ORIGINE
Hérodote raconte que les Étrusques étaient venus d'Asie Mineure. Son point de vue était partagé par divers auteurs de l'Antiquité, et beaucoup de modernes s'y sont ralliés, en accumulant de nombreux arguments positifs, car il s'est révélé facile de trouver des ressemblances entre la civilisation étrusque et les civilisations de l'Orient : divination par l'examen du foie comme en Babylonie, chambres funéraires souterraines et tumulus à la mode du monde mycénien, points communs apparents entre la langue étrusque et certaines langues anciennes d'Asie Mineure et de Lemnos, aspect oriental de beaucoup d'œuvres d'art du viie s. avant J.-C., liberté et autorité accordées à la femme dans la société, comme dans l'ancienne Lydie… Malgré tout cela, l'hypothèse de l'origine orientale, qui conserve aujourd'hui ses partisans, a beaucoup reculé : tout ce qui s'apparente à l'Orient peut s'expliquer par la coïncidence, l'influence ou l'importation.
C'est l'archéologie qui a porté le plus grand coup à la thèse de l'immigration, en niant la brusque mutation qu'aurait provoquée le débarquement d'un peuple. L'orientalisation de l'art du viie s. avant J.-C. s'explique par les influences extérieures, le commerce actif, la présence de modèles orientaux d'importation, telle la bibeloterie d'origine égyptienne, phénicienne et chypriote qui apparaît dans les sites archéologiques étrusques. Les partisans de l'autochtonie trouvent même un Ancien pour partager leur opinion, Denys d'Halicarnasse. Reste une troisième hypothèse : celle de l'origine septentrionale des Étrusques, descendus des Alpes ; née au xviiie s., elle n'a plus qu'un intérêt de curiosité.
DE L'ÉTRUSCOMANIE À L'ÉTRUSCOLOGIE
Le xviiie s. avait été en effet, en Toscane, une époque de grande passion pour l'étruscologie, qui avait séduit par son exotisme trompeur et l'étrangeté de ses ruines. À l'époque où naquit (1726) l'Académie étrusque de Cortona, on découvrait ainsi à la Toscane une primauté passée insoupçonnée jusqu'alors, qui faisait des Étrusques les dignes émules des Grecs. À cette phase d'étruscomanie succédèrent les explorations (George Denis [1814-1898], The Cities and Cemeteries of Etruria [1848]) et les fouilles, inaugurées par Lucien Bonaparte à Vulci en 1828. Le milieu du xixe s. fut le moment des plus belles découvertes : les tombeaux abandonnés au milieu d'un pays presque sauvage recelaient quantité de vases grecs et de pièces d'orfèvrerie. À la fin du siècle, l'archéologie devint scientifique : à la chasse aux œuvres d'art succédèrent les fouilles méthodiques. De leur côté, les linguistes ont alors entrepris l'étude de la langue, dont plus d'un crut saisir incessamment la clé. De plus en plus méticuleuses, les fouilles ont permis de réviser les questions que l'on se posait, de leur faire perdre leur aspect polémique et passionné, et d'enlever aussi aux Étrusques une bonne part de leur réputation mystérieuse.
statue en terre cuite, iie siècle av. J.-C., retrouvée à Chiusi |
La découverte du site de Villanova, près de Bologne, a montré quelle civilisation régnait à l'âge du fer dans les pays occupés ensuite par les Étrusques. Au viiie s. avant J.-C., ceux-ci se manifestent en Toscane, sans qu'on y puisse déceler l'hiatus que produirait une immigration. Dans la vallée du Pô, par contre, leur civilisation apparaît seulement au vie s. avant J.-C., et, cette fois, ce peut être le résultat d'un mouvement colonisateur parti d'Étrurie. À partir de là, la chronologie tend à se clarifier, et l'on accède à la période proprement historique.
Bien qu'ils n'aient pas bénéficié d'une cohésion politique caractérisée, les Étrusques ont une histoire commune, et les repères chronologiques des faits politiques, de l'économie et de l'art se rejoignent pour mieux souligner les mutations qu'ils ont subies d'un siècle à l'autre. Au viie s. avant J.-C., les nécropoles témoignent d'un soudain enrichissement. Celles des villes proches du littoral tyrrhénien regorgent d'objets d'art, d'orfèvrerie. Les Étrusques viennent de mettre en valeur leurs richesses minières : cuivre, puis fer de l'île d'Elbe ; cuivre de la péninsule. Les Grecs achètent cette matière première, et les Étrusques, devenus de gros marchands, se procurent les œuvres d'art des Grecs et les font copier par leurs propres artistes. Marins, ils sont les rivaux des Grecs, qui les considèrent comme des pirates. Au vie s. avant J.-C., ils sont alliés des Carthaginois, autre peuple navigateur et commerçant. Vers 535 avant J.-C., ils participent à la bataille navale qui les oppose aux Grecs au large d'Alalia (la latine Aleria), en Corse. Il n'est pas sûr que ce conflit ait concerné tous les Étrusques, car l'archéologie témoigne de relations commerciales suivies de certaines villes avec les Grecs. Mais Caere (aujourd'hui Cerveteri), du moins, témoigne de rapports étroits avec Carthage : une inscription bilingue, punique et étrusque, sur tablettes d'or dédie, en son port de Pyrgi, un temple à la punique Ishtar. En 474 avant J.-C., au large de Cumes, des Étrusques sont battus par des Syracusains. Faut-il en conclure qu'ils sont des ennemis irréductibles des Grecs ?
À la fin du vie s. avant J.-C., le pays étrusque (car on hésite à parler d'empire) s'étend très largement en Italie et comporte alors trois dodécapoles. D'abord douze cités confédérées en Étrurie même, liées entre elles par une assemblée annuelle au fanum Voltumnae, près de Volsinii (Bolsena), et par un magistrat commun, le zilath mechl Rasnal, préteur du peuple étrusque. Les autres dodécapoles sont dans la partie occidentale de la plaine du Pô et en Campanie. Ces trois douzaines de villes sentent la systématisation annalistique. Ce qui demeure, c'est cette extension territoriale, extension éphémère d'ailleurs – et pas toujours en profondeur : si Préneste est latine par sa population, elle est étrusque par son art. Si Spina est un port étrusque, c'était, au dire des Anciens, une ville tout à fait grecque. La basse plaine padane n'a pas été profondément imprégnée par la civilisation originaire de Toscane. Au tournant du vie et du ve s. avant J.-C., le déclin commence rapidement : l'activité maritime se restreint. Les villes côtières perdent leur importance au profit de celles de l'arrière-pays, et l'influence grecque sur l'art local s'affaiblit subitement. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne provient plus d'œuvres d'art de la Grèce : les vases attiques sont importés massivement, mais à l'autre bout du pays étrusque, par le port de Spina. Tandis que, dans la péninsule, Rome donne le signal de la révolte et libère le Latium, les jeunes villes padanes sont en plein essor au milieu du ve s. avant J.-C. Mais pas pour longtemps : au siècle suivant, les Gaulois déferlent sur l'Italie, et ces villes sont les premières à en subir les conséquences. Au sud, les Romains progressent : au milieu du iiie s. avant J.-C., l'Étrurie entière leur est soumise. Mais ce n'est point une condamnation définitive pour sa civilisation. L'art étrusque brille encore par une originalité relative avant de se fondre progressivement dans l'art romain, et certaines institutions se maintiennent longtemps encore.
LA LANGUE ET LES LETTRES
La langue étrusque fut en usage jusqu'au début de l'ère chrétienne au moins, et les inscriptions conservées, qui sont au nombre d'une dizaine de mille et proviennent surtout de Chiusi et de Pérouse, sont essentiellement d'époque romaine. Peu de textes notoires en dehors des inscriptions funéraires : une bandelette de momie conservée à Zagreb, les tablettes d'or de Pyrgi. Pour ainsi dire pas d'inscriptions bilingues, qui aideraient grandement au déchiffrement de cette langue écrite en caractères classiques. Ce déchiffrement a toute une histoire. Illusionnés par la découverte subite de la clé d'autres langues anciennes, maints érudits ont cherché le secret de l'étrusque en employant la méthode comparative. En confrontant avec les autres langues, ils se fondaient sur l'espoir de rencontrer une langue connue dérivée ou voisine. Certains ont cru réussir et ont fait des rapprochements qui leur paraissaient prometteurs avec le hittite, le groupe basco-caucasique, le lydien ou encore l'albanais. Traîtreusement, la brièveté des textes se prête à des interprétations illusoires. La méthode combinatoire déchiffre l'étrusque par le dedans, sans chercher de rapprochements semblables. Elle est arrivée à des résultats beaucoup plus sérieux, mais qui n'ont rien à voir avec la « clé » espérée. Un travail patient a donné le sens d'un mot, puis d'un autre et permis de découvrir l'existence de la déclinaison… On connaît ainsi, aujourd'hui, des dizaines de mots et des éléments non négligeables de grammaire. Cela permet de tirer parti des inscriptions funéraires, mais ne suffirait pas à comprendre des textes littéraires. Ceux-ci, d'ailleurs, n'ont pas été conservés. Mais ils existaient : les Étrusques ont eu une littérature. Outre des livres religieux, ils ont rédigé des annales et cultivé les lettres profanes. Les jeunes Romains allèrent longtemps faire leurs humanités à Caere. Tite-Live nous l'apprend, en s'en étonnant lui-même. Après s'être initiés à l'hellénisme par l'intermédiaire des Étrusques, les Romains s'adressèrent ensuite aux esclaves grecs qu'ils ramenèrent de leurs guerres de conquêtes.
La ligue étrusque |
LES VILLES
Cette civilisation a été gratifiée d'« unique civilisation citadine originale de l'Occident ancien » (Guido A. Mansuelli). À part la cité industrielle de Populonia, les vieilles villes étrusques étaient perchées en des positions escarpées. La menace des invasions gauloises les incita à s'entourer de fortifications, très longues enceintes de murailles d'un appareil rustique, qui englobaient une étendue de beaucoup supérieure à la surface bâtie. Autant on sait peu de chose de ces villes, malgré les fouilles récentes de Volsinii (Bolsena) et de Vulci (Vulcia), autant on est informé du plan régulier des fondations tardives, grâce aux fouilles de Spina et de Marzabotto, en Italie du Nord ; Marzabotto a été appelée la Pompéi étrusque. Fondée en terrain plat, ou presque, elle a pu bénéficier des techniques évoluées des arpenteurs étrusques, qui transmirent aux Romains leurs méthodes et leurs rites de fondation. Inspiré peut-être par le plan en damier d'Hippodamos de Milet, en tout cas contemporain, le plan étrusque s'insérait autour des lignes directives fournies par le cardo (voie nord-sud) et le decumanus (voie ouest-est), et s'encadrait dans le pomoerium, limite sacrée. Les habitations étaient très espacées. Spina, située près de Comacchio, était tracée selon un plan analogue, mais, Venise étrusque, elle était parcourue de canaux et reliée à la mer par un chenal. Une autre fondation régulière de la même époque (ve s. avant J.-C.) a été découverte à Casalecchio di Reno, près de Bologne. Chacune des principales villes connues avait sa physionomie propre, son originalité, ses ressources. Si Spina fut, pendant une période assez brève, il est vrai, le grand emporium qui recevait les produits de la Grèce, Adria, située un peu plus au nord, passait pour bien plus typique. L'atrium en serait originaire. Bologne, sous le nom de Felsina, était une ville de commerce et de métallurgie. En Étrurie même, beaucoup de villes se partageaient entre les activités connexes de l'agriculture et l'exploitation des mines. Volaterrae (Volterra) exploitait les mines de la Cecina, et Populonia le fer de l'île d'Elbe et le cuivre de Campiglia. Vetulonia travaillait le bronze et partageait les activités maritimes avec Populonia. Caere exploitait le cuivre de la Tolfa et hébergeait des artisans grecs d'Ionie. Volsinii était une capitale religieuse. Véies (en latin Veii) et Vulci nous apparaissent comme des centres d'artisanat d'art.
Anciennement, c'est-à-dire surtout jusqu'au ve s. avant J.-C., les villes étaient gouvernées par des rois, appelés lucumons. On sait quels étaient les insignes de leur pouvoir : la couronne, le trône (siège curule), le sceptre, le manteau de pourpre, le licteur, qui le précédait en portant des faisceaux sur l'épaule. Renversés, ces rois furent supplantés par une oligarchie de nobles qui se partageait le pouvoir sous la forme de diverses magistratures. Des inscriptions tardives (à partir du ive s. avant J.-C.) ont permis de préciser les titulatures. Le magistrat par excellence était le zilath. Il partageait avec plusieurs collègues le pouvoir essentiel, pour une année, et disposait d'attributs analogues à ceux des rois. Le zilath purth présidait leur collège ; le zilath maru, pourvu d'attributions religieuses, pouvait s'apparenter à l'édile romain. On sait assez peu de chose des magistratures inférieures ainsi que, d'ailleurs, de la structure de la population dans son ensemble, sinon qu'il y avait beaucoup d'esclaves. Certains de ceux-ci devaient être fort défavorisés, à en juger par quelques violentes révoltes dont le souvenir a été conservé. D'autres avaient droit à des maisons particulières, comme la plupart des hommes libres. Mais on a bien du mal à se représenter ces maisons étrusques, dont il ne reste pas de vestiges. Il semble qu'on se soit attaché à construire des tombeaux pour l'éternité et les demeures pour un temps limité : celles-ci furent sans doute de bois et de briques crues. Des urnes funéraires en forme de maison témoignent de l'aspect de cabane des plus petites ou des plus primitives. L'étude du plan des tombeaux, s'ajoutant à une remarque de Vitruve, donne une idée de la disposition, qui, avec sa cour intérieure, sans colonnes, annonçait la maison romaine.
LES NÉCROPOLES
Non loin de la ville des vivants se trouvait celle des morts. Ainsi Caere était accompagnée, sur le plateau dit « de la Banditaccia », d'une nécropole largement égale en étendue à la ville même. Ces tumulus, surmontant des chambres funéraires souterraines, qui s'entassent les uns contre les autres et s'efforcent de rivaliser d'ampleur (certains dépassent les 50 m de diamètre), représentent la ressource principale des archéologues. Pillés avidement au xixe s., ils sont l'objet de fouilles de plus en plus scientifiques. Depuis 1958, à Cerveteri (Caere) et à Tarquinii (Tarquinia), le nombre des tombes explorées s'est compté par milliers, grâce à la conjugaison de trois techniques nouvelles.
La photographie aérienne détecte la trace circulaire des tumulus arasés par le temps et fournit ainsi le plan complet des nécropoles. La mesure de la résistivité du sol entre des piquets métalliques régulièrement espacés permet de découvrir l'emplacement et l'entrée des chambres souterraines. Au centre présumé de la chambre, on perce un orifice étroit par lequel on introduit une sonde équipée d'un flash et d'un appareil photographique. On obtient des clichés panoramiques de l'intérieur qui donnent, lorsque la tombe n'a pas été visitée auparavant, une vision unique d'objets que le temps a préservés et qui ne tardent pas à tomber en poussière dès qu'un air neuf a pénétré. Le contenu est extrêmement varié et instructif, car on cherchait à recréer autour des morts le décor de leur vie domestique.
Le plafond de l'hypogée lui-même prenait volontiers la double inclinaison d'une charpente et d'un toit. Les objets familiers, vases surtout, étaient entassés sur les banquettes qui longeaient les murs ou figuraient sur ceux-ci. Les tombes riches étaient ornées à fresque. Les morts reposaient dans des sarcophages ; selon une règle assez fréquente, ceux des hommes ressemblaient à des lits et ceux des femmes à quelque chose de plus monumental, massif, évoquant davantage un sarcophage grec et semblant le signe d'une dignité supérieure. On a conservé des sarcophages sur lesquels le mort est représenté en relief, couché de côté, appuyé sur un oreiller. Il existe également des urnes, assez diverses, car l'incinération fut aussi en usage. Les modes de sépulture ont varié d'ailleurs d'une époque à l'autre et d'une cité à l'autre, et la chambre souterraine, considérée ordinairement comme le type même de la tombe étrusque, n'en est en fait que la version la plus achevée.
Sarcophage, orné d'un couple sculpté, provenant de la nécropole de Cerveteri. Terre cuite, art étrusque, début du VIe siècle avant J.-C. (Louvre) |
LA RELIGION
Statue en bronze du dieu Mars (vers 400-350 avant J.-C. ; 1,42 m), dite « Mars de Todi ». Art étrusque. (Musée étrusque, cité du Vatican.) |
Fibule en or avec frise réalisée par granulation. Art étrusque, VIIe siècle avant J.-C. (Musée archéologique, Florence.) |