au
pouvoir. L’Algérie est en mesure d’accéder à la grandeur et à la
respectabilité.
- La position patriotique aujourd’hui consiste à se
démarquer du système et de la minorité qui s’y accroche contre vents et
marées. Les résistances au changement sont et seront très fortes et
prendront souvent des formes insidieuses et dissimulées. Aussi, le
passage de l’ordre ancien à l’ordre nouveau doit être une œuvre
collective, un effort de tous. La vigilance populaire est l’unique
garantie de réussite du processus de transition et de son
irréversibilité. Chaque séquence de transition doit prévoir les
modalités de participation du citoyen.
- Les initiatives sincères et
constructives, individuelles ou collectives, doivent s’exprimer dans la
transparence. Les démarches de l’ombre nuisent à la dynamique
populaire.
- Les grandes questions de la transition sont celles des
objectifs, du séquencement, des mécanismes et des garanties. Les acteurs
directs de la transition doivent répondre à des critères précis et
s’engager à respecter un certain nombre de principes.
- Par
ailleurs, la négociation est tributaire de la satisfaction de certains
préalables comme le renoncement à la prolongation du mandat du
président, le renvoi du gouvernement, la dissolution du FLN et le gel
des transferts de capitaux et autres transactions suspectes des
dignitaires et clientèles du régime.
• Quelques remarques sont ici nécessaires :
- Un : la transition n’est pas un choix politique. Elle relève du bon
sens. En effet, le passage d’un système à un autre nécessite une étape
intermédiaire.
Deux : il n y a pas de modèle général de la
transition. C’est une expérience historique singulière et à ce titre
elle puise ses éléments constitutifs du vécu dans lequel elle se
déploie.
Je voudrai enfin faire observer un phénomène important : la transition est déjà en marche dans la société.
- Premier exemple : la réappropriation de l’espace public par les
citoyens. La mobilisation populaire a abrogé le décret d’interdiction de
manifester à Alger.
Deuxième exemple : le révolte des magistrats
contre la pratique de l’injonction porte en elle les germes de
l’indépendance de la jsutice.
Troisième exemple : le changement visible dans le comportement des fonctionnaires et des services de sécurité.
Toutefois, la priorité de l’heure est de maintenir et renforcer la
mobilisation pour imposer la volonté citoyenne comme pour déjouer les
manœuvres du pouvoir et de ses relais.
- Le moment n’est pas au
relâchement car le pouvoir et ses affidés sont totalement isolés,
discrédités et montrent des signes évidents de panique.
- En vérité,
ils sont terrorisés à l’idée de devoir partir en laissant derrière eux
un état des lieux des plus compromettants. Trois dossiers font
particulièrement trembler le système : le pillage et l’accaparement,
l’énergie et le sécuritaire.
- Je dois ici exprimer mon sentiment
personnel. Je suis opposé à toute démarche allant dans le sens du
règlement de compte. Seulement, le devoir de donner des comptes n’est
pas le règlement de compte. Je suis également opposé à un retour
destructeur au passé. Et là aussi, il dépend des décideurs de faire le
choix de la sagesse pour éviter que ne surgissent les rancœurs du passé.
- Les décideurs auront tort de ne pas prendre à sa juste mesure le sens
profond de cette insurrection citoyenne. L’entêtement est la pire des
attitudes.
✍ par Djamel Zenati / Alger, le 18 mars 2019
Algérie : Entre défiance autoritaire et résistance populaire par Djamel Zenati
La Rédaction